Médiation collective : éclairages sur cet outil de résolution des situations conflictuelles

Publié le 11/09/2024 à 07:42, modifié le 18/09/2024 à 18:10 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 7 min

Plébiscitée pour solutionner des conflits interpersonnels, la médiation peut aussi être utilisée pour apaiser des tensions collectives. Deux médiateurs en entreprise, Julie Fritsch et Michael Copsidas, nous apportent leurs éclairages sur le sujet. 

Les interviewés

Consultante en relations sociales, médiatrice en entreprise et formatrice, Julie Fritsch intervient dans la prévention et dans la gestion des situations conflictuelles au travail. Avocate de formation, elle a développé une expertise en dialogue social et en droit du travail et s’est formée en parallèle aux modes alternatifs de résolution des conflits.

Médiateur en entreprise, Michael Copsidas s’est spécialisé dans la résolution de conflits et, notamment, entre associés. Il accompagne par ailleurs les entrepreneurs dans le développement de leur activité. ESSEC de formation, Michael Copsidas a fait sa carrière dans la presse puis en tant qu’entrepreneur, en ayant cofondé plusieurs sociétés Internet.

Dans quelles situations la médiation collective est-elle indiquée ?

Julie Fritsch : De manière générale, une médiation, qu’elle soit collective ou individuelle, a tout son sens dans les situations conflictuelles ou de tensions, quand le dialogue est devenu difficile, voire impossible, lorsque l’aspect émotionnel et relationnel crée des dysfonctionnements. L’entreprise est un terreau favorable à l’émergence de conflits, il faut déculpabiliser à ce sujet (personnalités différentes, contextes de changements, objectifs forts, etc.) ! Le tout, c’est d’éviter l’escalade. Concernant les situations collectives, nous sommes souvent sollicités dans le cas : 

  • d’une équipe avec un climat délétère, une mauvaise ambiance dont on a du mal à déterminer les causes ;
  • d’un conflit entre deux équipes distinctes ;
  • d’une équipe divisée en clans ;
  • d’un CODIR qui dysfonctionne, rendant les décisions de plus en plus difficiles à prendre ;
  • d’un CSE avec des membres qui ne s’entendent plus, paralysant ainsi le dialogue social au sein de l’entreprise.

Michael Copsidias : Dans le cas de « clans », nous avons souvent des personnes qui disent « il suffit de faire partir cette personne pour résoudre le problème », mais ce n’est pas si simple. Il faut être vigilant, car il peut y avoir des tentatives de manipulation (par exemple des collaborateurs qui incriminent le manager dans l’espoir d’obtenir son poste). Mais la plupart du temps, la problématique est systémique. Nous pouvons avoir des contextes de transformation et/ou de risques psychosociaux. 

Existe-t-il des situations dans lesquelles la médiation n’est, au contraire, pas indiquée ?

JF : Dans le cas d’une forte présomption de harcèlement, de rapports dominant/dominé, la médiation n’est pas indiquée. Il faut, en premier lieu, procéder à une enquête et, dans le cas où le harcèlement est avéré, appliquer des sanctions appropriées. 

MC : Dans le cas du harcèlement, nous pouvons intervenir après l’enquête, dans une logique réparatrice, auprès de l’équipe qui est amenée à rester. 

Quelles sont les grandes étapes de la médiation collective ?

JF : Il faut d’abord noter qu’il n’y a pas une seule manière de faire. Le médiateur s’adapte au contexte de l’entreprise, à la situation et aux personnes. De manière générale, la première étape consiste en une phase préparatoire de diagnostic. 

MC : Nous organisons tout d’abord une session d’information en présence de toutes les personnes concernées. Nous nous présentons, puis nous expliquons ce qu’est la médiation et l’employeur revient sur les raisons pour lesquelles cet outil est proposé. 

JF : Ensuite nous recevons les personnes individuellement, avec leur consentement bien sûr. Cela nous permet de comprendre le vécu de chacun. Qui dit conflit dit émotions intenses. Souvent, les personnes ne comprennent pas le « pourquoi » ou bien ne sont pas vraiment en mesure d’expliquer l’origine du conflit. Ces entretiens individuels permettent donc de clarifier la difficulté, de faire un pas de côté : « Quels sont les problèmes concrets auxquels je suis confronté aujourd’hui ? Qu’est ce qui relève de mon pouvoir, ce sur quoi je peux agir ? Et qu’est-ce qui relève du pouvoir de direction, sur lequel je n’ai pas la main ? ». 

MC : Cette étape d’entretien individuel nous permet aussi de structurer la démarche et de définir une méthodologie plus précise : par exemple, la création de sous-groupes, qui en fera partie et pourquoi. Ensuite, nous réunissons à nouveau toutes les personnes pour leur présenter la méthode choisie. 

Donc la phase de préparation consiste à faire une première communication, puis à recevoir les personnes concernées de façon individuelle. Après ces premiers entretiens, les médiateurs déterminent la méthode précise et en informent les collaborateurs.

JC : C’est en tout cas la façon dont nous travaillons avec Michael. Les sessions de médiation à proprement parler commencent dans un second temps. Petit à petit, nous cartographions les difficultés. Nous ne considérons pas uniquement les personnes, mais également l’organisation de travail, d’où l’aspect systémique : 

  • difficulté de communication : la façon de parler, d’écrire les emails, de demander quelque chose, de faire du feed-back ;
  • organisation : les process, le périmètre de responsabilités (où le travail des uns s’arrête et où celui des autres commence). Cela peut générer des échanges très forts, avec des tensions qui s’extériorisent par des pleurs. 

MC : Je vais vous donner l’exemple d’un collectif que nous avons accompagné. Il s’agissait d’une entreprise en forte croissance, réalisant des fusions/acquisitions, et donc avec l’enjeu de faire travailler ensemble des entités avec des cultures hétérogènes, comme l’huile et l’eau qui ne se mélangent pas facilement. Au cours de la médiation, nous avons compris qu’une partie du problème résidait dans le fait que les conventions collectives n'étaient pas les mêmes, ce qui avait créé des situations d’injustices salariales réelles pour une partie des collaborateurs. A cela, s’ajoutaient des malentendus causés par des pratiques de travail différentes. Nous avons pu mettre les process à plat, et chacun a pu comprendre que les autres n’étaient pas de mauvaise volonté, mais continuaient simplement à appliquer les méthodes dont ils avaient l’habitude. 

JF : Derrière des comportements irritants, il peut y avoir de vraies souffrances, diverses interprétations d’une même réalité. Il est donc fondamental de ne pas brûler les étapes. Nous devons écluser chaque problème un à un, de façon méthodique et structurée. Au fur et à mesure, on peut être amené à revenir en arrière si l’on se rend compte qu’un sujet émotionnel n’a pas encore été éclusé. C’est le rôle du médiateur : faire circuler la parole, aider les personnes à clarifier, à faire la part des choses et à communiquer de façon respectueuse. 

Et que se passe-t-il une fois que l’on a cartographié l’ensemble des problèmes et crevé l’abcès émotionnel ?

MC : On entre alors dans la troisième et dernière phase : la recherche de solutions. A partir du travail de cartographie, les besoins de chacun se clarifient. Ça peut être d’adapter la charge de travail ou les objectifs, ou encore le fait d’obtenir de la reconnaissance. On procède par brainstorming pour trouver des solutions concrètes. 

Pourquoi intervenez-vous ensemble ?

JF : Nous apprécions de former un binôme avec un homme et une femme, avec des écoutes, des manières d’être différentes. Nous avons aussi une complémentarité de connaissances et de compétences liée à nos profils : moi-même, ancienne avocate, très bonne connaissance des conflits en entreprises, des organisations et des relations sociales, Michael une connaissance plus fine de la vie de l’entreprise et de ses enjeux.

MC : En conclusion, je dirais que notre travail consiste à permettre aux entreprises de dédier aux collaborateurs un espace de parole. Cela permet d’expliciter les non-dits. Sans cela, on peut passer beaucoup de temps, et gâcher beaucoup d’énergie, à ressasser des griefs, des malentendus, des non-dits, parfois des années. Le médiateur, en tant que tiers, permet à chacun de prendre du recul sur ses émotions. C’est cela qui permet aux personnes de partager leurs insatisfactions de façon constructive et de trouver des solutions. La médiation collective a cette particularité qu’elle débouche très souvent sur des réflexions profondes et systémiques propres au fonctionnement de l’entreprise. Si on accepte l’exercice, elle permet aux directions de cheminer vers un changement efficient et accepté de leur organisation. 

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Emma Pitzalis

Psychologue clinicienne - Consultante

Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …