Métallurgie : l’accord d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à l’année épinglé !

Publié le 21/03/2019 à 09:30 dans Temps de travail métallurgie.

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En 2016, la loi travail permettait qu’un accord de branche puisse prévoir un aménagement du temps de travail sur une période pouvant aller jusqu’à 3 ans. Très peu de temps après, les partenaires sociaux de la métallurgie signaient un accord expérimental dans ce sens. Mais la CGT a saisi le Comité européen des droits sociaux (CEDS) estimant cette disposition contraire à la Charte sociale européenne. Ce Comité vient de rendre sa décision…

Aménagement du temps de travail sur 3 ans dans la métallurgie : une possibilité offerte depuis 2016

Le principe en droit français est le paiement des heures supplémentaires à la semaine : toute heure supplémentaire effectuée au-delà de 35 heures ouvre droit à une majoration. Il existe néanmoins des possibilités d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine, mais n’excédant pas l’année, également appelée modulation du temps de travail.

En 2016, la loi travail est allée plus loin. L’article L. 3121-41 du Code du travail prévoit la possibilité de conclure un aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et au plus égale à 3 ans.

Important
Cette possibilité n’est offerte qu’aux branches ayant négocié un accord.

Le 23 septembre 2016, la branche de la métallurgie signait un accord relatif à l’emploi dans la branche. Le titre II de cet accord appelé « adaptations aux variations conjoncturelles de l’activité » prévoit la possibilité pour les entreprises de la branche d’aménager le temps de travail sur une période pouvant aller jusqu’à 3 ans.

Les partenaires sociaux relevaient que certaines entreprises étaient soumises à des variations d’activité qui répondent à des cycles qui dépassent l’année. La possibilité d’aménager le temps de travail sur une période pouvant aller jusqu’à 3 ans permettrait aux entreprises concernées de moduler le temps des salariés sur une période plus longue. L’accord de branche laisse le soin aux entreprises de prévoir des contreparties adéquates.

Concrètement, les salariés des entreprises ayant négocié de tels accords sont payés sur une base lissée de 35 heures pendant des périodes de fortes ou de faibles activités. Les éventuelles heures supplémentaires qui n’auraient pas été récupérées pendant les périodes de faibles activités sont, quant à elles, réglées en fin de période.

Pour la CGT, cette possibilité offerte par la loi travail n’est pas conforme à la Charte sociale européenne.

Pour le syndicat, un accord conclu sur plusieurs mois, voire même sur 3 années, prive les salariés de la majoration des heures supplémentaires et par conséquent n’est pas conforme à l’article 4 paragraphe 2 de la Charte sociale européenne prévoyant que tous les travailleurs ont droit à une rémunération équitable.

Par conséquent, le syndicat a saisi le Comité européen des droits sociaux (CEDS), instance de contrôle en charge de juger la conformité des textes à la Charte sociale européenne, afin de savoir si un aménagement du temps de travail sur une période pouvant aller jusqu’à 3 ans était conforme à la Charte sociale européenne.

Métallurgie : vers une annulation des accords d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à l’année et pouvant aller jusqu’à 3 ans ?

Le Comité européen des droits sociaux indique que les heures supplémentaires doivent être réglementées et qu’une période de référence pouvant aller jusqu’à 12 mois est acceptable sous réserve qu’elle soit justifiée par des motifs objectifs ou techniques ou des raisons tenant à l’organisation du travail.

En revanche, le Comité estime qu’une période de référence d’une durée supérieure à 12 mois a pour effet de priver les travailleurs du droit à un taux de rémunération majorée pour les heures de travail supplémentaires étant donné que la durée de travail hebdomadaire peut être augmentée durant une longue période sans majoration de la rémunération pour les heures supplémentaires.

Néanmoins, dans le cadre de ces aménagements, les périodes hautes sont compensées par des périodes de plus basse activité permettant de lisser la rémunération. Mais pour le Comité, cette alternance de haute et de basse activité pendant une période supérieure à l’année n’est pas suffisante : dans sa décision, le Comité précise que les périodes de basse activité ne constituent pas une compensation adéquate et que l’aménagement sur plus de 12 mois pourrait avoir des effets négatifs sur la santé et la sécurité ainsi que sur l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée des salariés.

Par conséquent, il estime qu’un aménagement sur une période de référence supérieure à un an et pouvant atteindre 3 ans n’est pas raisonnable et, de ce fait, non conforme à la Charte sociale européenne.

Pour l’heure, seule la branche de la métallurgie a laissé la possibilité de négocier un aménagement du temps de travail sur une période supérieure à l’année et dans la limite de 3 ans et cela à titre expérimental pendant 5 ans. Très peu de sociétés ont négocié des accords d’entreprise prévoyant un aménagement sur une période supérieure à l’année.

Cette décision du Comité ne remet pas automatiquement en question les accords signés par les partenaires sociaux. Néanmoins, il conviendra de suivre attentivement les décisions des juridictions françaises éventuellement saisies sur ce sujet qui pourraient déclarer illicite le recours à un aménagement du temps de travail sur une période supérieure à 12 mois ou en resserrer très fortement les conditions d’utilisation.

En effet, les juges français peuvent utiliser les décisions du CEDS pour fonder leurs décisions et pourraient condamner des sociétés utilisant un accord d’aménagement du temps de travail sur plus d’une année à des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires.

À titre d’exemple, souvenons-nous des décisions du CEDS sur le forfait jours. Le CEDS dans plusieurs décisions avait indiqué que le forfait jours était non conforme à la Charte sociale européenne. Les juges français n’ont pour autant pas interdit le recours au forfait jours mais ont veillé au respect de plusieurs conditions supplémentaires afin que l’utilisation du forfait jours ne soit pas contraire à la Charte sociale européenne. L’accord prévu dans la branche de la métallurgie avait d’ailleurs été déclaré valable par les juges français.

Ce dispositif expérimental dans la métallurgie sera-t-il aménagé, reconduit ou suspendu ? A suivre…

Décision du Comité européen des droits sociaux (CEDS) - Réclamation 154-2017 - 15 mars 2019

Décision du CEDS, publiée le 15 mars 2019, Réclamation n° 154/2017