Comment réagir à la réception d'un courrier anonyme ?

Publié le 16/10/2024 à 08:03, modifié le 07/01/2025 à 17:16 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 5 min

La réception d’un courrier anonyme dénonçant une situation de souffrance au travail provoque toujours un dilemme. Ignorer ce courrier du fait de son caractère anonyme, c’est prendre le risque de négliger une réelle injustice. A l’inverse, prendre immédiatement ces éléments pour argent comptant serait imprudent. Entre ces deux extrêmes, quelle solution raisonnable peut-on appliquer ?

Canaliser l’émotion

Il est tout à fait normal de ressentir de l’inquiétude, de la culpabilité ou encore de la colère à la lecture d’un courrier anonyme qui suppose à la fois l’impossibilité d’échanger directement avec l’auteur et l’existence d’une attente, peut-être encore plus forte que dans le cadre d’une alerte nominative.

Ainsi, le courrier anonyme émet implicitement une demande contradictoire (« je souhaite recevoir de l’aide, mais je ne vous aiderai pas à m’aider »). Cela génère immanquablement une pression chez le destinataire, qui se voit imposer une problématique vis-à-vis de laquelle il n’existe pas de bon choix moral a priori.

Il est cependant inutile de rechercher l’auteur du courrier de façon directe (par exemple, aller faire le tour de l’entreprise pour interroger les collaborateurs) car il existe certainement des raisons pour lesquelles celui-ci ne s’est pas exprimé à visage découvert.

Faire le point

Prenez le temps d’analyser le contenu du courrier et de le mettre en regard avec les informations dont vous disposez déjà. Pour ce faire, tracez un tableau dans lequel vous synthétiserez les données suivantes :

A investiguer

Exemples

Le courrier donne-t-il une indication relative à/aux auteur(s) du courrier ?

Service, site, etc.

Une seule personne ou un groupe de personne.

Le courrier incrimine-t-il une personne en particulier ou bien partage-t-il une situation générale ?

Une personne ou un groupe de personnes sont pointés.

Description d’un problème collectif.

Le courrier mentionne-t-il des faits concrets ? Quelles sont les conséquences du problème soulevé ?

Manque de personnel et surcharge de travail.

Agissements inappropriés d’un collègue et conséquences sur la santé, etc.

Si oui, les faits énoncés sont-ils déjà connus de la Direction, des représentants du personnel, des préventeurs ou de la médecine du travail ? Depuis quand ?

Existence d’une ou plusieurs alertes dans les semaines ou mois précédents la réception du courrier.

Teneur desdites alerte(s).

Si non, des signaux faibles allant dans le sens du courrier ont-ils déjà été observés ?

Absentéisme, démission, turn-over, etc.
Alerte de la médecine du travail, entretiens RH, etc.

Existe-t-il déjà un plan de prévention des RPS ? Si oui, des actions répondent-elles déjà aux problèmes soulevés par le courrier ? Depuis quand ces actions sont-elles mises en place ?

Formation à la surcharge de travail, à la détection des faits de harcèlement, etc.

Diagnostic des RPS.

Action en cours ou en attente de déploiement. Action achevée.

Quel est le ton du courrier ?

Vindicatif, factuel, dramatique, etc.

Le courrier comporte-t-il une demande précise ?

Solliciter un diagnostic ou une enquête, l’intervention d’un membre de la Direction ou de l’encadrement, etc.

Ne pas agir seul

A partir de la synthèse réalisée, réunissez une équipe formée d’acteurs concernés par les risques psychosociaux :

  • la direction ;
  • le service RH et/ou le service de prévention ;
  • la médecine du travail ;
  • les représentants du personnel.

Ces interlocuteurs émettront probablement des réticences à partager l’information. Or, pour briser l’omerta, il faut donner l’exemple et faire circuler la parole entre ces différents acteurs. Veillez à rassembler un nombre de personnes permettant une prise de décision efficace (6 ou 7 maximum).

Lors d’une « réunion de crise » seront abordées toutes les pistes d’action en réponse au courrier anonyme. On s’efforcera de décortiquer chacune d’entre elles à l’aide du tableau suivant.

Exemple : Idées d’actions à mener en réponse à un courrier anonyme dénonçant « les agissements sexistes » d’un cadre :

Pistes d’actionAvantagesRisques à court termeRisques à long termeConditions de mise en œuvre
#1 Déclencher une enquêteClarifier la situation

Fortes réactions émotionnelles.

Refus de s’exprimer.

Gérer d’éventuelles sanctions RH.

Dénonciation calomnieuse.

Instrumentalisation.

Prévoir :

- libellé clair ;

- modalités de communication à l’équipe (en amont et en aval) ;

- liste des personnes à tenir informées ;

- budget pour faire intervenir un expert.

#2 Entretien RH avec le cadreAvancer pas à pasParole unilatéralePerpétuation du problème si aucune suite n’est donnéeL’entretien RH ne peut être qu’une première étape
#3 Coaching du cadreRésoudre le problème sans incriminer le cadre

Refus du cadre.

Difficultés à cerner les faits ayant motivé la plainte.

Echec du coaching.

Démission de collaborateurs (sentiment d’injustice).

Créer un rétroplanning.

Envisager les conséquences en cas d’échec et en informer le cadre au démarrage.

Résoudre le dilemme

Il est rare que la réception d’un courrier anonyme demeure secrète. Le collectif déduira toujours quelque chose de la réponse apportée. Reprenons l’exemple ci-dessus. Un entretien RH - même s’il est suivi d’un recadrage formel, mais que le manager pointé du doigt ne change pas - pourrait inspirer un fort sentiment d’injustice aux personnes qui déplorent son attitude. Et si ces personnes ont préféré un courrier anonyme à une plainte ouverte, elles risqueraient de perdre définitivement confiance en leur employeur et de couper toute possibilité de communication.

C’est pourquoi il faut s’appuyer sur l’appréciation des risques à long terme plutôt que sur les avantages d’une potentielle solution pour faire son choix. C’est ce qu’on appelle « faire preuve de responsabilité ».

Cette situation représente la preuve par excellence qu’il faut soigner le terrain pour éviter qu’il n’y pousse de mauvaises herbes. Car si courrier anonyme il y a, c’est bien qu’il existe un problème, que la plainte soit sincère ou qu’il s’agisse d’une tentative de chantage ou d’une dénonciation calomnieuse.

La prévention du risque psychosocial est toujours itérative. Elle doit s’inscrire dans la durée pour maximiser les chances qu’à l’avenir, la parole puisse circuler naturellement, sans que les salariés n’aient besoin d’avoir recours à l’artefact du courrier anonyme.

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Emma Pitzalis

Psychologue clinicienne - Consultante

Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …