Le stress de l’individu dépend-il de sa place dans la hiérarchie sociale ?
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Pour compléter ou critiquer l’approche psychologique des difficultés au travail, certains auteurs anglo-saxons ont proposé une grille d’analyse permettant d’apporter un regard sociologique sur ce phénomène.
Deux grands axes peuvent être dégagés de ces recherches :
- le premier reproche émis à l’encontre des travaux médicaux et psychologiques est qu’ils ignorent les facteurs structurels responsables du stress ;
- le second remet en cause le concept même de stress.
Premières définitions du stress
La notion de stress a été introduite par l’endocrinologue Hans Selye. Il fut un des premiers chercheurs à s’être intéressé au stress dans la première moitié du XXème siècle. Ses premières recherches ont dévoilé les principales réactions des organismes animaux face aux agressions environnementales de toute nature.
Pour lui, le stress est une réponse non spécifique du corps à toute demande qui lui est faite. Si l’ampleur de l’événement stressant ne dépasse pas les capacités de réponse normales, l’organisme n’en subira pas les conséquences. À l’inverse, si les ressources de cet organisme sont insuffisantes, s’il ne peut pas faire face à la quantité de stress qu’il doit gérer, des problèmes de tout ordre sont susceptibles de survenir. L’organisme entre alors dans un cercle vicieux, le système d’adaptation du corps s’épuise et les conséquences du stress deviennent de plus en plus néfastes pour la santé.
Apports des recherches sociologiques anciennes
Selon l’approche de Selye, la réaction individuelle aux éléments stressants est étudiée indépendamment de la position sociale du sujet.
Plusieurs sociologues ont, quant à eux, souligné que l’exposition à ces difficultés aussi bien que la capacité à réagir à celles-ci, variaient d’un groupe social à l’autre. Mark Tausig (1999), par exemple, a travaillé sur le lien entre santé mentale et stratification sociale. Ses conclusions se résument ainsi : les emplois les plus modestes sont ceux qui présentent à la fois de mauvaises conditions de travail, de fortes exigences, de faibles possibilités de contrôle et de reconnaissance. Ses travaux sont confortés par l’étude épidémiologique de Wilkinson et Marmot (2005) : plus un groupe ou une société est marqué par de fortes inégalités de revenu et de prestige, plus les indicateurs sanitaires moyens y seront mauvais.
L’étude longitudinale de Whitehall II, menée auprès de 10 308 fonctionnaires britanniques âgés de 40 à 64 ans depuis 1985, révèle que plus on descend dans l’échelle sociale, plus le risque de mourir de façon prématurée d’une maladie cardiovasculaire est élevé. Ce risque est attribué, par les auteurs de l’étude, aux capacités individuelles de résistance au stress.
La situation de faible contrôle sur son travail réduit l’autonomie et les capacités de l’individu à développer ses compétences. C’est là qu’il y a situation de stress et de détresse psychologique, énonce Karasek, chercheur en sociologie. Selon lui, un salarié confronté à un travail exigeant, complexe avec de faibles marges de manœuvre et peu de soutien social va devoir davantage prendre sur lui, puiser dans ses réserves. Cela se traduira, à terme, par une dégradation de sa santé mentale.
Selon Johannes Siegrist, chercheur en sociologie, le niveau de stress est défini par la perception que l’individu se fait du rapport entre l’effort fourni et la récompense qu’il tire de son effort.
Les modèles de Siegrist et Karasek corroborent les résultats des travaux sur le lien entre la santé mentale et la classe sociale même si ces derniers ne font pas référence à ces notions.
Apports des recherches sociologiques nouvelles
Dans le sens des recherches sociologiques plus anciennes mais avec plus de précision, une étude menée en 2013 par Edwards, révèle que les singes les plus stressés sont ceux qui occupent les rangs hiérarchiques intermédiaires. Le dosage du cortisol dans les selles, le lendemain de séances d’observations, a montré une augmentation de cette hormone après des comportements liés aux stress (gifles, menaces, poursuites).
Ces comportements sont observés chez les macaques occupant des rangs hiérarchiques intermédiaires, car leur position les conduit à gérer plusieurs conflits à la fois. Par exemple, si la nourriture vient à manquer, ils doivent à la fois se protéger des singes de rang supérieur, qui viennent la leur prendre, et ils tentent d’en subtiliser aux macaques de rang inférieur. Cela augmente le niveau de stress. Alors que les individus situés aux extrêmes de la hiérarchie n’ont qu’un seul type de conflit à gérer.
Chez les babouins, les dosages des hormones de la reproduction et du stress, montrent que les individus les plus élevés dans la hiérarchie sont moins stressés que les autres ; et ils le sont d’autant moins que leur autorité est incontestée et qu’ils harcèlent leurs subordonnés.
Ces observations sont transposables à l’homme, dans diverses autres situations sociales. Les personnes occupant des niveaux hiérarchiques intermédiaires, convoitent des rangs supérieurs et exercent leur autorité sur les personnes des rangs inférieurs. Une étude conduite par Sherman, Lee, Cuddy, Renshon, Oveis, Gross et Lerner (Harvard, 2012), a montré que plus le taux de cortisol et le niveau d’anxiété est bas, plus le rang hiérarchique est élevé.
La même étude montre que les dirigeants les moins stressés sont ceux qui ont le plus grand nombre de subordonnés, et dont l’autorité est incontestée. Le prestige et le sentiment de puissance est associé à un meilleur contrôle et à moindre stress qui peut être la fois la cause et la conséquence des hautes positions hiérarchiques.
Ces études révèlent donc des résultats contraires à l’idée reçue selon laquelle le niveau de stress est lié à la charge de travail et au degré de responsabilité.
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Clémence RUELLE
Consultante psychologue du travail – STIMULUS
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