Photographies extraites d’un groupe Messenger : quand le droit à la preuve s’en mêle
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Les réseaux sociaux bousculent la frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle de vos salariés. Pour preuve, votre ingérence dans leur vie privée, à première vue injustifiée, peut emprunter une certaine légitimité, notamment lorsque vous êtes amené à devoir prouver, en justice, le bien-fondé d’un licenciement. Exemple avec la possibilité de produire des photographies extraites d’un groupe de discussion Messenger.
Élément de preuve illicite : recevable sous quelles conditions ?
Pour être licite et donc recevable en justice, une preuve doit, entre autres, respecter une exigence de loyauté et ne pas porter une atteinte disproportionnée à la vie personnelle du salarié.
A titre d’exemple, ont pu être rejetées des débats les preuves obtenues par l’intermédiaire :
d’un stratagème ;
d’un dispositif de vidéosurveillance ou de géolocalisation illicite ;
ou encore d’un détective privé.
Néanmoins, la Cour de cassation admet, en vertu du droit à la preuve, que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats.
En effet, le droit à la preuve permet de justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié dès lors que :
cette production est indispensable à l'exercice de ce droit, c’est-à-dire que l’employeur est dans l’impossibilité d’utiliser d’autres moyens de preuve plus respectueux ;
et que l'atteinte emportée est strictement proportionnée au but poursuivi.
Ce faisant, pour apprécier la recevabilité d’une preuve a priori illicite, il appartient au juge de déterminer si son utilisation a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. Pour ce faire, il doit mettre en balance :
d’une part, le droit au respect de la vie personnelle du salarié ;
d’autre part, le droit à la preuve.
C’est ainsi que la Cour de cassation précise, au fil des contentieux, la considération à retenir sur les éléments de preuve mobilisés en justice. Récemment, elle a eu l’occasion de se prononcer sur la production de photographies issues d’un groupe de conversation privé, créé sur le réseau social Messenger.
Nouvelle illustration du droit à la preuve : la production de photographies tirées d’une conversation privées sur les réseaux sociaux
La présente affaire débute par le licenciement de deux salariées pour faute grave. Employées en qualité d’infirmière, ces dernières exerçaient leurs fonctions au sein du service d’accueil des urgences de nuit.
Pour justifier sa mesure, l’employeur invoque des faits d’une gravité inouïe.
Et pour cause, les salariées ont, avec d’autres collègues, introduit et consommé de l’alcool dans l’hôpital, et ce, dans le cadre de soirées festives organisées en son sein, parfois même pendant la durée du service. De mauvais traitements ont alors été infligés aux patients à l’occasion de ces évènements.
Ces dernières ont également participé à une séance photo, en maillot de bain, dans une salle de suture de l’hôpital. Clichés alors partagés sur le groupe Messenger auquel les salariées appartenaient.
Afin de corroborer sa première salve de reproches, l’employeur produit plusieurs éléments, à savoir :
le témoignage écrit d’une aide-soignante ;
une alerte donnée par une autre collègue du service ;
des extraits de conversations tirés du groupe Messenger ;
et une liste, découverte lors de l’ouverture des vestiaires de ses collègues, répartissant les denrées et boissons à apporter entre les participants.
Au sujet, ensuite, des prises de vue à découvert, l’employeur s’appuie sur des photos et vidéos tirés de ce même groupe Messenger.
Contestant le bien-fondé de leur licenciement, les salariées arguent notamment de l’irrecevabilité de ces différents éléments de preuves. Cependant, les juges du fond ne suivent pas.
La cour d’appel de Versailles considère en effet que :
l’attestation de l’aide-soignante, bien qu’elle ne réponde pas aux exigences de formalisme posées par le code de procédure civile, était suffisamment crédible dans la mesure où la salariée avait, au préalable, alerté ses collègues de l’encadrement et que d’autres éléments de preuve étaient venus confirmer son témoignage ;
l’alerte donnée pouvait être prise en compte même si son caractère anonyme en altérait la force probante ;
les photographies étaient légitimement produites aux débats dans la mesure où elles avaient été prises sur le lieu de travail, à destination d’une ancienne collègue, et relevaient donc de la sphère professionnelle.
Devant la Cour de cassation, les débats se concentrent sur la possibilité de mobiliser le droit à la preuve au regard des conversations et photographies issues du groupe Messenger.
Selon les salariées, les juges d’appel n’ont pas démontré que ces éléments étaient indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnés au but poursuivi. Mais une fois encore, elles ne sont pas suivies dans leur analyse.
La Cour de cassation considère, à l’inverse, que les énonciations et constatations de la cour d’appel ont démontré que la production de ces clichés était effectivement indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi.
Le but présentement identifié étant celui de la défense de l’intérêt, légitime, de l’employeur à la protection des patients confiés au personnel de son établissement.
En conséquence, l’ensemble des éléments de preuve présentés par l’employeur étant recevables, ils permettaient de caractériser les manquements des salariées et donc de justifier leur licenciement.
Pour en savoir davantage sur la mise en œuvre d’une procédure de licenciement, et notamment sa motivation, nous vous proposons notre documentation « Gérer le personnel ACTIV ».
Cour de cassation, chambre sociale, 4 octobre 2023, n° 22-18.217 et n° 22-18.452 (la production des photographies extraites du compte Messenger portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la protection des patients, confiés aux soins des infirmières employées dans son établissement)
Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot
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