Inaptitude et non reprise du salaire : une précision déterminante sur le point de départ de la prescription

Publié le 27/05/2024 à 12:00, modifié le 28/05/2024 à 09:53 dans Sécurité et santé au travail.

Temps de lecture : 4 min

En l’absence de reclassement ou de licenciement dans le mois suivant la déclaration d’inaptitude d’un salarié, l’employeur doit reprendre le versement de son salaire. A défaut, il s’expose à une action judiciaire. Soumise à un délai de prescription de trois ans, son point de départ vient d’être affiné par la Cour de cassation.

Inaptitude : l’inertie de l’employeur l’oblige à reprendre le versement des salaires

La déclaration d’inaptitude d’un salarié soumet l’employeur à une obligation de reclassement dès lors que l’avis émis par le médecin du travail ne mentionne pas expressément :

  • que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ;

  • ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Exclue par principe, l’alternative du licenciement reste cependant mobilisable dans certaines circonstances. Il en va ainsi lorsque l’employeur justifie de son impossibilité à satisfaire à son obligation de reclassement, qu’il en est dispensé ou que le salarié refuse une proposition conforme.

Rappel

Pour se conformer à son obligation de reclassement, l’employeur doit proposer au salarié, avec sérieux et loyauté, un autre emploi :

  • approprié à ses capacités ;

  • aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que les mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ;

  • prenant en compte, après avis du CSE, les conclusions écrites du médecin du travail et ses indications sur les capacités du salarié ;

  • disponible au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant.

Assurément, l’employeur doit faire preuve de proactivité. Et pour cause, s’il ne procède à aucun reclassement ou licenciement dans le mois suivant la reconnaissance de l’inaptitude, le versement des salaires devra reprendre.

Notez le

La reprise du paiement des salaires ne dispense, en aucune façon, l’employeur de son obligation de reclassement.

Et s’il persiste dans son inertie, alors le salarié pourra réclamer les sommes qui lui sont dues, et ce, dans un délai de 3 ans. Mais jusqu’à récemment, une incertitude demeurait. Où fallait-il situer le point de départ de ce délai de prescription lorsque l’inaction de l’employeur était constatée plusieurs mois durant ?

Bon à savoir

Ce manquement de l’employeur peut également légitimer une prise d’acte de la rupture ainsi qu’une résiliation judiciaire du contrat de travail.

Non reprise du salaire : le délai prescription débute à compter de la date d'exigibilité de chacune des salaires dus

La Cour de cassation a été amenée à répondre à cette interrogation dans un arrêt du 7 mai 2024.

En l’espèce, une salariée avait été déclarée inapte le 3 juillet 2012, puis licenciée le 12 septembre 2013.

N’ayant été ni reclassé ni licencié à la date du 3 août 2012, elle avait saisi le conseil de prud’hommes le 1er mars 2016. Elle sollicitait, entre autres, le paiement des salaires qui lui étaient dus entre août 2012 et septembre 2013.

Seulement, les juges de première et seconde instance avaient unanimement rejeté sa demande, la jugeant prescrite. Selon les juges d’appel, le point de départ de la prescription devait être fixé au 3 août 2012, c’est-à-dire à compter de l’expiration du délai précité d’un mois.

Or, la Cour de cassation a exprimé une analyse différente et fait valoir que le délai de prescription doit courir à compter de la date d'exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu'à la rupture du contrat de travail.

Appliquée au cas d’espèce, ceci laisse présager que les demandes de la salariée n’étaient pas toutes prescrites au jour de sa saisine du conseil prud’homal, et particulièrement sur la période allant du 1er mars 2013 au 12 septembre 2013.

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Cour de cassation, chambre sociale, 7 mai 2024, n° 22-24.394 (le délai de prescription de l'action en paiement des salaires dont le versement doit être repris à partir de l'expiration du délai d'un mois suivant la déclaration d'inaptitude, court à compter de la date d'exigibilité de chacune des créances de salaire dues jusqu'à la rupture du contrat de travail)

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Axel Wantz

Juriste en droit social et rédacteur au sein des Editions Tissot