Amiante : réparation du préjudice d’anxiété en cas de sous-traitance et atteinte à la dignité des salariés
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La Cour de cassation continue, au fur et à mesure des affaires, à affiner les modalités de reconnaissance du préjudice d’anxiété. Récemment elle a opéré une distinction entre ce préjudice et l’atteinte à la dignité et étendu son champ de mise en œuvre aux salariés mis à disposition en cas de sous-traitance.
Préjudice d’anxiété : rappel sur les modalités de sa reconnaissance
Créé en 2010, le préjudice d’anxiété avait pour objectif initial de protéger les salariés ayant travaillé dans une entreprise pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante.
Ces salariés risquant de développer une maladie liée à l’amiante, la reconnaissance de ce préjudice a pour finalité d’indemniser les salariés de « l’ensemble des troubles psychologiques y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence, résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante » (Cass. soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241).
En 2019, la Cour de cassation a étendu la reconnaissance du préjudice d’anxiété à tous les salariés qui « justifient d’une exposition à l’amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave » puis, en 2021, à tous les salariés « exposés à une substance nocive ou toxique ».
Le préjudice d’anxiété est ainsi constitué « par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque élevé de développer une pathologie grave par les salariés » (Cass. soc., 13 octobre 2021, n° 20-16.617).
Dans deux nouvelles décisions, la Cour de cassation étend le champ d’application aux salariés mis à disposition auprès d’entreprises extérieures et opère une distinction entre ce préjudice et l’atteinte à la dignité.
Préjudice d’anxiété : une possible reconnaissance pour les salariés mis à disposition
Dans l’affaire soumise devant la Cour de cassation, un salarié employé pour effectuer des opérations de manutention ou nettoyage est mis à disposition auprès d’une société ferroviaire, mission pour laquelle il sera exposé à des poussières d’amiante de 1998 à 2003.
Quelques années plus tard, il décide de saisir la juridiction prud’homale en mettant en cause tant son employeur que la société ferroviaire au sein de laquelle il a été mis à disposition.
La cour d’appel décide de rejeter la responsabilité de l’employeur du salarié tout en condamnant la société ferroviaire au titre du préjudice d’anxiété.
Cette dernière, considérant qu’elle ne peut pas être condamnée au titre de ce préjudice dans la mesure où elle n’est pas l’employeur du salarié, décide de saisir la Cour de cassation.
La Cour de cassation confirme tout d’abord que la responsabilité de la société ferroviaire ne peut pas être reconnue sur le fondement de l’obligation de sécurité qui suppose l’existence d’un contrat de travail.
Elle considère cependant que l'entreprise utilisatrice est tenue :
- d’assurer la coordination générale de leurs propres mesures de prévention avec celles qu’a mis en place l’entreprise extérieure qui intervient dans leurs établissements ;
- d’établir elle-même un plan de prévention lorsqu’une opération présente des risques particuliers.
Ainsi la responsabilité de l’entreprise utilisatrice peut être engagée « au titre de la responsabilité extracontractuelle, dès lors que sont établies des fautes ou négligences de sa part dans l'exécution des obligations légales et réglementaires mises à sa charge en sa qualité d'entreprise utilisatrice, qui ont été la cause du dommage allégué ».
Dans les faits, la Cour de cassation a considéré que la société ferroviaire avait commis des fautes et négligences, en s’appuyant notamment sur le fait que le salarié avait travaillé dans des ateliers où des agents pouvaient travailler sur des matériaux pouvant libérer des fibres d’amiante, qu’il n’avait aucune protection, que son équipement était susceptible de libérer des fibres ou encore qu’aucun plan de prévention n’avait été mis en place avant 2003 avec l’entreprise employeur du salarié.
Compte tenu de ces éléments, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société ferroviaire et confirme sa condamnation au titre du préjudice d’anxiété.
Important
Cette décision est très favorable aux salariés car elle leur permet de garantir leur indemnisation, notamment en cas de défaillance de l’employeur. Elle permet également de rappeler aux entreprises utilisatrices que le recours à des salariés mis à disposition ne doit pas être un moyen d’échapper à une éventuelle mise en cause de leur responsabilité en cas de fautes ou négligences en matière de sécurité.
Préjudice d’anxiété : la distinction avec l’atteinte à la dignité
Dans une autre affaire, une société disposait d’une autorisation dérogatoire pour utiliser de l’amiante jusqu’au 31 décembre 2001. Malgré l’arrêt de cette dérogation en 2001, l’entreprise a continué d’utiliser ce matériau de 2002 à 2005.
Informés de cette situation, plusieurs salariés de cette société décident d’attaquer leur employeur sur la base de 2 fondements juridique :
- le préjudice d’anxiété résultant de leur exposition à l’amiante ;
- le préjudice causé par le manquement de l’employeur à son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, dès lors qu’il a continué à exposer ses salariés à l’amiante au-delà de la durée légalement autorisée.
La cour d’appel rejette le préjudice d’anxiété au motif que celui-ci est prescrit. Elle condamne toutefois l’entreprise sur le fondement d’un manquement à son obligation de loyauté, celui-ci étant caractérisé par l’utilisation de l’amiante de 2002 à 2005 malgré son interdiction.
En désaccord avec cette décision, l’employeur décide de saisir la Cour de cassation en considérant que le préjudice d’anxiété couvrant « tous les troubles psychologiques », une condamnation sur un autre fondement n’est pas possible.
La Cour de cassation rejette cet argumentaire en considérant que lorsque le préjudice d’anxiété est éteint, le salarié peut toujours obtenir des dommages et intérêts au titre d’une atteinte à la dignité, notamment si son employeur a eu recours illégalement à l’amiante.
Dans le cas présent, l’employeur ayant utilisé de l’amiante illégalement de 2002 à 2005, les salariés étaient en droit de demander réparation de leur préjudice au titre de la non-exécution de bonne foi du contrat de travail.
La frontière entre l’obligation de loyauté et préjudice d’anxiété étant très floue, la Cour de cassation a ajouté une précision dans un communiqué en considérant que ces 2 préjudices correspondent à un manquement différent de l’employeur :
- lorsque l’employeur a manqué à son obligation de sécurité en utilisant une substance toxique autorisée sans mettre en œuvre les mesures de prévention des risques professionnels adéquates, ses salariés peuvent réclamer l’indemnisation d’un préjudice d’anxiété ;
- lorsque l’employeur recourt illégalement à une substance toxique prohibée, commettant ainsi une infraction pénale, son exécution déloyale du contrat de travail porte atteinte à la dignité du salarié, lequel peut alors réclamer la réparation d’un préjudice moral, indépendamment du préjudice d’anxiété.
Il parait important de souligner que dans les affaires soumises devant la Cour de cassation, les actions en réparation au titre du préjudice d’anxiété étaient prescrites, l’action au titre de la non-exécution loyale du contrat de travail semblant alors intervenir « par défaut ».
Par ailleurs, dans le communiqué de la Cour de cassation, celle-ci ne fait pas uniquement référence à l’amiante mais à des « substances toxiques », ce qui permettrait aux salariés d’obtenir réparation de leurs préjudices au titre de la non-exécution de bonne foi du contrat de travail en cas d’utilisation de toute autre substance toxique interdite.
Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2023, n° 20-23.312 (le salarié de l'entreprise extérieure peut rechercher la responsabilité de l'entreprise utilisatrice, s'il démontre que celle-ci a manqué aux obligations mises à sa charge par le Code du travail et que ce manquement lui a causé un dommage)
Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2023, n° 21-14.451 (l'employeur qui avait continué, en toute illégalité, à utiliser de l’amiante alors qu'il n'était plus titulaire d'aucune autorisation dérogatoire, a manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi les contrats de travail)
Responsable RH dans une entreprise du secteur du BTP
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