Reconnaissance d’une faute inexcusable : possible même si l’employeur a été relaxé au pénal
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Tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat caractérise une faute inexcusable dès lors qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. L’absence de condamnation de l’employeur au pénal n’empêche pas la reconnaissance d’une faute inexcusable
L’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil
Il est nécessaire de distinguer la faute inexcusable de la faute pénale. La faute sanctionnée pénalement peut conduire à une peine d’emprisonnement ou une amende et l’action pénale va condamner personnellement l’employeur ou l’un de ses préposés. La faute inexcusable quant à elle, vise à obtenir une réparation complémentaire sur le plan civil et ce sera la société qui sera condamnée.
Il existe un principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : le juge civil ne peut pas méconnaître ce qui a été jugé au pénal quant à l’existence ou la qualification des faits incriminés mais également à la culpabilité ou l’innocence de la personne à laquelle les faits sont imputés.
Il ressort des arrêts de la Cour de cassation que lorsqu’un employeur est condamné au pénal pour non-respect de son obligation de sécurité, cela implique qu’il avait conscience du danger auquel le salarié était exposé et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
En revanche, le fait que le juge pénal conclut à l’absence de faute pénale non-intentionnelle n’exclut pas la reconnaissance d’une faute inexcusable. La Cour de cassation a récemment eu à se prononcer à ce sujet.
Une relaxe au pénal n’exclut pas la reconnaissance d’une faute inexcusable
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, un salarié est décédé suite à une chute alors qu’il intervenait seul sur le chantier d’une maison en construction pour effectuer des travaux de finition sur la chaufferie. L’employeur avait été relaxé au pénal.
Un ayant-droit de la victime a saisi le tribunal des affaires de la Sécurité sociale (devenu tribunal judiciaire) qui a estimé que l’accident était lié à la faute inexcusable de l’employeur. La cour d’appel a confirmé cette décision : les juges reconnaissent la faute inexcusable dans la mesure où l’employeur ne s’est pas assuré et n’a pas vérifié les conditions dans lesquelles le salarié allait intervenir sur le chantier. Il aurait dû avoir conscience du danger auquel a été exposé ce dernier et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
La société, pour contester cette décision, fait référence à la décision intervenue au pénal qui l’avait relaxée, ainsi que le maître d’œuvre, du chef d’homicide involontaire. Elle rappelle le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil : dans la mesure où le juge répressif avait exclu tout lien de causalité entre les manquements qui lui sont reprochés et la chute du salarié, elle considère que la faute inexcusable aurait dû être rejetée.
La Cour de cassation rappelle que l’arrêt pénal avait retenu que si la chute depuis l’étage par une trémie non protégée était la cause du décès, rien n’a permis de déterminer la cause de cette chute. Il avait été constaté une absence de garde-corps au niveau de l’escalier d’où le salarié avait chuté et que ce dernier ne bénéficiait d’aucun moyen de protection. La Haute juridiction relève que même si l’employeur pouvait penser que le chantier était entièrement terminé, il ne s’en est pas assuré et n’a pas vérifié les conditions dans lesquelles le salarié allait intervenir sur le chantier. L’employeur aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver : à ce titre, la faute inexcusable de l’employeur est confirmée.
Les juges de la Cour de cassation confirment ici que même s’ils doivent prendre en considération les constatations du juge pénal, l’absence de condamnation de l’employeur au pénal n’empêche pas la reconnaissance d’une faute inexcusable. Toutefois, si la relaxe est prononcée en raison de l’absence de lien de causalité entre les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité et l’accident du salarié, l’autorité de la chose jugée s’appliquera et la faute inexcusable sera par conséquent rejetée.
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Cour de cassation, chambre civile 2, 13 avril 2023, n° 21-20.947 (le responsable de la société, s'il pouvait penser que le chantier était entièrement terminé, ne s'en est pas assuré et n'a pas vérifié les conditions dans lesquelles le salarié allait intervenir sur le chantier, faisant ainsi ressortir que l'employeur, qui aurait dû avoir conscience du danger auquel a été exposé son salarié, n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver)
Juriste droit social en cabinet d'expertise comptable
Master 2 Droit social interne, européen et international - Université de Strasbourg
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