Courriels professionnels d’un salarié : l’employeur peut-il y accéder pendant un arrêt maladie ?

Publié le 24/07/2019 à 09:08 dans Obligations de l’employeur.

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L’employeur peut suivre et contrôler l’activité de ses salariés. A ce titre, il peut, sous certaines conditions, accéder aux emails du salarié. Mais qu’en est-il lorsque l’employeur accède à la boîte mail professionnelle d’un salarié au cours d’une absence pour maladie ? S’il y découvre des faits répréhensibles, peut-il s’en servir pour sanctionner le salarié ?

Conditions d’accès aux e-mails du salarié par l’employeur : rappel

Selon la nature du message électronique (professionnel ou personnel) les droits d’accès de l’employeur sont différents. D’où la nécessité de bien caractériser ces emails.

Ainsi, les courriels émis et reçus sur la messagerie personnelle du salarié sont protégés par le secret des correspondances. L’employeur ne peut pas les consulter !

Il en va de même si l’utilisation de la messagerie personnelle se fait via l’ordinateur professionnel et que ces messages personnels laissent des traces sur le disque dur. A cet égard, il a déjà été jugé que les courriels envoyés depuis l’ordinateur professionnel issus de la messagerie personnelle et enregistrés dans le disque dur de l’ordinateur professionnel du salarié ne peuvent pas servir de preuve à l’employeur lorsqu’il souhaite sanctionner un salarié car ils sont protégés par le secret des correspondances. Dans la même veine, l’employeur ne peut pas consulter ces emails personnels.

Et les emails provenant de la messagerie professionnelle depuis un ordinateur professionnel ?

Il est de jurisprudence constante que tout dossier ou fichier enregistré sur l’ordinateur professionnel, sauf s’il est identifié comme étant personnel, a un caractère professionnel permettant à l’employeur d’y accéder librement.

Les emails provenant de la messagerie professionnelle mise à la disposition du salarié obtiennent un caractère personnel à la condition qu’ils soient estampillés « personnel » ou « confidentiel ».

A défaut, l’e-mail envoyé ou reçu depuis la messagerie professionnelle a un caractère professionnel permettant à l’employeur d’y accéder librement.

Mais ces principes s’appliquent-ils lorsque l’accès à la messagerie électronique se fait en l’absence du salarié et particulièrement lorsqu’il est en arrêt maladie ?

Accès aux emails professionnels du salarié pendant un arrêt maladie : c’est possible !

C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation le 3 avril dernier.

Les faits étaient les suivants : une salariée est licenciée pour faute grave. L’employeur lui reprochait d’avoir manqué gravement à son obligation de loyauté en envoyant notamment des e-mails calomnieux et injurieux depuis sa boite mail professionnelle. La salariée conteste et estime que ce mode de preuve est illicite car l’employeur y a accédé en son absence et pour un motif lié à la nécessité de permettre la continuité de l’activité et non de sanction. Estimant cette méthode comme relevant d’une fouille illicite, elle décide d’aller en justice pour voir dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En appel la cour accueille les demandes de la salariée. A l’appui de sa décision, elle retiendra les arguments de la salariée tendant à considérer que l’employeur a accédé aux mails professionnels durant son arrêt maladie au motif d’une nécessité d’assurer la continuité de l’activité pendant cette période. Cependant la cour relève que l’employeur a profité de ce prétendu motif pour consulter des emails anciens, et donc en dehors de la période de l’arrêt maladie. La preuve était faite qu’il s’agissait là d’un contrôle des emails de la salariée en son absence et non d’une nécessité d’assurer la continuité de l’activité. D’autant que l’accès à sa boite mail a été fait par la responsable RH et non par un collègue mieux à même de traiter ses emails.

Ces emails ayant servi de preuve au licenciement de la salariée, et ces derniers ayant été obtenu irrégulièrement, ils ne doivent pas être utilisés pour fonder la mesure de licenciement de la salariée.

Mais la Cour de cassation n’est pas du même avis. En effet, la cour d’appel aurait dû rechercher si les courriels litigieux, qui provenaient de la messagerie électronique mise à la disposition des salariés par l'entreprise, avaient ou non un caractère professionnel et si leur contenu relevait ou non de la vie privée des salariés.

Il faut donc retenir de cet arrêt, inédit à notre sens, que l’employeur peut accéder à la messagerie professionnelle du salarié, même en son absence, dès lors que les emails sont présumés être d’origine professionnelle. Pour qualifier cette origine, faut-il encore que ces emails n’aient ni un caractère personnel (c’est à dire, selon la jurisprudence, qu’ils ne sont pas estampillés comme « personnel et confidentiel ») ni un contenu qui relèverait de la vie privée du salarié.

L’usage de ces emails, dans ces conditions, est licite pour fonder notamment une sanction disciplinaire voire une mesure de licenciement pour faute.

Pour éviter les dérapages et informer vos salariés sur les règles à respecter concernant leurs connexions Internet, l’envoi de courriels, vous pouvez mettre en place une charte informatique. Les Editions Tissot vous proposent un modèle de charte dans leur documentation « Modèles commentés pour la gestion du personnel ».


Cour de cassation, chambre sociale, 3 avril 2019, n° 17-20.953 17-20.954 17-20.955 17-20.956 17-20.957 (l’employeur peut accéder aux courriels provenant de la messagerie électronique professionnelle du salarié pendant son arrêt maladie et les utiliser à des fins de sanction à la condition que ces derniers aient bien un caractère professionnel et que leur contenu ne relève pas de la vie privée du salarié)

Audrey Gillard

Juriste droit social