La pensée négative a du bon

Publié le 26/06/2024 à 07:27 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 4 min

Accroître la productivité, limiter la contagion des émotions négatives et les risques sont des nécessités qui ont favorisé le développement d’un culte de l’optimisme dans les entreprises, au risque de se couper des bénéfices de la pensée négative.

Comment la pensée positive s’est-elle imposée ?

La pensée positive a été popularisée dans les années 1970 par des auteurs en développement personnel, trouvant leurs racines dans le mouvement New Age, courant spirituel apparu à la fin du XIXe siècle aux Etats-Unis. Aujourd’hui, la pensée positive est une industrie qui propose d’innombrables produits pour s’accomplir et atteindre la plénitude.

En parallèle, l’avènement d’une économie de marché mondialisée a conduit les entreprises à maximiser leur compétitivité, notamment en réduisant les coûts. Dans ce contexte, le développement personnel peut être perçu comme un moyen de compenser la pression accrue sur les salariés. En leur fournissant des outils pour mieux gérer le stress, on espère maintenir leur productivité.

Des outils tels que le MBTI (« Myers Briggs Type Indicator ») ou la PNL (programmation neurolinguistique) sont séduisants parce qu’ils représentent la promesse d’atteindre facilement et rapidement un état de bien-être. Or, le développement personnel est davantage le fruit d’intuitions que d’une recherche empirique.

Quels sont les écueils de la pensée positive ?

Notre cerveau est programmé pour percevoir le négatif avant le positif. Cela s’illustre notamment par les émotions primaires, qui sont universellement partagées, et que chacun est capable de reconnaître chez autrui.

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Les émotions ont été utiles à l’évolution de notre espèce. Chacune revêt une fonction, de la protection de soi au rapprochement interpersonnel. Ainsi, le rejet des émotions négatives peut générer un effet boomerang qui les accroît plutôt que de les apaiser : on se sent coupable ou honteux d’en être la proie. Pire, cela peut nous amener à nous croire responsable d’une situation sur laquelle nous n’avons pourtant pas de contrôle.

En second lieu, la pensée positive nous incite à entretenir des attentes déraisonnables ou à ignorer les risques d’une situation, provoquant notre déception lorsque les obstacles se manifestent.

Comment tirer parti de la pensée négative ?

Dans certaines situations, la pensée critique est nécessaire pour anticiper les problèmes. En acceptant de nous pencher sur les risques, nous augmentons notre chance de nous en prémunir. Voici deux exercices à réaliser seul ou en équipe pour tirer parti de la pensée négative.

1. Pré-mortem avant le lancement d’un projet

Cet exercice prend du temps, mais il permet d’éviter des erreurs coûteuses, de maximiser les chances de réussite et de diminuer le stress :

  • commencez par décrire le projet, ses grandes étapes et ses objectifs ;
  • décrivez les points de flou et les données dont vous auriez besoin. Répertoriez les personnes ou les ressources qui pourraient vous procurer ces informations ;
  • imaginez toutes les manières dont vous pourriez vous y prendre si vous souhaitiez échouer ;
  • listez toutes les raisons qui pourrait conduire à un échec ;
  • déterminez des mesures préventives. Essayez de ne pas vous concentrer sur des pistes telles que l’augmentation du budget que vous ne pourriez peut-être pas obtenir. Misez plutôt sur des solutions qui ne dépendent que de vous ;
  • les risques restants. Procédez par itération jusqu’à l’élimination de tous les risques sur lesquels vous pouvez exercer un contrôle ;
  • listez enfin les risques inévitables.

2. Scénario catastrophe en période d’incertitude

Cet exercice peut accroître votre stress sur le moment, mais cela va rapidement s’apaiser. Sans vous ôter toute inquiétude, cela vous aidera à la canaliser :

  • munissez-vous d’une feuille de papier et tracez le tableau à télécharger ci-dessous ;
  • remplissez les lignes selon les différents scénarios que vous imaginez. N’hésitez pas à aller au bout de vos craintes pour dégager ce qui est vraiment important ;
  • déterminez des actions que vous pouvez mettre en place à partir de la dernière colonne.

En conclusion, ignorer les aspects négatifs ou les risques d’une situation revient à endosser la responsabilité des problèmes à venir, tels les Troyens moquant les prophéties de Cassandre. A l’inverse, se saisir de la pensée négative, c’est faire preuve de sagesse, c’est s’armer d’une stratégie évitant d’ajouter du mal au mal en améliorant la performance de l’entreprise ainsi que le bien-être de tous.


Références
Campion, N. (2015). The New Age in the Modern West: Counterculture, Utopia and Prophecy from the late eighteenth century to the present day. Bloomsbury Publishing.
Alexander, K. (1992). Roots of the new age. Perspectives on the new age, 31.
Plutchik, R. (2001). The nature of emotions: Human emotions have deep evolutionary roots, a fact that may explain their complexity and provide tools for clinical practice. American scientist, 89(4), 344-350.
Cowen, A. S., & Keltner, D. (2017). Self-report captures 27 distinct categories of emotion bridged by continuous gradients. Proceedings of the national academy of sciences, 114(38).
Kiesler, C.A. Mathog, R., Pool, P., & Howenstine, R. (1971). Commitment and the boomerang effect: A field study. In C.A. Kiesler, The psychology of commitment: Experiments linking behaviour to belief. Academic Press.

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Emma Pitzalis

Psychologue clinicienne - Consultante

Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …