Le harcèlement sous autopsie
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C’est d’époque, de saison, voire devenu un vrai sujet de l’heure. Le ministre de l’Education Nationale en a fait son cheval de bataille mais probablement aussi son indicateur de réussite : éradiquer le harcèlement.
« Vivement que tous ces jeunes harceleurs soient en prison » pourrons-nous enfin dire ? Puisque évidemment, une fois sortis de ces procédures de répression, ils deviendront tout naturellement des adultes bienveillants ou des managers soucieux de l’équité professionnelle !
Certes, le fait de cibler les harceleurs et non les victimes est un progrès. Mais cet empressement à tout régler au plus vite n’est-il pas en train de nous jouer un tour ? Si nous ne donnons aucune alternative d’apprentissage aux adultes en devenir, ils deviendront ces adultes rejetés à la recherche de leur place dans ce monde avec tous les maux et les indésirables découlant de cette quête. Un enfant de 10, 12 ou 15 ans qui harcèle est aussi un enfant en souffrance qui a appris, qui a observé et copié et qui, par la manière la plus destructrice certes, tente tout de même d’exister, de se frayer un chemin dans la reconnaissance de son existence, de ses différences, des traits et attraits qui lui sont propres. Selon Alice Miller, psychanalyste allemande, lorsque nous sommes opprimés dans nos droits d'Être, soit nous nous en prenons à nous-même, soit nous nous en prenons aux autres, voire les deux. Mais… n’est-ce pas ce que font les adultes ?
Les dérives de la dysfonction humaine au travail
Hormis le fait que le harcèlement au travail soit maintenant inscrit au Code pénal, peu de choses le différencient du harcèlement scolaire. Tout un attirail de procédures est maintenant bien enregistré, voire affiché près de la machine à café. Dans les faits, il est rare qu’il soit jugé, et encore plus rare qu’il soit condamné, à moins de preuves tangibles : la justice exige fréquemment des témoins mais peu sont prêts à soutenir un collègue en mettant leur job en péril pour dénoncer leur employeur ou un cadre supérieur… Les harceleurs peuvent perdre leur emploi, certes, mais les victimes restent condamnées au silence et à vivre dans le sombre de l’injustice. Au bout du compte, personne ne tire d’enseignements de la situation et le récit des souffrances et des oppressions ne fait que se perpétuer, là aussi. Nous n’avons pas encore compris que nous devons accepter nos profondes vulnérabilités, pour apprendre d’elles et les utiliser pour nous construire avec plus de réalisme et en confrontant les problèmes de manière beaucoup plus systémique. Et cela ne prévaut pas que pour le harcèlement, mais bien pour tous les défis humains en entreprise qui restent irrésolus : l’absentéisme en est aussi un exemple. La santé des organisations démontre bien que l’évitement est la première cause de l’inefficience et de la dégradation des conditions de travail.
Les actions coup de poing du « zéro tolérance » ou toutes les campagnes du « contre » sont flatteuses pour le sens de la moralité ou de la politique, mais elles laissent un grand vide, un très grand vide sur le sens du « pour », ce que l’on veut « devenir ». Nous avons une responsabilité que nous abandonnons par paresse, par opportunisme, mais aussi par inconscience. Être contre est facile. Réprimer est facile. Construire avec la réalité et le facteur humain demande un engagement de fer et une cohérence qui force au devoir et à la discipline. Ce n’est pas notre tasse de thé.
90 % d’entre nous vivons dans une inconscience quasi absolue de nous-mêmes
Je tiens ces propos depuis 30 ans et des milliers d'heures d’accompagnement managérial et clinique n’ont jamais altéré ce constat. Juliette Han, neuroscientifique à Harvard, a publié récemment un article issu d’une étude sur la conscience de soi au travail. « La conscience de soi est la compétence la plus sous-estimée et pourtant la plus importante pour réussir au travail ». La conscience de soi nous sort de cet état de victime et nous confronte à nos limites réelles et nos travers profonds… Non seulement il n’y a que de cette manière que nous pouvons changer les choses, mais surtout c’est la seule qui nous permette de choisir non pas ce que nous ne voulons pas, mais bien ce que nous voulons avec la conscience de cette responsabilité.
La consommation d’antidépresseurs chez les jeunes a augmenté de 62 % entre 2014 et 2021, selon le Haut Conseil pour la famille. Comment en sommes-nous arrivés là ? Est-ce parce que ces enfants ne sont plus capables de nous supporter dans nos dérives ? Ou bien est-ce le moyen que nous avons trouvé de les caser, nous en tant qu’adultes professionnels, penseurs, rationnels dans l’action ? Ces statistiques devraient nous couper le souffle, nous interpeller au plus fort de nos sens et nous faire crier de honte. Mais comme le réchauffement climatique en octobre, c’est tout de même agréable : le management toxique c’est « tant pis » pour ceux qui le subissent… tant que nous ne sommes pas directement affectés, tout va bien.
Nous sommes très incohérents, opportunistes, égocentriques, dépendants relationnels, prétentieux, moqueurs, humiliants, juges, tortionnaires, manipulateurs, consommateurs d’excès, chercheurs de certitudes, donneurs de leçons dans la vie ou sur les réseaux sociaux qui sèment les recettes du mieux-faire au point d’écoeurer le plus profane des lecteurs… Derrière l’écran et les recettes, se trouvent tous les travers humains qui voient tout ailleurs et très peu d’eux-mêmes.
Nous aimons ressentir la puissance devant ce qui risque d’ébranler notre fragilité intrinsèque et reniée et pour cette seule raison, nous refusons de nous voir tels que nous sommes et d'apprendre. Pourtant, la solution se trouve dans l’humilité. Voilà ce que toutes les écoles devraient intégrer dans leurs programmes d’enseignement : la conscience de soi et l’humilité. Mais pour le faire il faudrait qu’elles acceptent d’être conscientes d'elles-mêmes.
La conscience de soi fait partie des quatre piliers de la santé des organisations : voilà certainement, un volet qui fait d’elle sa distinction et sa force. Dans le prochain article, nous approfondirons ce qu’est la vraie conscience de soi. A suivre donc !
Québécoise au parcours atypique, d’abord psychologue clinicienne dans une large institution de santé, j’ai été rapidement saisie par l’impact du climat de travail sur les comportements, et, au même …
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