Les lois Auroux : 30 ans après…

Publié le 10/09/2012 à 00:00, modifié le 11/07/2017 à 18:23 dans Relations avec les représentants du personnel.

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Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.

Financement des comités d’entreprises, création des CHSCT, négociation annuelle obligatoire : il y a trente ans, les lois Auroux voulaient faire des salariés « des citoyens dans l’entreprise ». Qu’en reste-t-il aujourd’hui dans notre pays qui connaît un taux de syndicalisation des salariés le plus bas des pays de l’OCDE ?

Les partenaires sociaux ont engagé il y a 3 ans une concertation sur l’évolution des instances de représentation du personnel. Le Gouvernement souhaite qu’elle aboutisse avant la fin de l’année.

Les Lois Auroux : un contre-pouvoir des instances représentatives du personnel, pas de la cogestion…

Les lois Auroux replacées dans leur contexte

Parmi les 110 propositions du candidat François Mitterrand, figuraient deux mesures phares en matière de droit du travail :

  • la première visait à donner un droit de veto au comité d’entreprise sur les licenciements ;
  • la seconde devait permettre au comité d’hygiène et de sécurité d’arrêter les machines dangereuses.

Ces deux propositions avaient clairement pour but de limiter le pouvoir du chef d’entreprise en imposant un véritable contre-pouvoir salarié. Mais ces deux mesures furent pourtant absentes des lois Auroux.

Replaçons ces lois :

  • dans leur contexte économique : celui d’une détérioration de la situation économique, perceptible dès l’automne 1981, manifeste au printemps 1982 ;
  • dans leur contexte syndical : ces lois ont donné des outils aux syndicats à une période où le syndicalisme était en déclin.

Objectif des lois Auroux : faire des travailleurs des « citoyens » à part entière dans l’entreprise

Les lois Auroux avaient pour objectif de renforcer la protection des salariés et de leurs représentants.

La première loi, celle du 4 août 1982 sur les libertés dans l’entreprise instaure un droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail tout en encadrant le pouvoir disciplinaire de l’employeur (règlement intérieur et interdiction de la discrimination).

La loi du 28 octobre 1982 sur les instances représentatives du personnel étend le rôle économique du comité d’entreprise avec un suivi par le CE de la marche économique de l’entreprise. Elle vise à assurer « une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail et aux techniques de production ».

Cette loi crée aussi l’obligation patronale de verser au CE un budget de fonctionnement égal à 0,2 % de la masse salariale destiné à assurer au CE une autonomie financière pour exercer ses attributions économiques. Elle instaure aussi les comités de groupe.

La loi du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail introduit une obligation de négocier tant au niveau de la branche que de l’entreprise dans certains domaines et selon une périodicité définie par la loi. Elle institutionnalise la possibilité de conclure, dans certains domaines et dans des conditions définies par la loi, des conventions et accords collectifs de travail dérogeant à des dispositions législatives et réglementaires. La possibilité de conclure de tels accords dérogatoires est toutefois encadrée, lorsqu’ils sont conclus dans l’entreprise ou l’établissement, par le droit d’opposition éventuel des organisations syndicales non signataires.

La loi du 23 décembre 1982 crée les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) qui succèdent aux CHS de 1947. Leur but principal était de faire appliquer les règles de prévention dans les entreprises.

En 1982, il s’agissait bien plus de promouvoir un modèle fondé sur la négociation et sur le dialogue social plutôt que d’organiser un contrepouvoir salarié contrecarrant le pouvoir patronal.

L’objectif était bien de mettre en place nouvelle « démocratie économique » supposant une intervention plus étendue et active des travailleurs dans la gestion des entreprises, pas de remettre en cause le pouvoir de décision du chef d’entreprise, ni de s’engager sur la voix de la cogestion.

Le législateur de l’époque partait du postulat que l’entreprise est une entité qui rassemble des intérêts différents, parfois éloignés les uns des autres, ceux des propriétaires, des dirigeants, des salariés. Il fallait qu’ils trouvent ensemble des équilibres permettant d’atteindre une performance globale. Mais chacun devait rester à sa place.

L’employeur est tenu de laisser aux représentants du personnel le temps nécessaire à l’exercice de leurs fonctions C’est ce que l’on appelle le « crédit d’heures » ou heures de délégation. Les Editions Tissot vous proposent de télécharger un tableau récapitulatif des heures de délégation accordées aux représentants du personnel.

Crédits d’heures mensuels des représentants du personnel (pdf | 1 p. | 40 Ko)

Aujourd’hui, le droit des institutions représentatives du personnel issu de ces lois est-il toujours adapté ?

Les lois Auroux sont-elles devenues obsolètes ?

A l’époque où ces lois ont été rédigées, l’économie n’était pas mondialisée, les entreprises n’ayant pas à faire face à la concurrence des pays dits émergents. Si déjà certaines entreprises faisaient partie de groupes d’importance mondiale, les actionnaires n’étaient pas des fonds d’investissement mais des entrepreneurs.

Les employeurs qui voulaient licencier pour motif économique devaient y être préalablement autorisés puisque depuis la loi nº 75–5 du 3 janvier 1975, ils devaient solliciter et obtenir une autorisation administrative de licenciement. Ce n’est plus le cas depuis 1986.

Et ce n’est pas tout. Les modifications introduites dans le droit de la négociation collective ne sont pas sans effet sur celui des institutions représentatives du personnel. La loi portant rénovation de la démocratie sociale de 2008 qui réforme la représentativité syndicale, n’appelle-t-elle pas une réforme des instances représentatives du personnel ?

Il est vrai qu’aujourd’hui, nombre de dirigeants d’entreprises, de membres d’institutions représentatives du personnel, de salariés, estiment qu’il y a une confusion dans le rôle des représentants du personnel. Cette confusion peut être sujet de conflit, de concurrence entre les partenaires sociaux. CE, CCE, comité de groupe, comité européen, DP, CHSCT, DS, RSS, représentants syndicaux au CE, etc. Qui fait quoi ? Avec quels moyens ? Et que peut-on initier sans moyens financiers ?

Le rôle du CHSCT par exemple n’a eu de cesse de s’élargir à toute forme de prévention et d’anticipation de risques au travail : risques technologiques, aspects psychosociaux du travail. Aujourd’hui, le projet social du CHSCT se place sous l’angle de l’amélioration des conditions de travail et de la protection de la santé des salariés. La loi et les juges lui confèrent ce rôle d’acteur qui interpelle régulièrement les choix organisationnels de l’entreprise. Mais pour autant, ces sujets là peuvent aussi être abordés en CE ou avec les DP. Et puis nombre de sujets sont à la fois de la compétence des membres du CE, des DP, du CHSCT. Est-ce bien nécessaire alors d’aborder la question au sein de chaque institution avec des interlocuteurs différents ?

Certes, il est clair sur le papier que les DP sont des élus de terrain qui portent les réclamations salariales devant l’employeur. Ils portent des réclamations, pas des revendications, ça c’est de la compétence des DS. Mais la frontière est parfois bien mince entre les deux. Pas toujours facile de s’y retrouver tant les règles applicables aux institutions représentatives du personnel, élaborées par stratifications successives au fil des années sont nombreuses, détaillées et complexes : un vrai mille-feuille juridique !

Quelles évolutions possibles ?

Des pistes d’évolution sont évoquées depuis longtemps : la mise en place d’une instance unique de consultation et de négociation, la fusion partielle ou totale des instances élues ou encore la certification et la publication des comptes du CE.

Une instance unique regroupant comité d’entreprise, délégués du personnel et CHSCT ? Cette proposition est fréquemment évoquée depuis longtemps. Certains même veulent créer une instance unique de concertation fusionnant les instances représentatives élues et syndicales.

Autre piste de réflexion : le seuil obligatoire à partir duquel de telles instances doivent être mises en place. D’aucuns disent qu’à 11 salariés, seuil de mise en place des délégués du personnel, la proximité entre le chef d’entreprise et ses salariés se vit au quotidien et que le dialogue social se construirait mieux sans passer par la mise en place d’un cadre institutionnel. Certains préconisent les mises en place d’instances obligatoires au dessus de 50 ou 100 salariés.

Le financement des institutions est aussi source de débats : Ne faut-il pas doter dans la loi les CCE et les CHSCT de moyens financiers ou sinon en faire des commissions ad hoc ? Ne serait-il pas plus sain de professionnaliser la tenue des comptes de ces instances et d’imposer la tenue d’une vraie comptabilité claire et transparente assortie d’un contrôle des comptes par un professionnel ?

Faut-il limiter le nombre de mandats successifs au sein des instances, revoir les règles de cumul des mandats ?

C’est à tous ces sujets relatifs à l’évolution des instances de représentation du personnel que réfléchissent partenaires sociaux, législateurs et Gouvernement. Le Gouvernement souhaite que des pistes se dégagent avant la fin de l’année.

Pour plus de précisions sur la répartition des missions de chaque instance représentatives du personnel, leur crédit d’heures, leurs moyens d’actions, les Editions Tissot vous conseillent leur ouvrage « Guide Pratique des Représentants du Personnel ».


Caroline Gary, chargée de relations humaines en entreprise