Comment accompagner une « personne fragile » en entreprise ?
Temps de lecture : 5 min
Lorsqu’un accident secoue l’existence d’un collaborateur et entraîne une baisse de productivité, les managers se trouvent face à un défi complexe : comment accompagner la personne sans la stigmatiser ni sans compromettre la dynamique d’équipe ?
Une histoire vraie
Suzanne est commerciale dans une grande entreprise. Il y a quelques années, son mari est décédé des suites d’une longue maladie. Elle se retrouve seule pour élever sa fille. Son manager décide alors de diviser son portefeuille et les objectifs afférents de moitié, tout en conservant les primes habituelles, afin de l’aider à faire face à la situation. Tous les collègues de Suzanne comprennent cette décision. Ils se montrent à l’écoute et l’aident à chaque fois qu’ils le peuvent.
Notez le
Le prénom de la salariée et les détails la concernant ont été modifiés.
Les années passent et Suzanne traverse petit à petit le deuil de son mari. La situation change lorsque l’équipe accueille une nouvelle collaboratrice, jeune et ambitieuse. Constatant que Suzanne n’est pas débordée, elle lui demande un service. Mais Suzanne n’apprécie pas du tout cette démarche.
La situation se tend entre les deux femmes. La jeune collègue apostrophe Suzanne, qui craque et se met à crier devant tout le monde. Deux clans se forment alors : les « anti » et les « pro » Suzanne, les uns estimant que Suzanne profite de la situation et les autres qu’il est normal de la soutenir.
Les pièges
En faisant son maximum pour aider et protéger Suzanne, le manager de l’équipe a, sans le vouloir, réuni tous les ingrédients d’une situation explosive.
En premier lieu, Suzanne a été immédiatement et durablement étiquetée comme « personne fragile ». Bien sûr, la perte de son mari l’a fragilisé, mais cela ne fait pas d’elle une personne faible par essence. Le problème, c’est que cette confusion entre fragilité temporaire et faiblesse intrinsèque a conduit le manager de Suzanne à diminuer ses attentes en terme de travail rendu, voire à ne plus rien exiger du tout, ce qui n’est finalement pas flatteur pour Suzanne et peut aussi s’avérer injuste pour ses collègues.
Là réside un autre piège : le fait de se concentrer uniquement sur la personne en difficulté, en oubliant de prendre en compte le groupe, notamment :
- la répartition de la charge de travail : qui prend quoi, pendant quelle durée, avec ou sans rétribution en compensation et, le cas échéant, sous quelle forme ;
- la communication avec les autres collaborateurs : nature des informations communiquées (décisions et motifs) et par qui, individuellement ou en groupe.
En l’absence d’une communication claire, et de la possibilité pour le reste de l’équipe de participer au processus de décision, un sentiment d’injustice peut émerger, surtout si la situation est amenée à durer.
Bonnes pratiques
Lorsqu’une personne ne peut plus assumer les missions qui lui incombent, il faut éviter de prendre des décisions trop rapides. Si elles rassurent et donnent le sentiment de contrôler la situation à court terme, elles seront le plus souvent inadéquates à long terme. Au contraire, la bonne pratique consiste à prendre le temps d’impliquer la personne concernée afin de la responsabiliser, mais aussi d’aménager des solutions viables :
- dans un premier temps, on demande à la personne de réfléchir à des pistes de solution et de faire des propositions : qu’est-ce qui serait le plus confortable pour elle ? A quelles conditions cela pourrait marcher ? Quels seraient les risques afférents ou quels problèmes pourraient se poser à plus long terme ?
- s'ensuit un temps de réflexion, de négociation et d’affinement avec le manager, le RH et éventuellement le médecin du travail, jusqu’à ce que l’on parvienne à un compromis satisfaisant et raisonnable.
- on établit alors un contrat qui précisera notamment une échéance à laquelle la situation sera révisée pour revenir au fonctionnement précédent, maintenir le contrat ou l’adapter.
- on demande enfin à la personne de se positionner vis-à-vis de la communication des informations importantes à ses collègues.
Si, comme ce fut le cas pour Suzanne, la situation dérape, il faut oser la sanction, comme on le ferait pour n’importe quel salarié. On peut bien sûr prendre en compte les circonstances atténuantes, mais il ne faut pas faire comme si de rien n’était.
Enfin, si la situation est amenée à durer, on invitera à nouveau la personne à réfléchir aux alternatives possibles : changement de poste, évolution des missions avec avenant au contrat de travail, etc. Par exemple, après 5 ans de fonctionnement altéré, Suzanne, à sa demande, est devenue assistante commerciale et l’équipe a progressivement retrouvé un climat de travail serein et efficace.
En conclusion, à trop vouloir protéger une personne en difficulté, on finit par la déposséder de ses capacités à prendre des décisions par elle-même et par la fragiliser pour de bon. Au contraire, accompagner quelqu’un, c’est l’aider à maintenir le cap et à garder une place dans le collectif.
Pour en savoir davantage sur l’accompagnement des personnes fragilisées, les Editions Tissot vous proposent leur documentation « RPS et QVCT : le pas à pas d’une démarche à succès ».
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
- Séminaire d’équipe : quoi, pourquoi et comment ?Publié le 15/01/2025
- Violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité : faire de leur prévention un sujet obligatoire de négociation ?Publié le 15/01/2025
- Conflit au travail : comment s’en faire un allié ?Publié le 08/01/2025
- Face au sentiment d’impuissancePublié le 17/12/2024
- Risques psychosociaux : leur existence place-t-elle l’employeur dans l’impossibilité de réintégrer un salarié licencié ?Publié le 10/12/2024