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Annulation d’une convention collective : la complexité d’une application rétroactive peut justifier une annulation modulée dans le temps

Publié le 15/02/2021 à 07:07 dans Conventions collectives.

Temps de lecture : 4 min

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Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.

Depuis quelques années, lorsqu'un juge annule tout ou partie d'une convention collective, il peut décider d'en différer les effets pour éviter des conséquences pratiques trop lourdes. Mais quelle est sa marge de manœuvre ? La Cour de cassation vient d'apporter un éclairage sur ce nouveau dispositif.

Conventions collectives : le juge qui prononce une annulation peut décider de moduler ses effets dans le temps

Depuis les ordonnances Macron, plus précisément l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective, lorsqu'un juge annule un accord collectif, il a la possibilité de moduler dans le temps les effets de cette nullité. Le but de ce dispositif : sécuriser les accords collectifs, en limitant les conséquences négatives que peut entraîner une annulation rétroactive.

Pour la première fois, la Cour de cassation a été amenée à se pencher sur ce sujet, à l'occasion d'un litige mettant en scène la convention collective de l’édition phonographique. Celle-ci, signée le 30 juin 2008, a été étendue à l’ensemble du secteur par arrêté du 20 mars 2009. Plusieurs syndicats ont demandé l'annulation de certains articles de son annexe n° 3, relative aux conditions d’emploi, de rémunération et de garanties sociales des artistes-interprètes salariés.

Les premiers juges avaient prononcé l'annulation des articles litigieux. Toutefois, ils avaient décidé de reporter les effets de cette annulation à 9 mois, soit au 1er octobre 2019. Pour les juges, le but était de laisser un délai raisonnable aux partenaires sociaux pour convenir d’une nouvelle clause de rémunération licite.

Les syndicats avaient alors saisi la Cour de cassation, estimant que les juges ne pouvaient pas appliquer ce mécanisme de modulation, entré en vigueur en 2017, à une convention collective conclue bien avant, en 2008. Les syndicats faisaient également valoir que les conditions qui permettaient de différer les effets de l’annulation n’étaient pas réunies.

Conventions collectives : moduler l'annulation est possible en raison du nombre de salariés concernés et du temps écoulé

Mais devant la Cour de cassation, les syndicats n'ont pas eu gain de cause.

La Cour rappelle d'abord que selon l’ordonnance du 22 septembre 2017, en cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’un accord ou d’une convention collective, celui-ci dispose d'une marge de manœuvre s’il lui apparaît que l’effet rétroactif de cette annulation peut entraîner des conséquences manifestement excessives. Ceci à cause des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur, mais aussi en raison de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets. Dans ce cas, le juge peut en effet décider que l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir, ou bien moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées.

La Cour affirme ensuite qu'en l’absence de dispositions transitoires spécifiques, les dispositions de cette ordonnance sont d’application immédiate, quelle que soit la date à laquelle l’accord collectif a été conclu.

Or, dans cette affaire, la cour d’appel a retenu que l’annulation des dispositions litigieuses, relatives à l’objet du cachet perçu par les artistes interprètes, conduisait à remettre en cause des sommes perçues par les salariés depuis une dizaine d’années. Cela supposait donc un travail considérable pour reconstituer les droits de chacun, compliqué par l’ancienneté des situations établies avec une collecte de données de grande ampleur, le tout pour un résultat incertain.

La Cour de cassation souligne enfin que les juges du fond ont également relevé que le maintien de la clause pour le passé n’était pas de nature à priver les salariés de contrepartie, puisque le salaire minimum conventionnel a été négocié par les partenaires sociaux pour couvrir les deux objets de cette rémunération. Ce faisant, les juges ont ainsi caractérisé l’existence d’un intérêt général les autorisant à reporter les effets de l’annulation de la clause.

La Cour de cassation approuve donc les juges du fond qui, constatant la nécessité de laisser un délai pour la renégociation de la clause de rémunération, avait fixé à la date du 1er octobre 2019 la prise d’effet de la décision d’annulation.


Cour de cassation, chambre sociale, 13 janvier 2021, n° 19-13.977 (en cas d'annulation par le juge de tout ou partie d'un accord ou d'une convention collective, celui-ci peut décider, s'il lui apparaît que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, que l'annulation ne produira ses effets que pour l'avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement)