Les effets de la visioconférence sur notre cerveau
Temps de lecture : 5 min
Contenu ancien
Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.
La visioconférence est devenue indispensable au cours des confinements et s’impose désormais comme un outil essentiel dans les entreprises. En effet, elle permet de réaliser des économies substantielles (temps de transport, frais de déplacement). Mais le passage de la 3D à la 2D n’est pas sans conséquences.
Etrangeté des regards
Lorsque l’une des dimensions de la communication non-verbale est contrainte, nous compensons spontanément par une autre. Par exemple, dans un ascenseur, nous regardons vers le bas afin d’éviter un contact visuel direct que la proximité pourrait rendre gênant.
En visioconférence, c’est l’inverse qui se produit : chaque participant fixe les autres. Or la fixité du regard induit une excitation physiologique susceptible de nourrir le stress d’une personne qui serait déjà mal à l’aise par ailleurs.
Il faut souligner le caractère insolite de cette situation : dans une réunion classique, le collectif dirige son regard vers la personne qui parle. Dans les réunions à distance, tous les participants semblent nous regarder, même si nous ne sommes pas en train de nous exprimer.
De plus, en visioconférence, le contact visuel est étrange, puisque nous regardons notre écran et non la caméra. Nous sentons inconsciemment cette absence de contact visuel, ce qui a un impact négatif sur la mémorisation.
Focalisation sur sa propre image
La plupart des outils de visioconférence sont conçus de manière à faire voir sa propre image à l’utilisateur, ce qui provoque une focalisation sur soi et accroît la tendance à la désirabilité sociale (le souhait d’être perçu favorablement par son interlocuteur). Cela se manifeste par exemple par des hochements de tête et des sourires plus longs que lors des réunions classiques.
Mais cet effort pour contrôler sa propre image peut générer de l’anxiété sociale. Les résultats de différentes études montrent que les femmes y sont plus sensibles que les hommes.
Compensation des pertes d’informations
Malgré le perfectionnement des logiciels, la désynchronisation des canaux de son et d’image et un nombre trop faible d’images par seconde induisent :
- une réduction de notre capacité de lecture labiale, sur laquelle nous nous appuyons habituellement pour comprendre les propos de notre interlocuteur et désamorcer immédiatement les mécompréhensions (exemple : entendre un autre mot que celui qui est prononcé) ;
- une dégradation des indices de communication non verbale, ce qui gêne l’action des neurones miroirs qui nous permettent notamment d’appréhender l’état émotionnel de l’autre.
En fait, la visioconférence bloque des processus cognitifs basiques au service de la communication interpersonnelle. Notre cerveau se trouve alors en état de surcharge cognitive, c’est-à-dire qu’il doit fournir un effort supplémentaire pour décoder ce qu’il perçoit.
Soutenir l’attention dans des conditions artificielles
Dans ces conditions, le passage de parole n’est pas aisé. Les visioconférences sont ponctuées de blancs gênants et de désagréables brouhahas. Pour traiter d’un même sujet, ces réunions sont en moyenne plus longues que les réunions classiques, amoindrissant nos capacités de concentration.
Or, nous avons tendance à exiger de nous-même une parfaite concentration tout au long des visioconférences (augmentation de la désirabilité sociale). Mais si nous affectons un état de concentration, nous éprouvons alors une dissonance cognitive (c’est-à-dire un écart entre notre ressenti et ce que nous donnons à voir) qui engendre fatigue et sentiment de culpabilité.
Quelques recommandations
- Désactiver la représentation de sa propre image de l’écran ;
- Limiter la durée des visioconférences à 45 minutes ;
- Pour les réunions plus longues, instaurer des pauses ;
- Quelle que soit la durée :
- se permettre de regarder au loin régulièrement,
- espacer les réunions ;
En conclusion, la visioconférence n’est pas seulement un plus, elle implique de perdre quelque chose, comme tous les progrès techniques. Par exemple, l’avion permet de se déplacer plus vite et loin, et avec moins de fatigue que la marche. En contrepartie, nous perdons la jouissance d’un air pur.
De la même façon, la visioconférence décuple la portée de nos communications, mais par là même, elle entraîne une distorsion du message échangé et contraint le fonctionnement naturel de notre cerveau.
En attendant le passage des siècles et l’adaptation de l’Homme aux technologies numériques, il nous faut nous efforcer de trouver un équilibre entre les audaces qu’elles permettent et la préservation de la santé des personnes.
Pour aider les salariés à prendre conscience de leurs difficultés psychologiques dans le cadre du travail, notamment suite aux réorganisations liées à l’épidémie de Covid-19, les Editions Tissot vous proposent leurs « Fascicules Bien vivre son travail : Préserver sa santé psychologique ».
Bibliographie
Bailenson, J. N. (2021). Nonverbal Overload: A Theoretical Argument for the Causes of Zoom Fatigue. Technologie, Mind and behavior, 2(1).
Bennett, A. A., Campion, E. D., Keeler, K. R., & Keener, S. K. (2021). Videoconference fatigue? Exploring changes in fatigue after videoconference meetings during COVID-19. Journal of Applied Psychology, 106(3).
G. Fauville, M. Luo, A.C.M. Queiroz, J.N. Bailenson, J. Hancock (2021), Zoom Exhaustion & Fatigue Scale. Computers in Human Behavior Reports, 4.
Fullwood, C. & Doherty-Sneddon, G. (2006). Effect of gazing at the camera during a video link on recall. Applied Ergonomics, 37 (2).
Hall, E. T. (1966). The hidden dimension, Doubleday.
Hawkins, J & Blakeslee, S. (2004). On intelligence, Time book.
Slovak, P. (2007). Effect of Videoconferencing Environments on Perception of Communication. Journal of psychosocial research on cyberspace, 1(1).
Takac, M., Collett, J., Blom, K. J., Conduit, R., Rehm, I., & Foe, A. D. (2019). Public speaking anxiety decreases within repeated virtual reality training sessions. PLOS ONE, 14(5).
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
- Séminaire d’équipe : quoi, pourquoi et comment ?Publié le 15/01/2025
- Violences sexistes et sexuelles sous relation d’autorité : faire de leur prévention un sujet obligatoire de négociation ?Publié le 15/01/2025
- Conflit au travail : comment s’en faire un allié ?Publié le 08/01/2025
- Face au sentiment d’impuissancePublié le 17/12/2024
- Risques psychosociaux : leur existence place-t-elle l’employeur dans l’impossibilité de réintégrer un salarié licencié ?Publié le 10/12/2024