Information précise et écrite des membres du comité d’entreprise (ou du CSE) : comment concilier ce droit et le respect de la vie privée des salariés ?

Publié le 08/02/2019 à 06:41 dans Fonctionnement des RP.

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Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.

En vertu de l’article 9 du Code civil « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit ne peut par principe subir de restrictions que si ces dernières sont nécessaires et proportionnées au but poursuivi. Mais force est de constater la primeur accordée à l’intérêt légitime des élus dans le cadre de l’exercice de leurs prérogatives.

Information précise et écrite des membres du comité d’entreprise (ou du CSE) : qu’en est-il des données personnelles ?

En vertu des dispositions de l’article L. 2323-4 (ancien) du Code du travail : « pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d'entreprise dispose d'informations précises et écrites transmises par l'employeur ou, le cas échéant, mises à disposition dans les conditions prévues à l'article L. 2323-9, et de la réponse motivée de l'employeur à ses propres observations. Les membres élus du comité peuvent, s'ils estiment ne pas disposer d'éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu'il ordonne la communication par l'employeur des éléments manquants ».

Dans notre affaire, la direction de l’UES constituée entre deux sociétés relevant du secteur de la finance a engagé une procédure d’information du CE sur un projet de formalisation des principes de la rémunération en lien avec le cadre fonctionnel existant dans l’entreprise. Au cours du processus de consultation et s’estimant manifestement dépourvu des éléments nécessaires à la délivrance d’un avis éclairé, le CE décida de saisir le TGI pour obtenir communication de pièces complémentaires.

Ces pièces, au demeurant diverses, concernaient directement la rémunération des collaborateurs de l’UES ; un fort risque d’identification des personnels en question étant mis en exergue (à tout le moins vis-à-vis des plus petites fonctions/unités).

C’est précisément sur ce point qu’était fondée la défense de l’UES qui estimait, entre autres que, « la rémunération individuelle dont bénéficie chaque salarié constitue une donnée personnelle dont la transmission à autrui porte atteinte au respect de la vie privée et ne peut être ordonnée qu’à condition d’être nécessaire à la protection d’un intérêt légitime et proportionnée au but recherché ».

A ce titre la direction entendait faire valoir que la fourniture d'une information individualisée pour chaque fonction aboutissait, pour les fonctions exercées par un nombre restreint de salariés, à transmettre aux élus les niveaux de rémunération individuels. Elle soutenait ainsi que, d’une part l'information sollicitée ne correspondait en aucun cas à l'objet du projet soumis et d’autre part, qu’une telle atteinte au respect de la vie privée n’était pas justifiée et proportionnée au but recherché.

La cour suprême ne l’entendit pas de la même oreille estimant de prime abord que « le respect de la vie personnelle du salarié n'était pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 2323-4 du Code du travail » revêtant donc, à première vue, un certain caractère d’absolutisme (confirmé plus loin dans l’arrêt).

Information précise et écrite des membres du comité d’entreprise (ou du CSE) : un droit de communication « étendu » mais interdépendant d’une obligation de discrétion inhérente aux missions

L’argument avancé ci-dessus ne semblait néanmoins pas tout à fait suffire la Cour avançant que l’absence d’obstacle est d’autant plus véridique que les membres du CE ou du CSE sont tenus à une obligation de discrétion.

Ainsi, les choses auraient-elles été différentes si cette obligation de discrétion, pour le coup tout à fait opposable aux acteurs, n’avait pas été ?

La réponse reste indéniablement incertaine la Cour ayant pu, dans d’autres affaires n’incluant pas forcément des parties tenues à un devoir de discrétion particulier, confirmer la « légitimité » d’une communication de données personnelles (telles que des données liées à la rémunération), sous couvert d’un intérêt « suprême » /légitime (Cass. soc., 16 novembre 2016, n° 15-17.163).

Information précise et écrite des membres du comité d’entreprise (ou du CSE) : et si la définition même de leur rôle caractérisait l’intérêt légitime recherché ?

La cour précise enfin, et au-delà de l’étendue des « pouvoir » conférés par l’article L. 2323-4 (ancien) du Code du travail ou encore, du devoir de discrétion attaché à l’exercice des mandats que, « le juge constate que les mesures demandées procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à l’exercice des droits du CE (…) qu’ayant fait ressortir que les mesures demandées par le CE ne constituaient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des salariés, c’est à bon droit que la cour d’appel a statué comme elle l’a fait ».

Mais que faut-il entendre par intérêt légitime ? Si cette notion demeure abstraite voire, à géométrie variable en fonction des affaires rencontrées, n’oublions pas la raison d’être d’un CE ou d’un CSE résulte d’un devoir de « contrôle » de l’employeur, et ce dans une optique de préservation de l’intérêt collectif des salariés. Cela en fait, sans nul doute possible, un intérêt légitime en béton !

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Cour de cassation, chambre sociale, 5 décembre 2018, n° 16-26.895 (le respect de la vie personnelle du salarié n'est pas en lui-même un obstacle à la communication d’informations précises aux élus, tenus à une obligation de discrétion)

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Stéphanie Roujon-Paris

De formation supérieure en droit social éprouvée, sur le terrain, par des années d'application quotidienne du droit du travail, des relations sociales et de la négociation collective, j’ai toujours …