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Pourquoi le concept de « génération » n’est pas un bon outil de GRH ?

Publié le 30/05/2023 à 11:44 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 4 min

Il suffit d’ouvrir un magazine de management pour trouver immédiatement des références aux termes de « Millenial » ou de « Génération Z ». Or, de récentes recherches montrent que la notion de génération, et donc les recommandations qui y sont associées, sont sans fondement.

L’âge ne peut pas, à lui seul, prédire les valeurs individuelles

La tendance à créer des catégories est un réflexe humain universel. C’est en effet l’une des premières opérations mentales que l’on apprend à maîtriser pendant l’enfance, et qui, comme tous les réflexes de raisonnement, permet d’économiser du temps et une énergie précieuse. Il est donc tout à fait normal d’avoir envie de différencier les personnes en fonction de leur âge, comme on pourrait le faire en fonction de leur sexe.

Les auteurs antiques s'intéressaient déjà aux cohortes de population, à ce qui pouvait les rassembler ou les diviser, mais ce n’est qu’au début du XXème siècle qu’est apparue la notion de génération telle que nous l’entendons aujourd’hui : un groupe de personnes nées dans un laps de temps déterminé, ayant vécu les mêmes évènements (géopolitiques, évolutions technologiques et sociales, etc.) et donc partageant des expériences et des valeurs communes.

Mais un même évènement n’aura pas la même influence sur la construction de l’identité de tous. Par exemple, une personne née dans une famille pauvre dans une grande métropole ne vivra pas une récession économique de la même manière qu’une autre personne évoluant dans une famille aisée à la campagne. Nos valeurs et nos attentes dépendent non seulement de l'époque et du lieu dans lesquels nous avons grandi, mais encore d’une infinité de variables (personnalité, relations familiales et sociales, expériences personnelles, culture, religion, instruction, etc.).

On ne sait pas ce que l’on mesure

Au-delà des facteurs individuels détaillés, les chercheurs qui s’intéressent aux différences intergénérationnelles sont incapables de distinguer les effets de l’âge de la période de naissance, même en utilisant des méthodes statistiques plus sophistiquées et lorsque des données exceptionnellement riches sont disponibles. Par conséquent, on ne peut pas qualifier les études comparatives de population de « générationnelles ».

Par ailleurs, les recherches qui s’intéressent à l’évolution des valeurs de personnes du même âge à différentes périodes (par exemple, les attentes professionnelles des jeunes de 20 ans nés en 1960, 1980 ou 2000) identifient une évolution continue au cours du temps plutôt que des démarcations claires entre générations. Le recours à ce type de catégorie n’est, de l’aveu des chercheurs eux-mêmes, qu’une manière de simplifier les choses.

Nous présupposons qu’une génération émergerait tous les 20 à 30 ans, mais il est difficile de retracer l’origine de cette hypothèse et de se prononcer sur sa véracité. Nous sommes convaincus qu’il existe des catégories générationnelles spécifiques et nous avons du mal à admettre que l’évolution des mœurs puisse être un processus continu plutôt qu’une suite de ruptures marquées.

Le concept de génération affaiblit la GRH

Les cabinets de conseil internationaux fournissent des conseils sur la manière de recruter et de fidéliser des groupes générationnels. Par exemple, des rapports suggèrent que les employeurs devraient utiliser des serious game et les réseaux sociaux, ou encore mettre en place des horaires de travail flexibles et plus de télétravail pour convaincre les Millennials.

Ces guides sont rassurants. Ils permettent de prendre des décisions, et donc d’avoir le sentiment de contrôler la situation. En fait, les RH accumulent de nombreuses fonctions. Leur énergie est dispersée entre l’administration du personnel, la gestion des carrières et l’accompagnement des problèmes humains. L’usage d’étiquette générationnelle est donc extrêmement séduisant, car il permet de faire l’économie d’une réflexion approfondie et coûteuse en temps.

Mais ce faisant, les RH se privent d’élaborer une stratégie mûrie, en phase avec le contexte de l’entreprise et ses ambitions, et attendue de leurs confrères des conseils d’administration. De plus, ces raccourcis pourraient bien éloigner les RH des collaborateurs, et notamment des jeunes entrant dont on dit pourtant qu’ils souhaitent être reconnus pour leur individualité.

Finalement, le concept de génération semble répondre à l’enjeu perçu des RH de gagner du temps, alors que la clé réside sans doute dans la définition lucide de priorités.


Sources
Parry, E., & Urwin, P. (2021). Generational categories: A broken basis for human resource management research and practice. Human Resource Management Journal, 31(4), 857-869.
Jean Piaget (1937), La construction du réel chez l'enfant
Histoire d’Hérodote, Le Politique de Platon, De la vieillesse de Cicéron
Karl Mannheim (1928), Le Problème des générations

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Emma Pitzalis

Psychologue clinicienne - Consultante

Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …