Comment réagir à la réception d'un courrier anonyme ?
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La réception d’un courrier anonyme dénonçant une situation de souffrance au travail provoque toujours un dilemme. Ignorer ce courrier du fait de son caractère anonyme, c’est prendre le risque de négliger une réelle injustice. A l’inverse, prendre immédiatement ces éléments pour argent comptant serait imprudent. Entre ces deux extrêmes, quelle solution raisonnable peut-on appliquer ?
Canaliser l’émotion
Il est tout à fait normal de ressentir de l’inquiétude, de la culpabilité ou encore de la colère à la lecture d’un courrier anonyme qui suppose à la fois l’impossibilité d’échanger directement avec l’auteur et l’existence d’une attente, peut-être encore plus forte que dans le cadre d’une alerte nominative.
Ainsi, le courrier anonyme émet implicitement une demande contradictoire (« je souhaite recevoir de l’aide, mais je ne vous aiderai pas à m’aider »). Cela génère immanquablement une pression chez le destinataire, qui se voit imposer une problématique vis-à-vis de laquelle il n’existe pas de bon choix moral a priori.
Il est cependant inutile de rechercher l’auteur du courrier de façon directe (par exemple, aller faire le tour de l’entreprise pour interroger les collaborateurs) car il existe certainement des raisons pour lesquelles celui-ci ne s’est pas exprimé à visage découvert.
Faire le point
Prenez le temps d’analyser le contenu du courrier et de le mettre en regard avec les informations dont vous disposez déjà. Pour ce faire, tracez un tableau dans lequel vous synthétiserez les données suivantes :
Ne pas agir seul
A partir de la synthèse réalisée, réunissez une équipe formée d’acteurs concernés par les risques psychosociaux :
- la direction ;
- le service RH et/ou le service de prévention ;
- la médecine du travail ;
- les représentants du personnel.
Ces interlocuteurs émettront probablement des réticences à partager l’information. Or, pour briser l’omerta, il faut donner l’exemple et faire circuler la parole entre ces différents acteurs. Veillez à rassembler un nombre de personnes permettant une prise de décision efficace (6 ou 7 maximum).
Lors d’une « réunion de crise » seront abordées toutes les pistes d’action en réponse au courrier anonyme. On s’efforcera de décortiquer chacune d’entre elles à l’aide du tableau suivant.
Exemple : Idées d’actions à mener en réponse à un courrier anonyme dénonçant « les agissements sexistes » d’un cadre :
Résoudre le dilemme
Il est rare que la réception d’un courrier anonyme demeure secrète. Le collectif déduira toujours quelque chose de la réponse apportée. Reprenons l’exemple ci-dessus. Un entretien RH - même s’il est suivi d’un recadrage formel, mais que le manager pointé du doigt ne change pas - pourrait inspirer un fort sentiment d’injustice aux personnes qui déplorent son attitude. Et si ces personnes ont préféré un courrier anonyme à une plainte ouverte, elles risqueraient de perdre définitivement confiance en leur employeur et de couper toute possibilité de communication.
C’est pourquoi il faut s’appuyer sur l’appréciation des risques à long terme plutôt que sur les avantages d’une potentielle solution pour faire son choix. C’est ce qu’on appelle « faire preuve de responsabilité ».
Cette situation représente la preuve par excellence qu’il faut soigner le terrain pour éviter qu’il n’y pousse de mauvaises herbes. Car si courrier anonyme il y a, c’est bien qu’il existe un problème, que la plainte soit sincère ou qu’il s’agisse d’une tentative de chantage ou d’une dénonciation calomnieuse.
La prévention du risque psychosocial est toujours itérative. Elle doit s’inscrire dans la durée pour maximiser les chances qu’à l’avenir, la parole puisse circuler naturellement, sans que les salariés n’aient besoin d’avoir recours à l’artefact du courrier anonyme.
Psychologue clinicienne - Consultante
Née en 1992 à Enghien-les-Bains, Emma Pitzalis est psychologue clinicienne (Paris X), diplômée en thérapies brèves et stratégiques de l'Institut Gregory Bateson. Emma a débuté sa carrière au sein de …
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