Plainte pour harcèlement au travail : les alternatives à l’enquête interne

Publié le 11/12/2024 à 07:48 dans Obligations de l’employeur.

Temps de lecture : 5 min

Lorsqu’un salarié alerte son employeur quant à un potentiel harcèlement, il n’est pas obligatoire de réaliser une enquête interne. En effet, même si l’enquête reste une solution de choix pour éclaircir la situation, elle n’est pas nécessairement la réponse à privilégier. Tour d’horizon des alternatives possibles. 

Pourquoi l’enquête n’est pas toujours la meilleure solution

Dans la grande majorité des cas, une alerte pour harcèlement moral ou sexuel au travail dénote d’une situation de souffrance, mais elle ne relève pas forcément pour autant d’un harcèlement au sens légal du terme. 

Si l’enquête est souvent nécessaire pour faire la lumière sur les faits, elle peut avoir des effets collatéraux dommageables auxquels l’employeur et les élus du personnel ne s’attendent pas toujours, par exemple : 

  • le scindement du collectif en clans, certains membres de l’équipe désapprouvant le lanceur d’alerte ou le mis en cause ;
  • l’altération de l’état de santé des personnes interrogées, chacune craignant les conséquences de ses dires ;
  • après l’enquête, et quelles que soient ses conclusions, la stigmatisation du mis en cause et/ou du lanceur d’alerte. 

Bien sûr, l’employeur veillera à toujours recevoir, à minima, le mis en cause et le lanceur d’alerte. Et à partir de là, décider de diligenter une enquête ou bien de prendre d’autres mesures. 

Alternative numéro 1 : appliquer des sanctions

Dans le cas d’une faute avérée, soit parce que des documents en constituent la preuve (par exemple, des injures par email), soit parce que le mis en cause reconnaît les allégations qui sont portées contre lui, l’application d’une sanction est appropriée. 

L’employeur devra veiller à déterminer une sanction proportionnée à la faute et à respecter les délais légaux. En cas de licenciement pour faute grave, l’employeur devra apporter les preuves motivant son choix et respecter la procédure.

Alternative numéro 2 : apaiser le conflit

D’autres situations laissent apparaître l’existence d’un conflit interpersonnel qui fait suite à des malentendus, l’accumulation de frustrations ou de mécontentements, un évitement réciproque ou une incompatibilité de caractères. 

Dans ce cas, et si le lanceur d’alerte ne rapporte aucun grief qui pourrait laisser suspecter un harcèlement, on cherchera à résoudre le conflit par une médiation, ou un accompagnement qui s’en inspire. 

L’intervention d’un médiateur assermenté peut être utile pour offrir un espace d’expression sécurisé et neutre et permettre aux intéressés de trouver des solutions à leurs désaccords. Toutefois, un membre du personnel (RH, manager, élu, etc.) peut tout aussi bien mener cette démarche, s’il dispose de connaissances et/ou d’une expérience lui permettant de guider les parties en conflit tout en se sentant à l’aise pour le faire.  

Alternative numéro 3 : résoudre les difficultés liées au travail lui-même

Enfin, la solution se trouve parfois du côté de l’organisation du travail. Une charge de travail mal répartie, des périmètres de responsabilité flous, des process trop lourds, des outils inadaptés ou un manque de formation peuvent mener au conflit. 

Dans ce cas, on prendra le temps d’explorer les causes et de réunir les différentes personnes concernées par le problème, même si elles ne sont pas parties prenantes du conflit. Bien souvent, le seul fait de commencer à ouvrir la discussion de cette manière apaise les personnes et les manifestations du conflit. 

Des outils inspirés de l’ergonomie ou des théories de l’organisation du travail peuvent être utiles pour mener à bien cette démarche, comme par exemple l’analyse des goulets d’étranglements, des temps de travail ou des causes racines à l’aide d’un diagramme en arête de poisson. 

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Attention, une fois que des pistes de solutions se dégagent, il ne faut pas pour autant se précipiter sur la première idée venue, qui pourrait s’avérer peu en phase avec le besoin ou irréalisable. On pourra ainsi s’inspirer de ce tableau pour avancer vers une action vraiment concrète et utile.  

 

Action 1

Action 2

Etc.

Obstacles au déploiement

 

 

 

Risques à long terme

 

 

 

Conditions de mise en œuvre (étapes et modalités, calendrier projectif, personne responsable)

 

 

 

En conclusion, retenons que : 

  • ces alternatives ne s’excluent pas les unes des autres. Il est tout à fait possible, et même souvent sage, de cumuler des actions dont les effets convergeront vers la résolution de la situation ;
  • quelles que soient les mesures il ne faut pas oublier de tracer à l’écrit ce qui a été fait, quand et pourquoi ;
  • même s’il est décidé de réaliser une enquête, il faut mettre un soin particulier dans la communication que l’on adresse aux personnes concernées, mais aussi à l’équipe qui les entoure. 

L'objectif de l’employeur est avant tout de préserver la santé des collaborateurs et du collectif de travail. Aussi, chaque situation doit faire l’objet d’une analyse patiente et attentive afin de prendre les bonnes décisions. 


Cour de cassation, chambre sociale, 12 juin 2024, n° 23-13.975 (la cour d'appel, qui a fait ressortir que l'employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, a pu en déduire, nonobstant l'absence d'enquête interne, que celui-ci n'avait pas manqué à son obligation de sécurité)
Sur les goulets d’étranglement : Goldratt, E. M. & Cox, J (2004). The Goal: A Process of Ongoing Improvement. North River Press; 3rd Revised Edition. 

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Emma Pitzalis

Psychologue clinicienne - Consultante

Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …