La vague de bienveillance
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Il y a de ces phénomènes de mode déguisés que l’on doit dénoncer sans plus attendre parce qu’ils profitent de la naïveté humaine pour transformer les aspirations en appât de convenances. Le monde du management s’est montré perméable à bien des égards, la bienveillance étant devenu le processus témoin d’une immersion opportuniste par excellence qui, sous son air séducteur, trouve moyen de détourner les vrais enjeux.
Il n’y a jamais eu autant de recettes du bon manager, de livres sur le management bienveillant et ô combien est longue la liste d’articles qui parlent du manager qui se doit d’être sous le joug de l’indulgence. Les cabinets conseils ont flairé la bonne affaire et, avec la complicité des réseaux sociaux tout aussi bienveillants en apparence, ont fait des managers, en soif d’un certain héroïsme de la réussite, des chasseurs aveugles de solutions faciles qui offriraient un podium à la quête de sens.
Ces écrits exploitent avec une certaine finesse la débâcle managériale qui oscille entre la nécessité de crédibilité et son besoin d’existence par la reconnaissance dans un cadre de relations professionnelles à tangente bien plus mielleuse qu’authentique.
On a fait de la bienveillance un mot vide qui appartient désormais à la technocratie et aux automates, très loin de la conscience et de la responsabilité. Le manager formé, qui a une conscience managériale, n’a pas besoin du référencement de ses valeurs dans Google. Un manager bienveillant sans conscience est une nuisance à l’évolution organisationnelle, incluant la sienne.
La bienveillance technocratisée est donc d’une insignifiante banalité, au point de s’installer avec aisance dans les esprits simplement par la puissance d’un charme qui cache son lot de venin. Elle n’apporte non seulement aucune solution aux problèmes organisationnels mais elle devient une voie de déviation à la capacité de manager, c’est-à-dire de confronter les difficultés et inspirer le désir de réussir ensemble. De plus, cela ne fait que dénier à l’organisation sa capacité de générer une force de propulsion qui lui est nécessaire pour engranger une confiance palpable et réelle.
C’est dans la confrontation aux erreurs, aux échecs, à ses propres failles et à des remises en question des pratiques et processus de l’organisation que se trouve la réponse. Sinon, comment s’affranchir de la réalité des dysfonctionnements qui reviennent en boucle, qu’on évite par ailleurs en créant des solutions alternatives qui elles, génèrent des problèmes qui n’existaient pas auparavant ? Faire face à la réalité est le moyen le plus sûr pour aller de l’avant. Et il faut convenir que la douleur de l’apprentissage est nécessaire et a définitivement toutes ses raisons d’être. Ceux qui pensent mieux faire autrement, n’en connaissent pas encore suffisamment sur la nature humaine. Mais cette dernière n’est pas la seule en jeu, notre cerveau aussi tient sa part de responsabilité dans ces quêtes d’absurdités superficielles, ce qui nous rend perméable à la futilité.
Pourtant, notre volonté de mieux-faire est bien présente, vivante, mais elle devient rapidement un genre de réflexe dé-culpabilisateur qui finit par se noyer dans le registre des bonnes résolutions du Nouvel An. À force de vouloir façonner le manager selon les recettes à la mode, nous instaurons chez celui-ci des complexes et des peurs : peur des réactions des autres, peur de s’affirmer, de décider, évitement, déni et tout ce qui s’en suit. Voilà les nouveaux problèmes avec lesquels nous devons jongler et qui non seulement entravent le travail et la mission réelle du management mais sont maintenant les premiers responsables de la flambée des risques psychosociaux dans les organisations.
Un manager qui possède un vrai sens du leadership est bienveillant par la force des choses – il a habituellement une vision claire de sa posture et de son sens du devoir, de la rectitude et de la justesse. A l’opposé, un manager qui priorise la bienveillance a rarement le leadership nécessaire pour conduire ses équipes avec rigueur et discipline. Elle doit s’inscrire comme une finalité naturelle parce qu’elle est générée à partir du regard que l’on doit d’abord et avec conscience poser sur soi-même.
Le développement d’une culture organisationnelle fondée sur la responsabilité partagée est probablement l’une des plus grandes forces de la santé des organisations mais exige un travail de conscientisation managériale cohérent et continu avec les besoins et devoirs de chacun et ceux de l’organisation. Cette conscience permet de trouver l’équilibre et d’éviter les paradoxes qui discréditent les postures managériales et alimentent un climat de méfiance.
L’atteinte de cet équilibre exige largement plus de courage qu’un océan de bienveillance. Le travail dans sa définition n’est pas un exercice thérapeutique pour répondre aux manques affectifs de son histoire personnelle. Il devrait être considéré comme un espace d’apprentissage technique axé sur l’expérimentation et le partage de compétences, un lieu d’opportunité de créativité, de développement de potentiel et de collaboration qui incite au désir de réussir ensemble tout en apprenant à se tromper ensemble. Cela implique de posséder le courage de dépasser ses aspirations individuelles qui ne profitent qu’à soi-même et son confort, et ce type de courage est d’autant plus rare.
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