Comment rater la mise en œuvre d’un plan de prévention ?
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Tout miser sur le bien-être au travail
Les accords relatifs au droit à la déconnexion, les espaces détentes et les corbeilles de fruits bio sont autant de pistes appréciées pour nourrir le « bien-être » des salariés au quotidien. Faisant du bureau un espace aussi ressourçant que chez soi, et du domicile un lieu aussi investit que préservé, cette tendance implique une inversion du paradigme qui consistait à cloisonner la vie privée de la vie professionnelle.
Michel Lallement, chercheur au Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique du CNAM incite à la vigilance quant aux effets du télétravail pratiqué de façon massive, qui « dissout les frontières entre espace domestique et espace professionnel, selon des modalités qui varient essentiellement selon le genre et la classe » ¹. Si ce phénomène exacerbe vraisemblablement les inégalités, l’état de la recherche en science humaine ne permet pas encore d’en évaluer les véritables impacts.
L’usage d’une communication à la tonalité toute positive pour justifier les exigences liées à ce principe de porosité s’avérera particulièrement efficace pour générer un effet boomerang, aussi appelé réactance ², renforçant la méfiance des moins enthousiastes.
Avoir les yeux plus gros que le ventre
La logique inverse voudrait que l’on se donne pour mission l’éradication du risque psycho-social ou de toute situation d’injustice. Un objectif noble aux effets insidieux :
- engager rapidement un projet trop ambitieux, puis abandonner en cours de route, faute de moyens, en laissant au milieu du gué tous ceux qui pouvaient avoir des attentes, associées ou non à une souffrance au travail ;
- oublier, à force de s’arc-bouter sur l’intention, de s’intéresser aux détails essentiels (définition des indicateurs et des modalités fines de déploiement, désignation d’un responsable du suivi) et de diluer l’efficacité de ses idées ;
- être déçu du résultat obtenu ou de la reconnaissance reçue par les paires et/ou par l’entreprise, et finir par s’épuiser.
Le vœu tenu de faire vite, beaucoup et bien permet de se distraire de toute réflexion concrète, sur les moyens à employer, et nuancée quant à la manière de concevoir la finalité du plan d’actions.
Décréter l’inverse du problème apparent
Il est fortement recommandé d’étudier les facteurs stress (et/ou pourquoi pas de motivation, d’engagement, etc.) à travers une enquête afin de cerner les besoins.
La bonne volonté conduit souvent à décider d’actions à la visée corrective immédiate : former les managers qui ne savent manifestement toujours pas encadrer, rajouter des processus à la batterie déjà existante (évaluation annuelle, remontée d’alerte RPS, prise de décision collective). Dans le meilleur des cas, la répétition d’actions n’ayant pas déjà fait leur preuve restera vaine, dans le pire, cela aggravera le problème : managers mécontents, processus impossibles à respecter, etc.
Les phénomènes humains répondent à une logique subtile, et l’analyse des relations de cause à effet qui les caractérisent mérite une attention particulière. Le fait de ne pas missionner d’experts, surtout dans le cas d’un dossier difficile ou d’un manque d’expérience en la matière, permettra de faire des économies en plus de se donner toutes les chances de passer à côté du vrai problème.
Que les moyens et les compétences nécessaires soient réunis ou non, que la santé des salariés soit bonne ou mauvaise, la mise en œuvre d’un plan de prévention conduit les porteurs de projet à faire des choix qui impliquent nécessairement leurs valeurs personnelles : ce que l’on considère comme juste, nécessaire ou suffisant, et ce mandat exige de se poser, sans cesse, les questions que sa fonction impose.
¹ Michel Lallement. Coronavirus et télétravail : la crise comme amorce d’un nouveau rapport au monde professionnel ? 2020.
² Sharon S. Brehm & Jack W. Brehm, Psychological Reactance : A Theory of Freedom and Control, Academic Press, 1981.
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
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