Liberté d’expression : dans quelle mesure pouvez-vous sanctionner un salarié pour ses propos critiques ?

Publié le 09/12/2021 à 12:25, modifié le 13/12/2021 à 12:19 dans Sanction et discipline.

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La liberté d’expression permet aux salariés d’exprimer leur opinion, notamment critique. Cette liberté ne peut être limitée qu’à certaines conditions. En tout état de cause, la liberté d’expression n’est pas absolue. Les salariés ne doivent pas tenir de propos abusifs sous peine de s’exposer à des sanctions disciplinaires.

Liberté d’expression : une garantie accordée à tout salarié

La liberté d’expression permet à tout individu d’exprimer ses opinions par n’importe quel moyen, sans pouvoir en être inquiété.

Cette liberté figure dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC), ce qui lui confère une valeur constitutionnelle. De ce fait, les lois françaises doivent garantir la liberté d’expression des citoyens.

La liberté d’expression bénéficie ainsi à tout salarié, dans l’entreprise comme en dehors. Et leur permet notamment de s’exprimer sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise.

Dans une affaire récemment soumise à la Cour de cassation, un salarié avait critiqué la politique de son entreprise en matière de véhicules de fonction. Il la considérait incohérente. Il avait adressé ces critiques au personnel encadrant et à la direction de la société par courriels. Et ce, en employant un ton ironique.

Il s’était vu infliger un avertissement par son employeur. Suite au licenciement qui lui avait été notifié ultérieurement, le salarié avait sollicité l’annulation de cet avertissement devant le conseil de prud’hommes et le versement de dommages et intérêts pour sanction abusive.

La Cour de cassation réaffirme dans cette décision la liberté d’expression du salarié. Elle indique que celle-ci ne peut être limitée que si la nature de la tâche à accomplir le justifie. La restriction doit par ailleurs être proportionnée au but recherché (Code du travail, art. L. 1121-1).

La Cour de cassation indique toutefois que le salarié ne doit pas abuser de sa liberté d’expression.

Liberté d’expression : l’abus peut justifier le prononcé d’une sanction disciplinaire

L’exercice de sa liberté d’expression par un salarié ne saurait justifier le prononcé d’une sanction à son encontre. Mais vous retrouvez la faculté d’user de votre pouvoir disciplinaire dès que le salarié abuse de cette liberté. Tel est le cas lorsqu’il use de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

La sanction peut aller jusqu’au licenciement selon les circonstances (ancienneté du salarié, antécédents disciplinaires, gravité des propos). Il conviendra de convoquer le salarié à un entretien préalable sauf si vous envisagez de prononcer à son encontre un avertissement ou une sanction de même nature.

Attention
La liberté d’expression est une liberté considérée comme fondamentale. Si les juges considèrent que le salarié n’a pas abusé de cette liberté, son licenciement encourt alors la nullité. Il vous faut donc demeurer objectif dans l’appréciation des propos reprochés au salarié.

Pour apprécier le caractère excessif des propos émis, vous pouvez vous référer à leur teneur, leur degré de diffusion, aux fonctions exercées par le salarié ou à la nature du poste qu’il occupe, ainsi qu’à l’activité de l’entreprise.

Pour en savoir plus sur l’abus de la liberté d’expression au travail, et sur les différentes sanctions disciplinaires que vous pouvez prononcer à l’encontre d’un salarié qui commet un tel abus, nous vous recommandons notre documentation « Gérer le personnel ACTIV » qui inclut la procédure interactive Lumio « Sanctionner le salarié : de l’avertissement au licenciement disciplinaire ».

Vous pouvez également d’ores et déjà télécharger notre modèle d’avertissement.

Lettre d'avertissement

En l’espèce, l’employeur reprochait au salarié d’avoir tenu des propos déplacés et méprisants à l’égard de ses collègues de travail et de sa supérieure hiérarchique, excédant les limites de la liberté d'expression.

La cour d’appel avait refusé d’annuler l’avertissement prononcé pour ces motifs. Elle considérait que les courriels envoyés par le salarié dépassaient clairement les limites de son droit d'expression et de critique admise au sein de l'entreprise. Ils avaient en effet pour but manifeste de mettre la directrice générale en difficulté, et le salarié faisait usage d'un ton ironique à l'encontre de sa direction.

Mais elle n’avait pas constaté que les courriels comportaient des termes injurieux, diffamatoires ou excessifs. La Cour de cassation considérait donc que la décision de la cour d’appel n’était pas justifiée.


Cour de cassation, chambre sociale, 24 novembre 2021, n° 20-18.143 (sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées)

Amélie Gianino

Juriste en droit social