Prenez garde aux méthodes d’évaluation des objectifs trop « stressantes »

Publié le 13/11/2012 à 00:00, modifié le 11/11/2019 à 16:51 dans Sécurité et santé au travail.

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La jurisprudence est très sévère envers les systèmes de management et d’évaluation des performances des salariés susceptibles de compromettre leur santé et leur sécurité. Aujourd’hui, les juges font un pas de plus en avant et sanctionnent un système de fixation des objectifs qui atteint la santé mentale des salariés.

En septembre dernier, les juges se sont prononcés sur un système d’évaluation informatique mis en place par une banque importante qui visait à confronter en permanence les performances des commerciaux de chaque agence : ces derniers n’étaient pas soumis à des objectifs fixés individuellement mais devaient, en utilisant l’outil mise en place, « faire mieux que les autres » et faire en sorte que leur agence ait les meilleurs résultats.

Le médecin du travail, constatant une augmentation des troubles anxiodépressifs, des accidents cardio-vasculaires et des troubles musculo-squelettiques chez les employés demande à l’employeur de retirer ce dispositif d’évaluation des performances. Ce dernier n’obtempère pas mais met en place un observatoire des risques psychosociaux, un numéro vert et un plan d’action qualité du travail.

Un syndicat de l’entreprise saisit alors le juge pour obtenir l’interdiction de ce système. Et obtient gain de cause. (TGI Lyon, 1ère ch. Sect. 2, 4 septembre 2012, n°11/05300).

Les juges ont considéré que ce système d’évaluation compromettait la santé des salariés en créant, entre autres :

  • une atteinte à la dignité des personnes par leur dévalorisation permanente, utilisée pour créer une compétition ininterrompue entre les salariés ;
  • un sentiment d’instabilité du fait qu’il n’y a aucune possibilité de se situer dans l’atteinte d’objectifs annuels puisque le résultat de chacun est conditionné par celui des autres ;
  • une culpabilisation permanente du fait de la responsabilité de chacun dans le résultat collectif ;
  • un sentiment de honte d’avoir privilégié la vente au détriment du conseil du client ;
  • une incitation pernicieuse à passer outre la réglementation pour faire du chiffre ;
  • une multiplication des troubles physiques et mentaux constatés : troubles anxiodépressifs, accidents cardio-vasculaires, et troubles musculo-squelettiques.

Les juges considèrent que les mesures mises en place par l’employeur sont insuffisantes et ne visent pas à supprimer le risque à la source mais à intervenir a posteriori une fois que le risque est révélé.

Dans l’attente d’une décision de la Cour de cassation, cette jurisprudence, doit conduire les entreprises à réfléchir sur les méthodes d’évaluation des performances des salariés.

Les risques psychosociaux sont de plus en plus souvent appréhendés par les tribunaux qui veillent à la protection non seulement de la santé physique des salariés mais également de leur santé mentale. La responsabilité des employeurs au titre de l’obligation de sécurité a été retenue en cas de suicide ou de dépression provoquée par des méthodes de gestion anxiogènes. Parfois même, le délit de harcèlement moral peut être caractérisé.

Face à cette évolution, les entreprises doivent proscrire tout système trop stressant de gestion de performances et surtout une mise en concurrence et une évaluation permanente.

Notons enfin que les juges tiennent le même raisonnement pour des méthodes de fixation des objectifs contraires à la préservation de la sécurité « physique » du salarié.

Ainsi, une méthode d’évaluation qui pousserait les salariés à compromettre leur sécurité, telle par exemple une évaluation programmée sur une exigence de rendement trop élevé doit être proscrite. La fixation des objectifs et l’évaluation qui en découle ne doit pas conduire à un rythme de travail, à une intensité d’effort musculaire ou intellectuel, à une tension nerveuse imposant une fatigue excessive ou une charge de travail incompatibles avec les exigences en termes de santé physique.

Il y a quelques années, la jurisprudence a invalidé une clause d’objectifs fixant un nombre minimum de livraisons par jour pour un chauffeur, celle-ci pouvant le pousser à commettre des infractions au Code de la route et compromettre sa sécurité.

Sophie Valazza, juriste