Disparition de la poignée de main : quel impact sur la coopération ?
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Pourquoi nous serrons-nous la main ?
Comme tout rituel social, la poignée de main est imprégnée de sens au-delà du geste. Elle permet notamment de signaler une disposition d’esprit ou des intentions positives vis-à-vis de l’interlocuteur.
En effet, au-delà du toucher, le mouvement synchronisé de deux personnes se serrant la main est susceptible de :
- leur procurer des émotions positives ;
- diminuer leur anxiété ;
- marquer leur appartenance à un même groupe ;
- augmenter leurs comportements coopératifs.
Ces effets bénéfiques ont été observés :
- dans des contextes de négociation, de compétition ou de collaboration ;
- entre des personnes qui se connaissent déjà aussi bien que des inconnus ;
- entre des pairs autant qu’entre des personnes ayant des positions hiérarchiques distinctes.
Quelles sont les conséquences de la disparition de la poignée de main ?
Face à ces constats scientifiques, une équipe de chercheurs de l’Université de Berkeley (Californie) a mené une série d’expérimentations dans lesquels ils ont observé les effets de la présence ou de l’absence de poignée de main entre deux individus.
L’analyse statistique des résultats de ces expériences tend à démontrer qu’en l’absence de poignée de main, les interlocuteurs :
- échangent moins d’informations et sont plus susceptibles de mentir ;
- se regardent moins, se tiennent plus éloignés l’un de l’autre et discutent moins longtemps ;
- conçoivent une image moins flatteuse l’un de l’autre (ils se jugent moins chaleureux, moins sincères) ;
- parviennent à un accord dont les termes sont moins profitables pour chacune des deux parties ;
- déclarent plus fréquemment l’intention de ne pas respecter les termes définis ensemble ;
- déclarent un moindre souhait de coopérer ensemble à l’avenir.
Ces résultats peuvent être expliqués par le fait que nous déduisons les émotions et les motivations ou encore les croyances d’autrui à partir de leurs actes. Cette faculté est appelée théorie de l’esprit par les experts en sciences humaines. C’est cette capacité qui nous permet d’anticiper les agissements futurs de notre interlocuteur et de modifier notre propre comportement en conséquence.
Comment l’abandon de ce rituel peut favoriser l’émergence de conflits ?
Cette aptitude n’est pas infaillible. Nous pouvons nous tromper, surtout lorsque nous sommes confrontés à une situation ambiguë.
Prenons l’exemple de deux collègues qui se croisent à la rentrée des vacances d’été. Le premier refuse de serrer la main que l’autre lui tend. Malheureusement, cet évitement constitue un refus délibéré, et même si les motifs en sont concevables à priori (par exemple, peur de la contamination, obéissance à la consigne émanant d’une autorité). Le second, interprétant ce geste, ne lui proposera plus jamais de poignée de main… laissant libre cours à l’interprétation du premier !
A partir d’une consigne simple, explicite et pourtant partagée par tous, des malentendus tenaces sont susceptibles d’émerger. En abandonnant le rituel de la poignée de main, nous avons pris le risque de détériorer des relations de bonne qualité ou de cristalliser des mésententes qui existaient déjà auparavant.
En conclusion, retenons que la science valide ce que le bon sens nous faisait déjà sentir. A trop vouloir supprimer un risque, ici la survenue d’une maladie, nous en prenons un autre : celui de porter atteinte à la santé sociale des collectifs.
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Sources
BEM, Daryl J. Self-perception theory. In : Advances in experimental social psychology. Academic Press, 1972. p. 1-62
HOBSON, Nicholas M., GINO, Francesca, NORTON, Michael I., et al. When novel rituals lead to intergroup bias: Evidence from economic games and neurophysiology. Psychological Science, 2017, vol. 28, no 6, p. 733-750
SCHROEDER, Juliana, RISEN, Jane L., GINO, Francesca, et al. Handshaking promotes deal-making by signaling cooperative intent. Journal of personality and social psychology, 2019, vol. 116, no 5, p. 743
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
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