Maladie professionnelle : quel juge pour quel préjudice ?
Temps de lecture : 6 min
Contenu ancien
Il se peut que les informations contenues dans cet article et les liens ne soient plus à jour.
L’ordre judiciaire français est-il trop complexe ? Un salarié victime d’une maladie professionnelle et d’un licenciement souhaite obtenir réparation de divers postes de préjudices en raison d’une rupture abusive de son contrat. Peut-il adresser toutes ses demandes de dommages et intérêts auprès de la même juridiction ?
La suite du contenu est réservée aux abonnés à l'Actualité Premium
Essayez l'Actualité Premium
À partir de 9,90€ / mois- Déblocage de tous les articles premium
- Accès illimité à tous les téléchargements
L’ordre judiciaire français
Depuis la Révolution française, la justice française est organisée en deux ordres : l'ordre judiciaire pour résoudre les conflits entre les personnes et l'ordre administratif pour les litiges entre un particulier et une personne publique ou entre administrations. Faisons le point sur l’ordre judiciaire.
Il se divise en deux catégories de juridictions :
- les juridictions civiles qui tranchent les litiges mais n’infligent pas de peines. Le tribunal ou le juge compétent change selon la nature de l’affaire et le montant en jeu ;
- les juridictions pénales qui sanctionnent les atteintes aux personnes, aux biens et à la société. C’est le type d’infraction qui définit la juridiction compétente : de l’infraction la moins grave (la contravention) à la plus grave (le crime).
Les demandes en réparation de préjudice s’effectuent devant les juridictions civiles. Toutefois, il n’est pas toujours aisé de savoir devant quel tribunal porter une telle action : conseil des prud’hommes, tribunal de commerce, tribunal judiciaire.
Les litiges entre salariés et employeurs
L’article L. 1411-3 du Code du travail dispose : « Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l'occasion du travail. »
Le principe est donc que le conseil de prud'hommes (CPH) règle les litiges individuels entre employeur et salarié survenus à l'occasion de tout contrat de travail (rupture du contrat de travail, sanction disciplinaire, paiement du salaire ou des primes, durée de travail, jours de repos ou de congé, conditions d'hygiène et de sécurité du poste de travail, remise de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail ou du reçu pour solde de tout compte, situation de harcèlement moral ou sexuel, discrimination, etc.).
Quid des litiges relatifs aux accidents du travail (AT) et maladies professionnelles (MP) survenus à l’occasion du travail ?
L’article L1411-4 du Code du travail précise « Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le Code de la Sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles. »
En conséquence, les litiges relatifs aux AT/MP relèvent de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire. Cela peut s’expliquer par le fait que, même si les sinistres surviennent à l’occasion du travail, le salarié et l’employeur ne sont pas les seuls concernés. Une troisième partie, et pas des moindres, fait en effet son entrée : la CPAM, seule compétente pour statuer sur le caractère professionnel du sinistre déclaré et pour indemniser le salarié victime.
AT/MP et licenciement
Mais qu’en est-il lorsqu’il est question de rupture abusive du contrat de travail pour inaptitude en lien avec un manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur et un AT/MP ?
Dans une affaire portée récemment devant la Haute juridiction (Cass. soc., 6 sept. 2023, n° 22-10.419), un salarié victime d’une maladie professionnelle considérait que son licenciement pour inaptitude était sans cause réelle et sérieuse. A ce titre, il a sollicité devant le CPH le paiement de nombreuses sommes correspondant à :
- une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité spéciale de licenciement ;
- des dommages-intérêts pour absence de consultation des représentants du personnel, licenciement abusif et sans cause réelle et sérieuse, perte d’emploi et perte de rémunération ;
- des dommages-intérêts pour préjudice distinct, manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail ;
- des rappels de primes, de treizième mois, de maintien de salaire.
A première vue, toutes ces demandes semblent en lien avec la rupture du contrat de travail considérée comme sans cause réelle et sérieuse. Toutefois, êtes vous en mesure d’identifier celles qui auraient dû être portées devant le pôle social du tribunal judiciaire ?
Dans son arrêt du 6 septembre, la Cour de cassation rappelle, au visa des articles L. 451-1 et L. 142-1 du Code de la Sécurité sociale, que : « si la juridiction prud’homale est seule compétente pour connaître d’un litige relatif à l’indemnisation d’un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l’indemnisation des dommages résultant d’une maladie professionnelle, qu’elle soit ou non la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. »
Si cela parait clair en théorie, la pratique est plus complexe. Pour preuve, en l’espèce, la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui a pourtant cité et appliqué ce même principe dans son arrêt, n’a pas convaincu la Cour de cassation dans toutes ses démonstrations.
Ce qu’il faut retenir :
- perte de chance d’être rémunéré à 100 % de son salaire = préjudice résultant de la maladie professionnelle 🡪Tribunal Judiciaire.
- dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité (en raison des souffrances endurées, de la dégradation de son état de santé et de son inaptitude) = préjudice résultant de la maladie professionnelle 🡪Tribunal Judiciaire.
- perte d’emploi = préjudice résultant de la rupture du contrat de travail 🡪 CPH.
Pour les autres demandes, il n’y avait pas débat, elles relevaient bien de la compétence du CPH.
Notez le
La loi du 9 avril 1898 a créé un régime spécial d’indemnisation des victimes d’AT/MP en marge des principes de droit commun de réparation intégrale du préjudice subi prévu au Code civil. En vertu de l’article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale, le salarié victime d'un AT/MP a droit à une indemnisation forfaitaire par la Sécurité sociale qui lui interdit d'engager la responsabilité de l'employeur en réparation du préjudice subi. Seule la faute inexcusable de l'employeur prévue à l’article L. 452-1 du code précité permet de faire exception à ce principe. Cette action en faute inexcusable doit être introduite contre l’employeur et la CPAM auprès du pôle social du tribunal judiciaire. Ce n’est qu’une fois cette faute reconnue que le salarié dispose de la faculté d’obtenir réparation pour différents postes de préjudice.
En conséquence, il appartient au salarié et à son conseil de bien identifier le fait générateur fondant la demande en réparation avant de saisir la juridiction appropriée.
Cour de cassation, chambre sociale, 6 septembre 2023, n° 22-10.419 (si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître d'un litige relatif à l'indemnisation d'un préjudice consécutif à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du pôle social du tribunal judiciaire l'indemnisation des dommages résultant d'une maladie professionnelle, qu'elle soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité)
Juriste spécialisée en droit de la protection sociale, Aurore a rapidement pris la responsabilité d’un service juridique au sein du Groupe CRIT. En charge des contentieux liés aux accidents du …
- Maladie professionnelle : l’ANSES veut réviser tous les tableauxPublié le 07/01/2025
- Cotisations AT/MP : les taux de 2024 provisoirement reconduits en 2025Publié le 07/01/2025
- TMS : une sous-déclaration qui repart à la hausse selon les dernières estimations de Santé Publique FrancePublié le 17/12/2024
- Acquisition de congés payés pendant toute la durée d’un AT/MP : rétroactive malgré la loi du 22 avril 2024 ?Publié le 05/11/2024
- Taux de cotisations AT/MP : dans quel délai contester le compte employeur ?Publié le 29/10/2024