Management participatif : entre espoirs et dérives
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Comment avez-vous mis en application le management participatif dans vos réunions et formations ?
Je n’avais pas de méthode à priori, je me suis appuyé sur mon bon sens, sur ce que je comprenais des finalités du participatif. J’ai étudié les techniques existantes et retenu les manières de faire qui me semblaient les plus adaptées. La majorité des personnes, interrogées en réunion ou en formation, commencent par dire « Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit », surtout quand celui qui vient de parler est leur manager. En effet, la plupart des gens souhaitent prioritairement montrer qu’ils sont en phase avec l’équipe avant d’exprimer leur point de vue. C’est un besoin humain de faire partie du groupe, ne pas en être exclu. Mais si les participants comprennent que l’objectif sincèrement recherché est d’entendre de leur part l’expression d’un point de vue différent voire divergent, alors ils s’autorisent à apporter plus que de simples nuances. Car le danger est qu’il n’y ait qu’une variété de points de vue qui s’exprime, et non une diversité.
Quelle est la différence entre variété et diversité en matière de débat ?
Prenons un exemple. On parle de variété entre individus d’une même espèce mais de diversité entre les espèces, car il y a entre elles des différences de nature et pas de simples degrés. Entre des feuilles de papier blanc, il existe des différences, minimes, qui ne sont que de degrés, de simples variantes du même modèle. Semblablement, il peut y avoir une variété d’opinions exprimés dans un groupe qui ne sont que des variantes du même, variantes autour du point de vue exprimé par le manager par exemple. Lorsqu’un manager demande à son équipe « Qu’est-ce que vous en pensez ? », le groupe, prudemment, va souvent apporter de simples nuances au point de vue exprimé par le manager. Diversitas en latin signifie « opposé », ça exprime une contradiction. Le rôle du manager qui se veut participatif est de faire émerger les points de vue les plus contradictoires possibles, de susciter la divergence en assumant le risque fécond de la controverse.
Que peut apporter le management participatif aux entreprises ?
Dans un cadre entrepreneurial, la première fonction d’un management participatif est l’amélioration de la productivité. Le but premier d’une réunion animée de manière participative n’est pas de permettre à chacun de s’épancher mais de débattre franchement dans un cadre rationnel afin de progresser collectivement, sachant qu’un débat est par essence contradictoire. Et faire émerger au sein d’une équipe de travail des points de vue contradictoires est tout sauf naturel ! Spontanément, on recherche le conformisme, à être et penser relativement comme les autres afin de ne pas se trouver exclu du groupe. Il faut donc que les débats soient activement et méthodiquement animés pour stimuler l’esprit critique individuel et, de là, l’intelligence collective. D’elle seule en effet peut résulter de manière durable l’innovation, car innover c’est penser à ce à quoi les autres ne pensent pas. Cette culture du débat et de la contradiction n’est pas encore réalisée dans les entreprises qui ambitionnent d’être participatives.
Cela suppose d’être capable de vivre en étant en désaccord ?
Bien sûr. La fécondité de la contradiction a fait le succès des sciences. Un bon scientifique est celui qui va chercher, dans la nature, les phénomènes susceptibles d’invalider sa théorie. Ce qui est à l’opposé du réflexe habituel qui consiste à aller chercher chez l’autre la confirmation de ce que l’on pense. Or quasi immanquablement, lorsqu’une diversité de point de vue s’exprime, s’ensuit une confrontation qui peut être vive parce que les échanges d’arguments n’ont que trop tendance à être interprétés de manière personnelle, comme si le sens de la contradiction apportée par autrui était de me nuire. C’est pourquoi l’animateur doit bien, d’emblée, cadrer le débat et en préciser les attendus : ce n’est pas tant que chacun exprime son opinion personnelle qui est recherché, mais que chacun exprime un point de vue différent et le plus possible divergent de celui des autres, fusse-t-il différent de ses opinions personnelles. L’intérêt d’un point de vue, c’est sa différence, ce qu’il apporte de nouveau à la réflexion collective. On est dans un exercice, un jeu de rôle si l’on veut. Cette confrontation argumentative, exprimée dans un cadre clairement circonscrit, permet d’éliminer la dimension personnelle du débat. Elle canalise la violence, en lui permettant de s’exprimer de manière civilisée et constructive. Son caractère cathartique assainit les relations. Comme il en va dans les arts martiaux, il s’agit d’une saine expression de la violence, parce que cadrée et dénué des enjeux personnels.
Faut-il chercher à embarquer chaque personne pour cultiver le participatif ?
Certainement pas ! Car pouvoir se taire, c’est ce qui donne sens à l’acte de prendre la parole. L’obligation de participer, c’est la négation de cette première liberté. Chacun doit avoir le droit de se taire. Mais il faut que ce soit un acte libre, non sous l’effet d’une autocensure, d’une inhibition due à des difficultés à s’exprimer en public, à formuler une pensée ou à une méconnaissance des sujets abordés. L’animateur d’une réunion se voulant participative ne doit cesser de tendre la main aux silencieux pour qu’ils prennent la parole, de les mettre en confiance. Dans les dérives du management participatif que j’ai pu observer, il y a le fait de forcer les participants à s’exprimer, de sorte qu’assez rapidement tout le monde fait semblant et parle pour ne rien dire. C’est une parodie de participation. Personne n’est dupe et les vraies discussions ont lieu à la machine à café.
Quels sont les effets pervers de cette injonction à la participation ?
Lorsque la participation, d’abord énoncée comme facultative, se fait obligatoire, c’est généralement dans deux buts : faire la morale et contrôler. Le premier étant le moyen du second. Les entreprises font beaucoup d’efforts pour se présenter sous leur meilleur jour : « management par les valeurs », « engagement », « raison d’être », « sens », « mission », etc. Elles proclament haut et fort leur attachement à la diversité, laquelle est en fait réduite à de la simple variété (d’origine ethnique, d’âge, de validité, de formation disciplinaire, etc.), parce que la vraie diversité, qui est de points de vue, fait peur.
La fonction de la diversité affichée est alors de faire diversion à la divergence des points de vue. La vérité, c’est que les entreprises vont sans cesse vers plus d’homogénéisation. Elles « acculturent » leur personnel pour obtenir des salariés alignés derrières les objectifs, valeurs et savoir-être que leur fixent leurs « leaders ». Or tout leader implique des suiveurs. C’est le suivisme, la confiance aveugle, qui sont valorisés. Pas l’esprit critique, pas l’indépendance d’esprit, pas la diversité des opinions.
C’est un phénomène nouveau : les entreprises recherchent des salariés non seulement motivés mais « engagés », dont les croyances personnelles soient alignées sur les croyances collectives officielles. Or, parce que l’entreprise demande désormais un investissement psychique, une implication subjective, là où auparavant elle ne demandait qu’un comportement professionnel exemplaire, il n’est pas étonnant de voir se multiplier les burn out, ces épuisements psychiques.
J’observe avec inquiétude l’émergence d’un phénomène sectaire dans les moyennes et grandes entreprises. Un management participatif dévoyé en est souvent le moyen : l’important est que les acteurs aient le sentiment d’être consultés, de co-construire les choses.
Bien souvent, on promeut d’autant plus le « participatif » que l’on veut moins d’une vraie participation, c’est-à-dire non seulement aux décisions intermédiaires, relativement inoffensives, mais aussi à la gestion, aux bénéfices et au capital.
Diplômé de HEC et de la Sorbonne, Thibaud Brière conjugue pratique de la philosophie et accompagnement des entreprises depuis 20 ans. Il est également associé au Programme d’Etudes sur le Organisations Post-Managériales et la Libération des Entreprises (PEOPLE).
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
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