Je meurs d’ennui… Comprendre le bore-out et y remédier

Publié le 12/01/2016 à 08:15, modifié le 11/07/2017 à 18:27 dans Risques professionnels.

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Des salariés qui craquent à cause d’une surcharge de travail, de la pression exercée pour accroître le rendement ou du stress, cela se comprend aisément. Mais comment l’inverse, c’est-à-dire l’absence de travail et l’ennui peuvent-ils provoquer un mal-être d’une intensité comparable ? Avec le stress, le bore-out semble être le mal du siècle. Comment y remédier ?

Pourquoi apparaît le bore-out ?

La relation contractuelle établie via le contrat de travail instaure pour l’employeur l’obligation de fournir du travail au salarié (Cass. soc., 9 juin 2015, n° 13–26834). Payer un employé à ne rien faire est donc malvenu et pourtant… Selon plusieurs études, chaque jour les salariés ne travaillent pas pendant environ 1h30 à 3 heures ! Divers livres ont mis en lumière le phénomène du salarié « glandeur ». Mais à côté des abus de pause-café, de la paresse et du présentéisme non productif, il y a aussi l’ennui subi.

Cet ennui peut avoir de nombreuses causes : baisse d’activité de l’entreprise, objectifs insuffisamment ambitieux, durée des tâches à accomplir surestimée, mauvaise répartition de la charge de travail au sein d’une équipe, tâches ingrates à accomplir, perte de sens du travail, salariés surqualifiés dont les compétences ne sont pas exploitées et qui se sentent inutiles, etc.

Selon l’enquête de Christian Bourion et Stéphane Trebucq (« Le bore-out syndrome », publié dans la Revue Internationale de psychologie), ce phénomène concerne environ 30 % des salariés. Et il serait plus répandu dans le secteur public que dans le privé.

Comme l’a exprimé Jules Fleury, ingénieur au CNRS, « L’ennui tue plus que le travail ».

Contrairement à la « mise au placard », le bore-out est involontaire mais le salarié, confronté à la vacuité de son poste ou à des tâches inintéressantes, est tout de même en souffrance. De plus, dans un contexte social où le chômage règne, il n’ose pas parler de sa situation à son entourage ni à son employeur de peur que son poste soit supprimé. Il intériorise donc son mal-être qui le ronge et qui peut être accru par les bruits de couloir à propos de son « oisiveté ».

Le bore-out peut ainsi aboutir à une perte d’estime de soi et à une crise identitaire qui met en péril l’employabilité du salarié et peut mener à la dépression.

Des employés de plus en plus qualifiés

Convaincus qu’un diplôme élevé est un rempart contre le chômage, les étudiants s’investissent dans des parcours universitaires de plus en plus longs, voire même dans des doubles cursus agrémentés d’un séjour ou d’un stage à l’étranger. D’ailleurs, les chiffres du Centre d’étude et de recherche sur les qualifications (CEREQ) leur donnent raison : en moyenne 76 % des jeunes titulaires d’un Bac+5 ont un emploi moins de 3 mois après la fin de leurs études alors que le taux de chômage des titulaires d’un CAP, BEP et même un BTS ou DUT a grimpé de plusieurs points entre 2004 et 2010 (+15 et +6 respectivement).

L’élévation du niveau de formation des salariés, qui a débuté dans les années 60, ne s’accompagne pas de la montée en qualification des emplois. Le CEREQ conclut donc que « d’une génération à l’autre, les mêmes catégories d’emplois, d’ouvriers à cadres, sont pourvues à des niveaux de diplôme plus élevés ».

Le phénomène a été constaté dans le public en analysant le profil des lauréats des concours. Selon l’INSEE, ceux-ci ont des diplômes de plus en plus élevés et n’hésitent pas à passer des concours de catégorie inférieure pour optimiser leurs chances d’être reçus. Résultat, 66,5 % des personnes qui ont intégré un poste de catégorie C (niveau brevet) entre 2000 et 2010 avaient un Bac+2 (contre seulement 29 % en 1980) et 80 % des postes de catégorie B (niveau Bac) étaient occupés par des titulaires d’un Bac+3 et plus.

On remarque le même phénomène dans le privé. Les cadres seniors en poste dans l’industrie ou les services ont majoritairement un Bac+3 alors que les jeunes de moins de 30 ans sont recrutés sur ces mêmes postes avec un niveau Bac+5. Le secteur du BTP semble moins touché par cette « fuite en avant dans la qualification » que les autres secteurs, à cause sans doute, de la faible attractivité des métiers et des difficultés chroniques de recrutement.

Cette évolution est-elle entièrement justifiée par l’élévation de la technicité des métiers ? Ou est-ce un moyen pour l’employeur de se rassurer sur les capacités du candidat et de garantir la réussite du recrutement ?

Le profil adéquat sur un poste bien défini

En ces temps de crise économique où l’offre dépasse la demande, la tentation est grande de recruter une personne hautement diplômée, mais est-ce vraiment un bon calcul ? Convient-il de privilégier le niveau de formation et le diplôme ou l’expérience et l’adaptabilité ?

En amont du recrutement, il est important de s’interroger sur le niveau de technicité des tâches à accomplir, les connaissances et les compétences requises pour assumer le poste. Il paraît donc important, à cette étape, d’associer le futur manager à la définition du profil du poste (notamment lorsqu’il s’agit d’une création) et consulter les descriptifs des diplômes pour cerner le niveau de qualification le plus adapté. Mais associer le N+1 au processus de recrutement n’est pertinent que si celui-ci connaît le métier qui sera réalisé par le futur collaborateur. Cela implique que le manager dispose également de compétences techniques.

Il est important, avant tout, de recruter une personne qui a les capacités pour occuper le poste, une marge de progression, l’envie de s’investir dans l’entreprise et d’évoluer en son sein. Recruter une personne surqualifiée peut s’avérer un bon pari uniquement si l’entreprise a les moyens de faire évoluer le poste rapidement et offrir une rémunération et des responsabilités correspondantes. C’est à la DRH et/ou au chef d’entreprise que revient la mission d’anticiper les besoins en compétences.

Une personne très diplômée qui occupe un poste dont les tâches ne nécessitent pas un niveau de technicité élevé s’ennuiera vite et si les possibilités d’évolution ne sont pas au rendez-vous, elle risque de quitter l’entreprise à la première occasion… à moins que le poste ne lui offre des contreparties intéressantes (horaires souples, télétravail, avantages en nature, etc.). En outre, le salaire ne sera pas à la hauteur des compétences techniques et capacités intellectuelles disponibles, ce qui engendrera frustration et démotivation. Un gâchis pour l’entreprise… et un mauvais souvenir pour le salarié.

Des managers à l’écoute de leurs collaborateurs

En situation d’emploi, répartir harmonieusement la charge de travail et les tâches en fonction de l’intérêt que les collaborateurs peuvent leur porter permettra à chaque membre de l’équipe d’y trouver son compte. Eviter un morcellement des tâches trop important et proposer au salarié de gérer un dossier de A à Z pourraient aussi redonner du sens à son engagement.

La capacité d’écoute du manager et son sens de l’observation doivent lui permettre de détecter le salarié en mal-être afin de réfléchir, avec lui et la DRH, à des solutions. Une période de baisse d’activité peut être exploitée pour faire une formation, travailler sur un dossier qui avait été mis de côté, faire une veille accrue sur des marchés à potentiels, constituer un binôme en interne pour favoriser un transfert de compétences ou inciter le salarié à réfléchir à l’évolution de ses missions.

Un salarié qui s’ennuie et qui déprime est un salarié qui potentiellement peut aller proposer ses compétences à une structure concurrente qui sera peut-être plus à même de détecter le potentiel inexploité et de le mettre à profit. « L’ennui est un avertissement, qu’on n’écoute jamais trop » selon Claude Roy.

Cindy Feix
Auteure du blog « Travail et qualité de vie »