Temps de trajet dans le BTP : quid de la situation d’un salarié utilisant un véhicule de l’entreprise pour se rendre sur chantier ?
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Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.
Décidément, la problématique du temps de trajet des salariés ne possédant pas un lieu de travail fixe est des sujets centraux occupant les juges de la Cour de cassation ces derniers mois. Après une dernière décision majeure rendue le 23 novembre 2022, rebelote avec une décision du 1er mars 2023. Qui pourrait remettre en question les pratiques des entreprises du BTP.
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Indemnisation du temps de trajet BTP : une interprétation en référence au droit européen
Le cadre juridique légal de l’indemnisation du temps de trajet quotidien entre le domicile et le lieu de travail repose sur deux articles du Code du travail.
Le premier est l’article L. 3121-1 qui énonce « la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». Le second est l’article L. 3121-4 qui énonce « le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif ». Peu importe le mode de transport, par exemple l’utilisation d’un véhicule mis à disposition par l’employeur.
Pour les salariés itinérants, ne possédant pas de lieu de travail fixe, une directive européenne de 2003 et une décision de la Cour de justice de l’Union européenne sont venues poser un principe clair : si durant le temps de trajet entre le domicile et le lieu de travail le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, alors ce temps de trajet doit être qualifié de temps de travail effectif et rémunéré comme tel.
Les juges français, longtemps réticent à cette qualification particulière du temps de trajet, se sont toutefois laissés convaincre.
Une illustration de ce revirement ? Une décision rendue par la Cour de cassation en date du 23 novembre 2022. Situation concrète : le salarié effectue le trajet entre son domicile et ses clients. Pendant ce trajet, le salarié utilise le kit main libre de son véhicule pour appeler les clients et ses collègues, prendre des rendez-vous, etc. Les juges en tirent comme connaissance que, même lors du temps de trajet, si le salarié est à la disposition de l'employeur et ne peut pas vaquer librement à des occupations personnelles, alors ce temps de trajet doit être intégralement considéré comme du temps de travail effectif. Payé selon le taux horaire habituel du salarié, et entrant en compte pour le calcul des heures supplémentaires.
Important
Comme vu dans notre article « Temps de trajet dans le BTP : les ouvriers de chantiers sont-ils assimilables à des salariés itinérants ? », il semble possible d’assimiler cette situation avec celle rencontrée par les entreprises du BTP vis-à-vis de leurs commerciaux terrains, métreurs voire des conducteurs de travaux.
Indemnisation du temps de trajet BTP : un élargissement des règles européennes aux salariés travaillant sur chantier ?
Les juges ont avant même la décision du 23 novembre 2022 pu qualifier du temps de trajet en temps de travail effectif en s’appuyant sur les principes du droit européen.
Ainsi, dans une décision du 3 juin 2020 rendue par la Cour de cassation, le trajet effectué entre le domicile et le client avec un véhicule de l'entreprise contenant parfois des colis appartenant au client a été qualifié de temps de travail effectif et indemnisé comme tel. Dans le BTP, une telle situation n’est pas courante…
Mais on pouvait s’interroger sur la position des juges sur une situation beaucoup plus habituelle dans les entreprises du Bâtiment ou des Travaux publics : celle du salarié devant amener avec un véhicule mis à sa disposition du matériel sur le chantier en partant directement de son domicile. Temps de trajet assimilé ou pas à du temps de travail effectif ?
Le suspense se réduit suite à un nouvel arrêt de la Cour de cassation en date du 1er mars 2023. Un salarié est amené à effectuer des opérations de maintenance chez des clients en partant directement de son domicile en début de journée. Son employeur lui fournit un véhicule de service et un planning d’intervention. Et le véhicule permet de transporter des pièces détachées commandées par le client nécessaires à la maintenance. Pour la Cour de cassation, on rentre bien dans du temps de trajet assimilable à du temps de travail effectif.
Ces faits sont plus que proches de la situation d’un salarié du BTP se rendant le matin sur le chantier selon le planning de travaux fourni par l’employeur et qui utilise pour ce trajet un véhicule de l’entreprise rempli du matériel et des matériaux permettant la réalisation du chantier !
Conseil
Les entreprises du BTP ont-elles un petit espoir d’éviter une indemnisation de ce temps de trajet pour tous leurs salariés placés dans une telle situation ? On peut toujours espérer car les décisions rendues ne concernent pour l’instant pas directement des entreprises du BTP. On pourrait par exemple considérer que les situations restent différentes car les matériaux ne sont pas commandés par les clients mais achetés par l’entreprise pour les besoins du chantier. Il n’y a donc pas d’opération de livraison à proprement parler… Argumentation qui reste faible. Reste une possibilité d’échappatoire fournie par la Cour de cassation elle-même : l’employeur peut toujours démontrer que le salarié n’était pas à la disposition de l’employeur et restait libre de vaquer à des occupations personnelles sur le trajet. Preuve incompatible par exemple avec une note de service expliquant au salarié qu’il ne peut utiliser le véhicule de service que pour les trajets directement liés à son activité professionnelle à l’exclusion de tout trajet privé. Une grande attention s’impose donc à notre sens face aux risques juridiques apportés par ces dernières jurisprudences pour les entreprises du BTP ayant des salariés occupés sur chantier.
Cour de cassation, chambre sociale, 1er mars 2023, n° 21-12.068 (si lors de ses temps de déplacements accomplis entre son domicile et les sites des premier et dernier clients, le salarié utilise un véhicule de service et se tient à la disposition de son employeur, ces temps de trajet sont décomptés comme du temps de travail effectif)
Expert en droit du travail et relations sociales, www.didrh.fr
Auteur des documentations SOCIAL BATIMENT, SOCIAL TRAVAUX PUBLICS et RESPONSABLE ET GESTIONNAIRE PAIE BTP pour les Editions Tissot. Formateur en droit du travail auprès des entreprises et des …
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