Acquisition de congés payés pendant toute la durée d’un AT/MP : rétroactive malgré la loi du 22 avril 2024 ?
Temps de lecture : 5 min
Des interrogations ont fait jour dans les entreprises suite à l’analyse de l’article 37 de la loi du 22 avril 2024. Parmi elles, celle du droit pour un salarié de solliciter, rétroactivement, un rappel de ses droits à congés perdus en raison de la longueur de son arrêt de travail pour AT/MP. Les juges viennent de présenter des éléments de réponse intéressants, confirmant le risque financier pour les employeurs.
Congés payés et AT/MP : un scénario à rebondissements
Le cadre juridique des congés payés en France nécessite, pour être compris, une grande bibliothèque. En effet, de très nombreux textes viennent se mêler du sujet, textes auxquels se rajoutent les interprétations des juges sur leurs places respectives.
Ainsi, on peut essayer de dérouler le fil d’Ariane.
En premier lieu, nous avons le Code du travail et son article L. 3141-5 5° qui, jusqu’à la loi du 22 avril 2024, limitait l’acquisition de congés payés à la première année d’un arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle (AT/MP).
Ensuite, nous avons la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui, en son article 31, affirme que « tout travailleur a droit à (…) une période annuelle de congés payés ».
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Cette charte est devenue contraignante en France à partir du 1er décembre 2009, date correspondant à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
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Congés payés et AT/MP : un scénario à rebondissements
Le cadre juridique des congés payés en France nécessite, pour être compris, une grande bibliothèque. En effet, de très nombreux textes viennent se mêler du sujet, textes auxquels se rajoutent les interprétations des juges sur leurs places respectives.
Ainsi, on peut essayer de dérouler le fil d’Ariane.
En premier lieu, nous avons le Code du travail et son article L. 3141-5 5° qui, jusqu’à la loi du 22 avril 2024, limitait l’acquisition de congés payés à la première année d’un arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle (AT/MP).
Ensuite, nous avons la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui, en son article 31, affirme que « tout travailleur a droit à (…) une période annuelle de congés payés ».
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Cette charte est devenue contraignante en France à partir du 1er décembre 2009, date correspondant à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
Puis, nous avons la directive européenne du 4 novembre 2003 qui affirme, dans son article 7, que « les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales ». Cette directive a permis au juge européen de considérer qu’un salarié en congé de maladie ne peut voir son congé payé annuel réduit, l’absence pour maladie étant ici assimilée à une période de travail effectif.
A partir de ces textes, la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence majeur par plusieurs arrêts rendus le 13 septembre 2023. L’arrêt n° 22-17638 explique ainsi qu’en application de la Charte des droits fondamentaux, il convient de considérer que la limitation imposée par l’article L. 3141-5 5° du Code du travail ne doit plus exister. Un salarié doit pouvoir acquérir des congés payés durant toute la durée d’un arrêt lié à un AT/MP.
Le législateur a pris acte du revirement de la Cour de cassation et a choisi, en conséquence, de modifier le Code du travail pour en retirer la limitation de 1 an. Ce choix a été acté par la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024.
Important
Aucune rétroactivité n’a été prévue pour ce changement, contrairement à d’autres évolutions sur le régime des congés payés. Se pose ainsi la question de la conciliation de cette loi et de la jurisprudence. L’arrêt du 13 septembre 2023 ayant accepté une demande de rappel de congés payés déposée pour un arrêt intervenu en 2014.
Congés payés et AT/MP : une rétroactivité des droits confortée pour certaines demandes
Compte tenu de l’incertitude sur le sujet de cette potentielle rétroactivité, il était intéressant de suivre les futures décisions de la Cour de cassation.
C’est pourquoi un éclairage particulier doit être apporté à l’arrêt rendu par la chambre sociale le 2 octobre 2024.
Première remarque : cet arrêt se place directement, par sa rédaction, dans les pas de l’arrêt du 13 septembre 2023.
Seconde remarque : la Cour de cassation reconnaît la possibilité, pour un salarié, de demander un rappel de congés payés en se fondant sur l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux. Cela augure donc de nombreux contentieux futurs.
Troisième remarque : la décision cite la loi du 22 avril 2024. Bien entendu, elle n’utilise pas la nouvelle rédaction de l’article L. 3141-5 car les faits dataient d’une période s’étalant entre 2014 et 2019. Mais elle ne fait pas non plus référence à l’absence de rétroactivité du changement sur la limite de 1 an telle que prévue dans la loi.
Avis d'expert
Il semble donc établi désormais que tout salarié ayant perdu des droits à congés par suite de l’ancienne rédaction de l’article L. 3141-5 peut demander des rappels de congés payés s’il a engagé une action en justice avant le 24 avril 2024. Pour cela, il est important que le salarié s’appuie sur l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux.
Quid d’une action en justice qui serait engagée par un salarié après l’entrée en vigueur de la loi du 22 avril 2024 ? Si le juge statue au regard du droit applicable au moment des faits, le salarié pourra obtenir des droits à congés comme dans le cas de l’arrêt du 2 octobre 2024. En s’appuyant sur la Charte des droits fondamentaux, il serait possible de revendiquer des droits remontant jusqu’au 1er décembre 2009. La seule limite opposable par l’employeur serait le délai de forclusion prévu par la loi du 22 avril ou le délai de prescription classique pour les salariés ayant quitté l’entreprise.
Ainsi on peut légitimement s’interroger : pourquoi ne pas avoir prévue, dans la loi du 22 avril 2024, l’application rétroactive de la modification de l’article L. 3141-5 ? La question posée reste pour moi sans réponse à ce jour. Le Conseil d’Etat ayant travaillé en mars 2024 sur la préparation de la loi du 22 avril 2024 a évoqué le cas de la rétroactivité des arrêts d’origine non professionnelle, sans évoquer celui des AT/MP.
Cour de Cassation, chambre sociale, 2 octobre 2024, n° 23-14.806 (il incombe au juge national d'assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée ladite réglementation nationale)
Expert en droit du travail et relations sociales, www.didrh.fr
Auteur des documentations SOCIAL BATIMENT, SOCIAL TRAVAUX PUBLICS et RESPONSABLE ET GESTIONNAIRE PAIE BTP pour les Editions Tissot. Formateur en droit du travail auprès des entreprises et des …
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