Liberté religieuse : clarification sur la politique de neutralité

Publié le 27/11/2017 à 07:15, modifié le 29/11/2017 à 16:27 dans Sanction et discipline.

Temps de lecture : 6 min

Contenu ancien

Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.

Dans quelle mesure l’employeur peut-il restreindre la liberté religieuse des salariés qui sont en contact avec la clientèle de l’entreprise ? Transposant des décisions rendues par la CJUE dans le cadre de deux précédentes questions préjudicielles, la Cour de cassation est venue clarifier le cadre d’instauration d’une politique de neutralité au sein d’une entreprise.

Politique de neutralité : exigence de nécessité et de proportionnalité

Au sein d’une communauté de travail, chaque salarié bénéficie de libertés et de droits fondamentaux et vous vous devez, en tant qu’employeur de les faire respecter. Aucun salarié ne peut alors faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte en raison notamment de ses convictions religieuses (Code du travail, art. L. 1132-1).

Rappel
Le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions restreignant le droit des personnes ainsi que les libertés individuelles et collectives, sauf si celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché (C. trav., art. L. 1321-3).

Pour autant, la loi travail vous permet d’inscrire dans le règlement intérieur des dispositions relatives au principe de neutralité restreignant la manifestation des convictions de vos salariés face à la clientèle (C. trav., art. L. 1321-2-1). Ce texte s’aligne sur le raisonnement opéré dans l’affaire Baby Loup du 25 juin 2014 jugeant la clause de neutralité valide aux motifs notamment que l’association en question était de taille réduite et que la restriction n’était destinée qu’au personnel en contact avec les enfants.

Un récent arrêt de la Cour de cassation du 22 novembre vient s’inscrire dans cette lignée tout en tirant les conséquences de deux questions préjudicielles auxquelles la CJUE a apporté une réponse le 14 mars dernier (CJUE, Asma Bougnaoui, aff. C-188/15 ; 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, aff. C-157/15).

Ces deux décisions viennent préciser l’interprétation à retenir de la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000 s’agissant du licenciement prononcé à l’égard de deux salariées qui avaient refusé de retirer leur foulard islamique lors de contact avec la clientèle.

S’agissant de la question posée par la cour de justice belge, la CJUE précise que l’interdiction de porter le foulard islamique résultant d’une règle interne interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion. Les juges avaient précisé que face au refus de la salariée de se conformer à cette restriction, l’employeur aurait dû lui proposer un poste de travail n’impliquant pas de contact visuel avec les clients plutôt que de procéder à son licenciement.

Dans le cadre de la question préjudicielle française, les juges européens indiquent néanmoins que la prise en compte par l’employeur du souhait d’un client de ne plus voir les services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne constitue pas une exigence professionnelle essentielle et déterminante.

Se conformant à cette interprétation, la Cour de cassation vient préciser les conditions d’une éventuelle restriction de la liberté religieuse dans l’entreprise.

En l’espèce, une salariée, ingénieur d’études a été licenciée pour faute pour avoir refusé d’ôter son foulard islamique lorsqu’elle intervenait dans les entreprises clientes de la société. Cette mesure ne résultait alors que d’un ordre oral et nullement d’une clause de neutralité intégrée au règlement intérieur. La Cour d’appel avait jugé le licenciement justifié en estimant que la restriction était justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché car limitée au contact avec la clientèle.

A contrario, la haute juridiction estime que le licenciement tait discriminatoire au motif qu’aucune clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail n’était prévu dans le règlement intérieur ou dans une note de service et que l’interdiction, formulée oralement, visait clairement une religion déterminée. Ainsi, tel que décidé par la CJUE, elle rappelle que la seule prise en compte des exigences d’un client concernant le port du voile islamique ne permet de justifier une telle restriction. Les juges consacrent alors le caractère exclusif des clauses de neutralité dans la mise en place d’une telle politique.

Les Editions Tissot vous proposent un modèle personnalisable de règlement intérieur à jour des dispositions de la loi travail.

Commandez le modèle de règlement intérieur

Politique de neutralité : quelles actions concrètes ?

Il résulte de cette jurisprudence un certain nombre d’indications sur le comportement à adopter si vous souhaitez interdire le port de signes religieux à l’égard des salariés en relation avec la clientèle sans que cette mesure ne soit constitutive d’une discrimination directe ou indirecte.

Il convient, afin d’éviter ce risque, de garder à l’esprit les modalités suivantes :

  • une clause de neutralité générale doit être intégrée au règlement intérieur ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur (C. trav., art L. 1321-2-1).
    En effet, à défaut de clause, l’entreprise commet une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses. Une clause de neutralité générale et indifférenciée, « interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail » doit alors figurer dans le règlement intérieur. Il faut bien entendu, pour que cette clause soit opposable avoir vérifié la procédure de dépôt auprès de l’inspection du travail et de consultation auprès des IRP.
    Attention : une telle politique est justifiée que si elle ne s’applique qu’aux salariés en contact avec la clientèle (application du principe de proportionnalité).
  • une exigence professionnelle essentielle et déterminante doit pouvoir motiver cette restriction : une clause de neutralité n’est pas gage de conformité pour l’entreprise car susceptible d’engendre une discrimination indirecte (mesure neutre en apparence mais discriminatoire dans les faits). Celle-ci relève de la nature de l’activité professionnelle ou des conditions de son exercice au sens de la directive 78/2000/CE. Ainsi, la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers de ses clients est une considération subjective.
  • face au refus du salarié de se conformer à la restriction prévue dans le règlement intérieur, il vous revient de rechercher à le reclasser, préalablement à tout licenciement, sur un poste plus adapté, sans contact visuel avec les clients. Le choix doit être fait en tenant compte des contraintes inhérentes à l’entreprise et sans que celle-ci ne subisse de charge supplémentaire.
Notez-le
De simples chartes d’éthique, dépourvues de caractère obligatoire et disciplinaire ne sauraient fonder un licenciement.
Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 22 novembre 2017, n° 13-19.855


Arrêt Cour de cassation, chambre sociale, n°13-19.855 du 22 novembre 2017
CJUE, Asma Bougnaoui, aff. C-188/15 ; 14 mars 2017,
CJUE, G4S Secure Solutions, aff. C-157/15,14 mars 2017

Leslie Lacalmontie

Juriste-rédactrice