« Blague » sexiste d’un humoriste : une faute grave peut-elle être reconnue ?

Publié le 22/04/2022 à 10:30 dans Licenciement.

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Qui se souvient de cette affaire où un humoriste, animateur d’un jeu télévisé avait été licencié après avoir tenu des propos sexistes, notamment une « blague » qui banalise les violences faites aux femmes ? Licencié pour faute grave, l’animateur contestait son licenciement au nom de la protection de sa liberté d’expression. Mais par une clause de son contrat de travail, il s’engageait à respecter la charte des antennes France télévision…

Liberté d’expression : principe

Dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, sauf abus, les salariés jouissent de leur liberté d'expression.

Ainsi, vous ne pouvez pas sanctionner un salarié pour avoir exprimé des opinions politiques ou syndicales, religieuses, etc. Mais attention, s’il y a un usage abusif de la liberté d’expression, vous pouvez réagir et engager une procédure disciplinaire. Par exemple quand un salarié tient des propos diffamatoires, racistes, à connotations sexistes comme c’est le cas dans l’affaire qui nous intéresse.

Notez toutefois qu’en tant qu'employeur, vous pouvez apporter des restrictions à cette liberté d’expression. Mais ces restrictions doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (Code du travail, art. L. 1121-1).

Limitation de la liberté d’expression prévue par le contrat de travail et poursuivant un but légitime

Dans cette affaire que vient de juger la Cour de cassation, l’humoriste qui est connu sous le nom de scène « Tex », avait animé le jeu télévisé « Les Z'amours ». Il avait été licencié pour faute grave le 14 décembre 2017. Ce licenciement faisait suite notamment à des propos qu’il avait tenus en tant qu’invité dans une émission diffusée en direct, à une heure de grande écoute sur une autre chaîne. Il intervenait dans cette émission pour faire la promotion de son spectacle.

A la fin de cette émission, il a été sollicité pour conclure avec une dernière plaisanterie. L’animateur a alors tenu les propos sexistes suivants qui banalisaient les violences faites aux femmes : « Comme c'est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c'qu'on dit à une femme qu'a déjà les deux yeux au beurre noir ? - Elle est terrible celle-là ! - on lui dit plus rien, on vient déjà d'lui expliquer deux fois ! ». Par la suite, l’humoriste s’était vanté auprès de collègues d’avoir fait « son petit buzz ». Il avait également adopté vis-à-vis d’une candidate une attitude déplacée en lui posant plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon alors que son employeur l'avait déjà alerté sur la nécessité de faire évoluer le comportement qu’il avait vis-à-vis des femmes sur le plateau de l’émission.

Il faut noter qu’au moment des faits, plusieurs évènements médiatisés rappelaient la nécessité de lutte contre les violences domestiques et les discriminations à raison du sexe : l’affaire Weinstein, les mouvements « #MeToo » et « #BalanceTonPorc » et les annonces visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles du Président de la République lors de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2017.

C’est dans ce contexte que l’animateur a été licencié pour faute grave. Licenciement qu’il conteste. Selon lui, il n’aurait commis aucun abus dans l’exercice de sa liberté d’expression, ni manquement à son engagement éthique :

  • que ce soit en public lors de l’émission de télévision pour son trait d'humour provocant qu’il fait en sa qualité d'humoriste ;
  • lorsqu’il tient des propos à des collègues en dehors des prises et qui ne font donc l'objet d'aucune publicité.

Pour l’humoriste, la cour d’appel qui a rejeté ses demandes tendant à voir prononcer l’annulation de son licenciement a violé :

  • l’article L. 1121-1 du Code du travail sur la liberté d’expression ;
  • ainsi que l’article 10 § 1 qui garantit le droit à la liberté d’expression de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Mais, dans cette affaire, les juges ont constaté que, dans son contrat de travail, il figurait une clause par laquelle l’animateur reconnaissait avoir pris connaissance et s'engageait à respecter l'ensemble des dispositions du cahier des missions et des charges de France 2 et de la Charte des antennes de France Télévision. Cette charte prévoyait :

  • le refus de toute complaisance à l'égard des propos risquant d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe ;
  • le refus de toute valorisation de la violence et plus particulièrement des formes perverses qu'elle peut prendre telles que le sexisme et l'atteinte à la dignité humaine.

Une clause de son contrat précisait également que « toute atteinte à ce principe par Tex, qu'elle se manifeste à l'antenne ou sur d'autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat ».

Les blagues sont autorisées mais l’animateur s’était engagé à ne tenir aucun propos à connotation sexiste. Pour les juges, le licenciement de l’animateur est fondé sur la violation d’une clause de son contrat de travail.

La limitation à sa liberté d’expression poursuivait un but légitime : la lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques, ainsi que la protection de la réputation et des droits de l'employeur.

Compte tenu de l'impact potentiel des propos que l’animateur a réitérés reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'entreprise, ce licenciement était justifié, proportionné au but légitime poursuivi par l’employeur. Il ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.

Cour de cassation, chambre sociale, 20 avril 2022, n° 20-10.852 (le licenciement pour faute grave d’un animateur de télévision suite à une « blague » sexiste est une sanction proportionnée qui ne porte pas une atteinte excessive à sa liberté d'expression)

Isabelle Vénuat

Juriste en droit social et rédactrice au sein des Editions Tissot