Santé mentale au travail : des chiffres qui questionnent

Publié le 04/09/2024 à 07:18 dans Risques psychosociaux.

Temps de lecture : 3 min

Depuis la crise COVID, les questions liées à la santé mentale au travail occupent une place de choix dans les préoccupations des instituts de sondage, des bureaux de conseils ou au sein des universités.

L’instauration de sauveteurs en santé mentale

Chacun à sa manière cherche une approche « vraiment adaptée » pour résoudre les problèmes dont les dirigeants d’entreprise se passeraient bien. Surtout que cette composante « santé mentale » est presque devenue indissociable du travail en soi. Lorsqu’il est question de stress, de conditions défavorables à l’épanouissement professionnel, de perte de sens au travail, de processus incohérents, de méfiance, du sentiment d’usure précoce, de démotivation etc., tout, ou presque, ramène à l’équilibre psychique. Mais à qui la faute ?

Si l’on peut trouver un soulagement, deux associations dédiées à la santé mentale, accompagnées d’experts du sujet, se sont concertées afin de créer un programme de « sauveteurs santé mentale » au travail. On peut toutefois déplorer la légèreté de la formation, et surtout l’absence totale de l’évaluation psychique de ces sauveteurs. Bien que le mandat d’intervention soit limité, ces derniers ne sont pas à l’abri de leur propre vulnérabilité, d’autant que cette mesure préventive creuse l’écart entre la responsabilité managériale reléguée cette fois encore à d’autres, et la santé des salariés. Mais quel est le lien entre secourisme santé mentale et statistiques ?

Ouvrir les yeux plus grands

Revenons aux chiffres : selon le dernier baromètre d’Opinion Way, 1 salarié sur 2 s’estime en détresse psychologique, tandis que burn-out, dépressions, tentatives de suicide, comportements addictifs ne cessent d’augmenter.

Et si nous ouvrions les yeux plus grands, mais vraiment beaucoup plus grands, pour dépasser ces chiffres, pour comprendre ce qu’ils racontent, au-delà des premiers effets de la déception certaine qu’ils génèrent ?

Sommes-nous réellement conscients de nos fragilités hors travail ? Est-ce vraiment la faute des employeurs ? Ou sommes-nous tout simplement coincés dans une dysfonction systémique dont le centre nerveux se situe ailleurs et ne fait que se répercuter sur le travail ?

Ne pas se poser la question serait passer à côté d’une belle occasion d’ouvrir notre angle de vue. Mais comme la question n’intéresse guère, les alertes restent lettre morte et nous continuons à sillonner avec légèreté les routes d’évitement pour nous soustraire à cette sinistre réalité.

Les enquêtes effectuées dans le cadre du travail laissent totalement pour compte l’état de fragilité dans lequel nous nous trouvons en tant que société en souffrance. Notre équilibre psychique est largement pris à partie bien avant que nous ne soyons actifs sur le plan professionnel et les chiffres ne sont que l’extension de la détresse psychologique vécue sur le plan personnel.

Quand nous serons capable d’admettre cette triste réalité, peut-être que quelqu’un sera en mesure de réécrire les programmes universitaires en management, en assistance sociale, en psychologie pour préparer à la conscience de ces faits. Peut-être que quelqu’un inventera une manière de mieux-vivre ensemble ou qu’un autre pourra redessiner les priorités en terme d’approches médicales sur la santé mentale au lieu de faire des professionnels de la santé mentale des zombies de l’assistance qui se sentent dépassés et avec raison, n’ayant plus le temps de regarder la vulnérabilité des autres dans les yeux. Lorsque la souffrance passe inaperçue, c’est le temps manquant à celui qui ne regarde plus qui tue ce qui reste d’humanité en chacun de nous.


12e baromètre du cabinet Empreinte Humaine avec Opinion Way, novembre 2023

Prisca Lepine auteur

Prisca Lépine

Québécoise au parcours atypique, d’abord psychologue clinicienne dans une large institution de santé, j’ai été rapidement saisie par l’impact du climat de travail sur les comportements, et, au même …