Documents de travail : en français, please !
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Contenu ancien
Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.
Les exemples ne manquent pas : logiciels, noms de services, documents en vue d’entretiens individuels d’évaluation sont fréquemment rédigés en anglais !
Quelques repères historiques
Depuis 1994, la loi dite « loi Toubon » du nom de l’ex-ministre de la Culture Jacques Toubon, fixe des limites à l’utilisation de l’anglais en entreprise.
Depuis cette date, les offres d’emploi, contrats, accords et convention, règlements intérieurs, et plus largement tout document « dont la connaissance est nécessaire (au salarié) pour l’exécution de son travail », doivent être rédigés en français.
Mais, à l’heure de l’internationalisation des échanges, force est de constater que son application n’est pas chose aisée. Depuis maintenant 20 ans que cette loi existe, de manière récurrentes, des parlementaires bien éloignés sur l’échiquier politique en proposent des aménagements.
En 2004, le député UMP Philippe Marini dépose un amendement visant à renforcer la législation. L’amendement s’est arrêté au stade de son adoption au Sénat. Il ne l’a jamais été par l’Assemblée nationale.
En février 2013, 6 députés communistes demandent la création d’une commission d’enquête sur les « dérives linguistiques actuelles en France », notamment dans le monde du travail.
Pourtant la loi Toubon punit d’une peine d’amende de 4e classe (soit 750 euros d’amende) le fait de ne pas mettre à la disposition d’un salarié une version en langue française d’un document comportant des obligations à son égard ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire à celui-ci pour l’exécution de son travail.
Il faut dire que, pour les défenseurs de cette loi, l’anglais au travail peut être facteur de stress et de discrimination pour toutes les catégories de salariés, les salariés âgés qui avouent un malaise à devoir travailler à l’écrit ou à l’oral dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas et ne maîtriseront jamais autant que leur langue maternelle.
Et pour près d’un quart d’entre eux, cela gênerait le bon déroulement du travail.
Les offres d’emploi
En application de l’article L. 5331–4 du Code du travail, « il est interdit de faire publier, dans un journal, revue ou écrit périodique ou de diffuser par tout autre moyen de communication accessible au public, une insertion d’offres d’emploi ou d’offres de travaux à domicile, comportant un texte rédigé en langue étrangère ».
Sont concernés par cette interdiction toute offre d’emploi concernant des services :
- à exécuter sur le territoire français, quelle que soit la nationalité de l’auteur de l’offre ou de l’employeur ;
- à exécuter hors du territoire français si l’auteur de l’offre ou l’employeur est français.
Selon la circulaire du 19 mars 1996 (NOR : PRMX9601403C publiée au JO, 20 mars) ne sont pas concernés :
- les documents reçus de l’étranger ou destinés à des personnes de nationalité étrangère, en particulier les documents liés à l’activité internationale d’une entreprise ;
- les offres d’emploi ou de travaux à exécuter hors du territoire français, dont l’auteur ou l’employeur sont étrangers ;
- les offres d’emploi ou de travaux insérées dans des publications rédigées, en tout ou partie, en langue étrangère comme, par exemple, les publications destinées à des étrangers vivant en France.
Le contrat de travail
Le contrat de travail établi par écrit est rédigé en français.
Lorsque l’emploi qui fait l’objet du contrat ne peut être désigné que par un terme étranger sans correspondant en français, le contrat de travail comporte une explication en français du terme étranger.
Lorsque le salarié est étranger et le contrat constaté par écrit, une traduction du contrat est rédigée, à la demande du salarié, dans la langue de ce dernier. Les deux textes font également foi en justice. En cas de discordance entre les deux textes, seul le texte rédigé dans la langue du salarié étranger peut être invoqué contre ce dernier.
L’employeur ne peut se prévaloir à l’encontre du salarié auquel elles feraient grief des clauses d’un contrat de travail conclu en méconnaissance du présent article (Code du travail, art. L. 1221–3).
Aussi, même s’il est exécuté à l’étranger, tout contrat de travail écrit conclu en France doit être rédigé en français. Et l’employeur qui ne respecterait pas cette obligation ne pourra pas se prévaloir, à l’encontre du salarié des clauses contractuelles rédigées dans une autre langue.
En outre, le fait de ne pas mettre à la disposition d’un salarié une version en langue française d’un document comportant des obligations à l’égard de ce salarié ou dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail est puni d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe.
En revanche, les contrats signés à l’étranger et exécutés totalement ou partiellement en France peuvent être rédigés en langue étrangère.
Le 29 juin 2011, la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09–67492) a déclaré inopposable à un salarié des objectifs dont dépendait la partie variable de sa rémunération, puisqu’ils avaient été rédigés en anglais.
Il y a peu de temps encore, le 2 avril 2014 (Cass. soc., 2 avril 2014, n° 12–30191), elle a rappelé le même principe : tous les documents qui imposent des obligations aux salariés ou qui sont nécessaires à l’exécution du travail doivent être rédigés en français. Tel est le cas de documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable d’un salarié. A défaut, ils lui sont inopposables, l’employeur devant en effet s’assurer que le salarié a une parfaite compréhension des obligations résultant de son contrat de travail.
Ce principe s’applique même si le salarié travaille en utilisant la langue anglaise.
Une exception à ce principe de rédaction en français a néanmoins été admise pour des documents liés à l’activité d’une entreprise de transport aérien. Partant du principe que « les documents liés à l’activité de l’entreprise de transport aérien dont le caractère international implique l’utilisation d’une langue commune », la Cour de cassation a considéré que « pour garantir la sécurité des vols, il est exigé des utilisateurs, comme condition d’exercice de leurs fonctions, qu’ils soient aptes à lire et comprendre des documents techniques rédigés en langue anglaise » (Cass. soc., 12 juin 2012, n° 10–25822).
Le règlement intérieur de l’entreprise
Le règlement intérieur est un document qui précise un certain nombre d’obligations réciproques, notamment en matière d’hygiène, de sécurité ou de sanctions, que le salarié et l’employeur doivent respecter à l’intérieur de l’entreprise.
Il ne contient que des informations concernant :
- les mesures d’application de la réglementation en matière de santé et de sécurité dans l’entreprise ou l’établissement ;
- les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être appelés à participer, à la demande de l’employeur, au rétablissement de conditions de travail protectrices de la santé et de la sécurité des salariés, dès lors qu’elles apparaîtraient compromises ;
- les règles générales et permanentes relatives à la discipline (notamment la nature et l’échelle des sanctions que peut prendre l’employeur) ;
- les dispositions relatives aux garanties de procédure prévues pour le salarié si l’employeur envisage une sanction disciplinaire ;
- les dispositions relatives aux droits de la défense des salariés et aux harcèlements moral et sexuel.
Il doit être rédigé en français et peut être accompagné de traductions en une ou plusieurs langues étrangères (Code du travail, art. L. 1321–6).
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Les logiciels et documents de travail : pas d’exception
Les notices de logiciels et autres documents nécessaires au travail doivent être traduits de l’anglais au français.
Plusieurs entreprises de dimensions internationales de renom se sont vues condamnées pour n’avoir pas fourni cette traduction aux salariés qui les utilisaient.
Leurs arguments étaient les suivants :
- les logiciels sont développés par la holding pour une vocation internationale : ils sont utilisés dans les pays du monde entier par toutes les filiales du groupe ;
- ils sont utilisés par un nombre très limité de salariés français qui ont reçu une formation linguistique appropriée et un guide d’utilisation en français.
Ces arguments n’ont pas convaincu les juges qui ont constaté :
- qu’ils étaient destinés à être utilisés par des salariés français au sein d’une entreprise située en France ;
- et qu’ils avaient été développés et implantés à la demande de la holding, société française dont le siège social est situé en France.
Evaluation des salariés |
Sur le fondement de l’article L.1321–6 du Code du travail spécifiant que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français, que la seule exception concerne les documents reçus de l’étranger ou destiné à des étrangers », le tribunal de Nanterre juge que « l’outil e-performance et les documents annexes doivent être établis en français ». Ce dernier avait été saisi à la demande du CCE de la société British Telecom France afin de lui ordonner de suspendre son outil d’évaluation des salariés tant qu’il ne serait pas traduit en français. Les membres du CCE ont obtenu gain de cause (ordonnance de référé du TGI de Nanterre du 26 juin 2011). |
Par Caroline Gary, Chargée de relations humaines en entreprise
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