Menacer son employeur de faire grève peut-il justifier un licenciement ?
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Le droit de grève constitue un droit fondamental à valeur constitutionnelle. Dès lors, seule une faute lourde dans l’exercice de ce droit peut justifier le licenciement d’un salarié gréviste. Mais dans quelles situations un salarié peut-il véritablement bénéficier d’une telle protection face à la rupture de son contrat de travail ?
La protection du salarié gréviste
La grève est définie par la jurisprudence comme une cessation collective et concertée du travail en vue d'appuyer des revendications professionnelles.
Les salariés exerçant sans abus leur droit de grève, dans le strict cadre défini ci-dessous, bénéficient d’un régime protecteur.
En effet, l'exercice du droit de grève, dans le cadre d’un mouvement licite :
ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié, tout licenciement prononcé en l’absence de faute lourde étant nul de plein droit ;
ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire notamment en matière de rémunération et d'avantages sociaux.
Au rang des fautes lourdes justifiant le licenciement, sont habituellement reconnues, l’atteinte à la liberté du travail des autres salariés non-grévistes qui se verraient empêchés de gagner leur lieu de travail, la détérioration de biens ou les actes de violences ou de séquestrations sur les personnes.
Cela étant, le seul fait qu’un salarié menace de faire grève peut-il lui permettre de bénéficier de la protection susvisée ?
La protection du salarié menaçant de faire grève
En l’espèce, une revendication collective s’était ouverte sur la mise à disposition par l’employeur d’un véhicule de service. En l’absence de réponse favorable, un salarié avait annoncé l’intention des salariés de faire grève et de mettre à l’arrêt l’atelier.
Le salarié est licencié pour faute grave, et obtient des juges du fond la nullité de la mesure. Pour ce faire, ces derniers relèvent que :
les faits motivant le licenciement ont été commis à l'occasion de l'exercice du droit de grève ;
l'employeur n'a pas qualifié les faits litigieux de faute lourde mais de faute grave dans la lettre de licenciement.
Au soutien de son pourvoi, l’employeur tente de faire valoir que :
la seule menace d'une grève hypothétique proférée par le salarié ne saurait lui conférer la protection reconnue aux grévistes en matière de licenciement ;
à supposer même que des discussions aient pu avoir lieu au sujet d'une grève, celles-ci ne se sont jamais concrétisées, en sorte que la grève était demeurée incertaine.
A tort pour la Cour de cassation qui retient que la nullité du licenciement d'un salarié :
n'est pas limitée au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève ;
mais s'étend à tout licenciement prononcé à raison d'un fait commis au cours ou à l'occasion de l'exercice d'un droit de grève ;
et qui ne peut être qualifié de faute lourde.
Dès lors, il fallait bien considérer que les faits motivant le licenciement avaient été commis à l'occasion de l'exercice du droit de grève, de sorte que le licenciement, prononcé pour faute grave, était nul.
Nul doute que l’employeur n’aurait pas connu une issue plus favorable en licenciant ce salarié pour faute lourde en ce qu’il semble difficile de voir dans les griefs reprochés une quelconque intention de nuire à l’employeur.
Notez le
Lorsque le licenciement est consécutif à l'exercice par le salarié de son droit de grève, sans qu'une faute lourde puisse lui être reprochée, l’employeur est condamné à rembourser à France Travail les allocations de chômage versées au salarié entre la date du licenciement et le jugement dans la limite de 6 mois (Cass., Soc., 18 janvier 2023, n° 21-20.3111).
Pour en savoir plus sur le droit de grève et sur le rôle des représentants du personnel en la matière, nous vous recommandons notre documentation « CSE ACTIV », et notamment la fiche « Intervenir au cours d'un conflit collectif ou d'une grève ».
Cour de cassation, chambre sociale, 14 novembre 2024, n°23-17.787 - la nullité du licenciement d'un salarié n'est pas limitée au cas où le licenciement est prononcé pour avoir participé à une grève mais s'étend à tout licenciement prononcé à raison d'un fait commis au cours ou à l'occasion de l'exercice d'un droit de grève et qui ne peut être qualifié de faute lourde.
Juriste et Responsable Pôle Droit social chez Wagner et Associés
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