Cartographie des positionnements des syndicats sur la santé mentale au travail
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S’il existe un consensus partagé des syndicats sur la nécessité d’une prévention des risques psychiques, les organisations mobilisent toutefois des stratégies et des modes d’action différents autour des enjeux de santé mentale au travail. Une étude de chercheurs en sociologie du travail pointe ces divergences.
Publiée dans la dernière édition de la revue française des affaires sociales, cette enquête sociologique réalisée entre janvier 2020 et avril 2022 porte sur la quasi-totalité des organisations syndicales de salariés. Premier résultat, il existe un consensus syndical autour de la prise en compte des questions de santé au travail aussi bien d’un point de vue physique que mental.
Pour les chercheurs, ce consensus syndical témoigne de la nécessité de construire un discours commun alternatif en réaction aux explications individualisantes de certaines organisations patronales sur les liens entre santé mentale et travail.
Une fracture autour de l’organisation du travail
Pour autant, les auteurs de l’étude pointent une absence de consensus s’agissant de la mise en accusation de l’organisation du travail, avec d’un côté la CFTC et la CFDT et de l’autre côté la CGT, la CFE-CGC, l’Unsa, Solidaires et la FSU.
Attachée au dialogue avec les employeurs, la CFTC est particulièrement prudente dans la critique de l’organisation du travail. Tout en incriminant le nouveau management et ses effets sur la souffrance des salariés, la CFDT mobilise toutefois le concept d’« exposome », c’est-à-dire le cumul des expositions nocives pour la santé mentale et physique au-delà du seul travail.
Les autres organisations estiment nécessaire de questionner l’organisation du travail s’agissant des atteintes à la santé mentale des salariés. La CFE-CGC revendique depuis des années la création de tableaux de maladies professionnelles pour les maladies psychiques tandis que l’Unsa estime que l’organisation du travail est l’un des déterminants des risques professionnels. La CGT, Solidaires et la FSU défendent l’idée d’un travail constitutif principal de la santé, dont la santé mentale.
Des choix de mots qui reflètent des approches différentes
L’analyse du champ lexical révèle des approches sensiblement différentes. Pour la CFE-CGC, la CFDT, la CGT et l’Unsa, les risques psychosociaux (RPS) sont le concept scientifiquement validé permettant de parler des atteintes à la santé mentale. La FSU et Solidaires préfèrent les termes de risques socio-organisationnels ou organisationnels, lesquels mettent l’accent sur les causes organisationnelles du mal-être au travail.
Le terme de « violences » est retrouvé du côté de l’Unsa et de la CFTC, mais il est absent des analyses des autres syndicats. La CFE-CGC privilégie le « syndrome d’épuisement professionnel ». La CGT a dénoncé dans le milieu des années 2000 la « souffrance au travail » utilisé en psychodynamique du travail. Mais le terme n’a pas perduré dans les discours de la confédération, désormais orientés par les enseignements des sciences humaines de l’activité et de l’ergonomie.
Nombre de cadres de la CGT, la CFDT et la FSU ont construit des liens avec des chercheurs, ils se sont réappropriés ces cadres théoriques et méthodologiques pour penser et agir en santé au travail. Ces positionnements ont une influence sur les actions et revendications : recherches-actions avec des universitaires, recours aux experts pour les formations CSE…
Des leviers d’action privilégiés par les uns et les autres
La négociation est l’un des modes d’action les plus utilisés pour agir syndicalement sur la santé au travail. La CFTC, la CFDT, la CFE-CGC et l’Unsa, sont attachés à la signature d’accords QVT, avec notamment des revendications centrées sur la participation des salariés ou encore la mise en place de baromètres pour quantifier le phénomène.
A contrario, la CGT, Solidaires ou la FSU ne conçoivent pas leur participation aux négociations sur la QVT comme un levier d’action. Ces organisations ne partagent pas la logique « donnant-donnant » selon laquelle une bonne qualité du travail est souhaitable pour les employeurs comme pour les salariés, elles comptent plus sur la création d’un rapport de forces pour obtenir des avancées.
Les organisations syndicales n’accordent pas non plus la même place au recours juridique. Les adhérents de Solidaires sont ceux qui mettent le plus en avant le recours au juridique pour mettre en défaut l’employeur ou le contraindre à respecter ses devoirs en matière de sécurité à l’égard des salariés. Les militants de la CFTC ne privilégient pas ce moyen d’action, ils peuvent aller devant les tribunaux mais essentiellement pour des délits d’entrave.
Les stratégies syndicales en matière de santé mentale au travail se déclinent selon un continuum aux extrémités duquel se trouvent deux postures. D’un côté, des organisations syndicales créent les conditions d’une action commune avec les employeurs en cherchant à les convaincre à l’aide d’arguments objectifs et scientifiques. De l’autre côté, des organisations estiment que l’efficacité de l’action syndicale repose d’abord sur la création d’un rapport de force afin de contraindre les employeurs à tenir compte de leurs revendications.
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Derrière le masque du consensus… Analyse des divergences syndicales autour des enjeux de santé mentale au travail, Revue française des affaires sociales, 2022/4
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