Expertise pour risque grave à l’initiative du CSE : précisions jurisprudentielles
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Expertise pour risque grave à l’initiative du CSE : rappel des règles applicables
Selon l’article L. 2315-94 du Code du travail, le comité social et économique peut faire appel à un expert habilité lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.
En pratique, ce risque peut être notamment révélé suite à :
- un ou plusieurs accidents du travail/maladies professionnelles ;
- une enquête menée par le CSE ou la CSSCT ;
- des observations du médecin du travail ou de l’inspection du travail par rapport aux conditions de travail ;
- l’exercice du droit de retrait d’un ou plusieurs salariés ;
- d’incidents répétés dans l’entreprise ou l’établissement ;
- etc.
La notion de risque « identifié et actuel » doit s’entendre cumulativement comme :
- un risque existant effectivement dans l’entreprise ou l’établissement ;
- un risque objectif pour la santé physique et mentale des salariés ;
- pouvant avoir des conséquences existantes ou à venir.
Le recours à un expert doit être voté en réunion plénière du CSE et le président ne prend pas part au vote. Le comité est libre de choisir le prestataire qui lui convient et d’accepter ou non les contours de sa mission, l’employeur ne pouvant s’y opposer.
L’expert a libre accès dans l’entreprise et il demande à l'employeur, au plus tard dans les trois jours de sa désignation, toutes les informations complémentaires qu'il juge nécessaires à la réalisation de sa mission. L'employeur répond à cette demande dans les 5 jours.
L’article L. 2315-86 du Code du travail précise que l'employeur qui souhaite contester l’expertise saisit le juge judiciaire dans un délai de 10 jours à compter de :
1° La délibération du comité social et économique décidant le recours à l'expertise s'il entend contester la nécessité de l'expertise ;
2° La désignation de l'expert par le comité social et économique s'il entend contester le choix de l'expert ;
3° La notification à l'employeur du cahier des charges, du coût prévisionnel, de l’étendue et de la durée de l’expertise, s'il entend les contester ;
4° La notification à l'employeur du coût final de l'expertise s'il entend contester ce coût.
Le juge statue, dans les cas 1° à 3°, suivant la procédure accélérée au fond dans les 10 jours suivant sa saisine. Cette saisine suspend l'exécution de la décision du comité, ainsi que les délais dans lesquels il est consulté, jusqu'à la notification du jugement. Cette décision n'est pas susceptible d'appel.
En cas d'annulation définitive par le juge de la délibération du comité social et économique, les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Le comité social et économique peut, à tout moment, décider de les prendre en charge.
Expertise pour risque grave à l’initiative du CSE : la limitation des possibilités de contestation
La Cour de cassation a eu l’occasion d’apporter certaines précisions dans un arrêt en date du 27 mai 2021.
En l’espèce, un hôpital contestait la validité de l’expertise pour risque grave ordonnée par le CSE pour deux motifs.
Le premier est que le CSE a adopté cette délibération alors que l’ordre du jour de la réunion (l’une des quatre réunions annuelles portant obligatoirement sur la santé/sécurité), ne mentionnait pas la désignation d’un expert et que les élus n’auraient pas permis au président du CSE de s’exprimer sur la question.
Concernant le second point, l’employeur estime que les divers évènements dramatiques ayant eu lieu au sein de l’établissement ont été traités en lien avec l’inspection du travail et abordés lors d’une précédente réunion du comité social et économique. Qu’en conséquence, il ne s’agit plus d’un risque grave identifié et actuel justifiant une expertise.
Sur le premier point, la Haute juridiction estime que l'ordre du jour de la réunion prévoyait l'évocation des événements survenus pouvant révéler des situations de risques psychosociaux, l'évaluation du niveau de gravité de ces risques et l'obtention par la direction de l'exposé des actions qu'elle comptait mettre en œuvre. Il en ressort que la désignation d'un expert afin d'analyser les conditions de travail et les risques ou les facteurs de risque identifiés par le CSE, aider le CSE à avancer des propositions de prévention de ces risques professionnels et des pistes d'amélioration des conditions de travail, était en lien avec la question inscrite à l'ordre du jour.
Les juges ont également relevé que lors de la réunion du CSE précédente, le recours à une mission d'expertise a été évoqué et discuté avec l'employeur, qui a écarté cette possibilité au motif de son coût, le CSE rappelant toutefois à cette occasion qu'il était libre dans son droit de décider une telle intervention.
De plus, la réunion ayant duré plus de 5 heures, le président du comité ne pouvait pas arguer ne pas avoir eu l’occasion de s’exprimer sur le sujet.
Analyse Tissot
Ici, la Cour de cassation retient qu’au regard du contenu de l’ordre du jour de la réunion du CSE, il est possible que les élus décident de voter le recours à un expert lors de cette réunion, même si cela n’était pas clairement énoncé dans l’ordre du jour.
En effet, cette désignation est en lien direct avec les thématiques abordées lors de cette réunion.
En réponse au second point, les juges pointent :
- la multiplicité des alertes depuis plusieurs années sans qu'un travail d'ampleur pluridisciplinaire n'ait été mis en place pour permettre une amélioration ;
- la survenance de trois incidents graves dans l'établissement en cours d'année 2019, dont deux débattus lors de la réunion du 11 juin 2019 ;
- l'absence dans les programmes de prévention des risques professionnels 2017, 2018 et 2019 de dates de réalisation effective des moyens de prévention préconisés.
Ils estiment donc que ces éléments caractérisent des conditions de travail de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés qui ne se limitent pas à un simple ressenti des salariés, et font ainsi ressortir l'existence d'un risque grave, identifié et actuel dans l'établissement.
Analyse Tissot
La Cour donne raison au juge du fond qui considèrent que les actions entamées par l’employeur pour traiter les différents problèmes ne sont pas suffisantes, d’autant plus que des manquements caractérisés sont relevés.
Cela a pour conséquence de faire perdurer le risque, même si le point de départ de ce dernier est largement antérieur au déclenchement du droit d’alerte pour risque grave, identifié et actuel.
Cour de cassation, chambre sociale, 27 mai 2021, n° 19-24.344 (lorsque différents éléments caractérisent des conditions de travail de nature à compromettre la santé et la sécurité des salariés et ne se limitent pas à un simple ressenti des salariés, il y a bien existence d'un risque grave, identifié et actuel dans l'établissement)
Gérant de la société FOKUS dédiée à la formation et à l'accompagnement des représentants du personnel (www.fokus-cse.com)
https://www.fokus-cse.com
Juriste et formateur en droit social
Spécialiste des relations sociales
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