Comment faciliter l’allaitement en entreprise ?
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Entre préoccupations pour la chute de la natalité d’une part et pour la santé mentale d’autre part, l’allaitement se trouve au croisement d’enjeux de société récemment pointés par les pouvoirs publics. Comment permettre un choix pleinement libre des salariées concernant un allaitement potentiel ? Comment maintenir un climat de travail serein ?
L’allaitement en quelques chiffres
Selon l’étude Epifane publiée en 2024 par Santé Publique France, alors que plus de 3/4 des mères allaitent leur enfant à la naissance, seules 1/3 d’entre elles poursuivent jusqu’aux 6 mois de l’enfant, conformément aux recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé.
Le choix des mères de poursuivre, ou de cesser, l’allaitement de leur enfant est intimement lié à leur retour au travail, en raison des craintes liées à l’organisation et au regard des autres, aussi bien collègues qu’employeur.
La question prioritaire : la gestion logistique
C’est souvent le premier besoin qui est verbalisé par les mères allaitantes, comme Océane, qui a changé d’emploi après la naissance de son enfant : « J’ai parlé de l’allaitement au moment de la promesse d’embauche, en demandant s’il y aurait un lieu à ma disposition pour pouvoir tirer mon lait ».
Ces femmes parlent de « charge mentale » concernant les stratégies qu’elles déploient pour poursuivre leur allaitement malgré les difficultés logistiques : calculer le temps dont elles disposeront pour planifier toutes leurs pauses à l’avance, acheter du matériel complémentaire (glacière, tire-lait portable, etc.), improviser des solutions en l’absence de cadre institutionnel.
C’est notamment ce que raconte Solveig, en stage au moment de l’allaitement de son enfant : « En tant qu’étudiante et non salariée de la structure, je n’avais pas accès au frigo. Heureusement, dans ma promotion, il y avait une personne qui était à la fois salariée de l’institut et étudiante elle aussi, c’est par elle que j’ai eu accès au frigo. Je me suis débrouillée. »
De la mère allaitante au collectif : créer un climat de sécurité psychologique
Au-delà des problématiques logistiques, il y a le fait d’oser se permettre de disposer d’une heure de son temps de travail pour tirer son lait comme le prévoit l’article L. 1225-30 du Code du travail.
Claire, qui était salariée d’un institut de soins psychiatriques au moment de l’allaitement de son enfant, raconte : « Je n’ai pas poursuivi l’allaitement de mon enfant à l’issue de mon congé parental. Mais plusieurs choses auraient pu jouer : il y avait la question du temps. J’avais 30 minutes pour manger. Il y avait une telle charge de travail que je ne sais pas comment j’aurais fait. J’étais dans un environnement très bienveillant, mais les enfants de mes collègues avaient déjà grandi. Je pense donc que je me serais moins autorisée à prendre ce temps ».
Face aux questions de l’organisation et du regard des autres, Marie-Pierre, manager, a imaginé un dispositif pour accompagner une collaboratrice allaitante :
- S’enquérir des besoins la collaboratrice allaitante : « Avant son retour de congé maternité, je lui ai proposé de discuter pour prendre de ses nouvelles et comprendre ses besoins, tout en respectant son intimité. C’est ce qui nous a permis de trouver des solutions ».
- Fluidifier le dialogue dans l’équipe : « Ensuite, je lui ai demandé l’autorisation d’aborder le sujet tous ensemble. L’objectif n’était pas de mettre tous les projecteurs sur elle, mais puisque cela allait modifier l’organisation du travail, il fallait que ce soit posé pour sécuriser la personne aussi bien que le collectif. C’est important pour les deux côtés. Les gens se posent des questions : ‘’est-ce que l’on peut lui demander la même quantité de travail qu’avant ? A quels créneaux est-ce qu’elle ne sera pas disponible ?’’. Répondre à cette question fluidifie les relations. Chacun peut alors s’autoriser à faire ou à dire ce dont il a besoin sans se sentir coupable ou sans exercer de pression sur les autres ».
Au-delà de la stricte organisation, Marie-Pierre revient sur la nécessité pour un manager de créer un climat de sécurité psychologique : « Cette façon de traiter le sujet est fondamentale pour créer un climat de travail serein. C’est un terreau que l’on pose, un message que l’on envoie : quoi qu’il se passe, chacun sera accompagné avec considération ».
Finalement, l’accompagnement d’une collaboratrice allaitante n’est pas tellement différent de celui que l’on pourrait proposer à n’importe quel salarié qui traverse un changement important dans sa vie personnelle : il ne s’agit pas de trouver une solution parfaite, mais plutôt de porter une attention sincère aux personnes et à leurs besoins. On initie alors un cercle vertueux d’engagement et d’égards mutuels.
Merci à Océane Branjean, Solveig Guérout, Claire Priquet et Marie-Pierre Maret pour leurs témoignages.
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
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