La solitude au travail
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La solitude et le manque de lien social sont associés à un abaissement de la durée de vie similaire à celui causé par le fait de fumer 15 cigarettes par jour. Et ce, trop souvent dans le désintérêt général.
Solitude et indifférence…
Le nombre de ceux qui sont éprouvés par la solitude aurait doublé depuis 1980. Il n’y a là aucun cataclysme, juste un fait de société, rien qui semble choquer. Le sentiment de solitude est celui d’avoir l’impression de baigner dans l’indifférence et l’invisibilité. Pas de sang, pas d’images chocs, pas de corps lacérés par des actes de terreur ou des visages fermés, pas de cris ni de larmes. Juste le bruit sourd de l’absence, de la transparence, sans écho, sans la moindre réverbération qui se fait entendre. La solitude n’est visible que quand la tristesse afflige nos yeux en soupirant l’indécence pour ces corps trouvés ici et là que personne ne réclame. Les familles disloquées sont, elles aussi plus nombreuses, avec des conflits qui ferment les portes au pardon, à la reconstruction de liens, le cercle des apatrides familiaux grandit à vue d’œil.
La solitude n’a pas d’âme ni d’amis parce qu’elle fragilise les plus vulnérables vis-à-vis de la pauvreté, de la maladie psychique, de la dépression, de la dépendance. Elle s’attaque à la santé et accélère la dégénérescence causée par les maladies. Puis, comme un voyageur vagabond qui se cherche un toit, elle s’installe auprès des personnes vieillissantes, les plus susceptibles de se soumettre à une forme d’allégeance silencieuse. La solitude devient une destinée irréversible qui arrange bien tout ceux qui n’ont plus de temps à perdre auprès d’eux.
…y compris dans les milieux professionnels
Ce sentiment de solitude s’est exporté aussi dans le milieu du travail. Si nous parlions auparavant exclusivement de la solitude du dirigeant, aujourd’hui, nous parlons beaucoup plus de la solitude des personnels qui ont dû s’acclimater peu à peu à des changements structurels d’importance, sans prendre la mesure des conséquences sur le facteur humain. Cependant, ce n’est pas une grande nouvelle, nous en sommes toujours au même point. Ces changements poursuivent leur trajectoire et s’adaptent aux crises financières, à la crise sanitaire, dans une forme de « quoi qu’il en coûte ». Mais là aussi, le prix à payer en termes d’impacts psychologiques est pourtant indigeste.
La mobilisation à l’interne, les équipes créées pour une durée de projet, le roulement de personnels, le télétravail, les climats de travail toxiques jouent un rôle important dans l’émergence du sentiment de solitude, de plus en plus répandu. L’agilité qui est aujourd’hui défendue comme une « valeur-compétence » est un amplificateur de solitude. L’agilité est une capacité d’adaptation aux changements rapides. Qui dit changements rapides, dit souvent relations superficielles et moins d’ancrages. Et selon un récent sondage effectué par Harvard Business Review, 76 % des salariés disent se sentir de plus en plus seuls et isolés.
Là comme ailleurs, les effets de ce sentiment de solitude ne génèrent rien de bon pour l’entreprise ou l’organisation. Le sentiment de solitude conduit à l’isolement, l’isolement conduit à une perte de confiance en soi, perte de motivation, perte de productivité et de créativité. Ce qui signifie aussi une perte de capacité à résoudre les problèmes et à faire face à la charge de travail au quotidien.
Parce qu’un salarié passe généralement plus de temps au travail qu’à la maison, les employeurs doivent prendre ce phénomène grandissant avec sérieux et considérer qu’ils ont la responsabilité d’agir en revisitant certains modes de fonctionnement, dont celui d’instaurer un peu plus de gentillesse dans le climat de travail. John T. Cacioppo, un neuroscientifique dont les travaux ont révolutionné notre compréhension du phénomène et de son lien avec la biologie, l’évolution et la santé, compare la solitude à la faim et à la soif. C’est un signal pénible de privation relationnelle nous indiquant que nous devons nous (re)connecter socialement (The Conversation, mars 2021).
Mesurer la solitude
Du fait d’une conscience de contextes de plus en plus déshumanisants et déshumanisés, il existe dans l’un des trois baromètres de la santé des organisations, une échelle qui mesure ce sentiment de solitude auprès des personnels. Mais c’est aussi la raison pour laquelle dans ses principes de l’écologie de la communication, des espaces permanents de rencontres sont imposés pour avoir des échanges entre collègues. Ce n’est qu’une initiative parmi d’autres, mais elle est tangiblement efficace.
Plusieurs pays occidentaux considèrent aujourd’hui la solitude comme un problème de santé publique, devenu visiblement coûteux. Pourquoi individuellement, il ne serait pas possible de développer un instinct de vigilance en rapport à la solitude ? Cela représente peut-être quelques efforts pour lever la tête de son téléphone et saluer les humains autour de soi.
Peut-être a-t-on déjà oublié à quel point nous sommes des êtres sociaux et que le relationnel, au sens propre et non virtuel, est indispensable à notre équilibre mais aussi à notre capacité d’apprendre l’interaction positive. Le simple fait de sourire à quelqu’un, c’est lui dire qu’il existe. En prendre conscience, c’est aussi prendre conscience que l’on peut sauver des vies en souriant à quelqu’un, même, et surtout, s’il nous est étranger.
Sources
John T. Cacioppo, American Psychological Association : https://psycnet.apa.org/record/2008-07755-000
The Conversation, 10 mars 2021 : La solitude : l’autre problème de santé publique dont il est urgent de s’occuper
Québécoise au parcours atypique, d’abord psychologue clinicienne dans une large institution de santé, j’ai été rapidement saisie par l’impact du climat de travail sur les comportements, et, au même …
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