Télétravail prolongé : prendre en compte les incivilités numériques dans sa démarche de prévention des RPS

Publié le 16/12/2020 à 08:17, modifié le 21/12/2020 à 15:38 dans Risques psychosociaux.

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Depuis le début de la crise sanitaire, le bouleversement des pratiques de travail attire la vigilance constante des spécialistes de la prévention des RPS. Le télétravail prolongé qui caractérise certains postes s'accompagne en effet d’une utilisation massive des technologies numériques de communication. Indispensables pour maintenir le lien et la collaboration au sein d’une équipe, ces outils sont pourtant à la source d’un risque encore peu (re)connu : les incivilités numériques.

Incivilités numériques : quelles sont-elles et pourquoi s’en préoccuper ?

Politesse, ton de la voix, niveau de langue … L’incivilité correspond à la transgression d’une ou plusieurs règles tacites de l’échange inter-individus, qui s’oppose au respect d’autrui nécessaire dans un cadre professionnel. Si celle-ci peut avoir lieu dans n’importe quel type d’interaction, ce sont surtout les échanges numériques qui semblent à risque. La chercheuse Aurélie Laborde (spécialiste de l’étude des incivilités numériques) note en effet une évolution très rapide des modes de communication, propice au brouillage des règles de l’échange et donc aux incivilités.

Plusieurs études scientifiques mettent en avant l’impact des incivilités sur les individus au travail. Ces dernières affectent la satisfaction au travail ainsi que la santé physique et mentale des salariés. Au niveau du collectif, les incivilités semblent affecter à la fois les cibles et les témoins des échanges, en contribuant à créer des environnements incivils qui perturbent l’efficacité, l’engagement au travail, la productivité et la performance. Cependant, et au-delà de leur effet immédiat, les incivilités numériques sont fréquemment le reflet de problématiques organisationnelles plus globales, telles qu’une surcharge de travail ou une inadaptation des outils à disposition. À la fois causes et conséquences de souffrances, les incivilités numériques ont donc une place toute particulière dans la prévention des RPS.

Comment se manifestent les incivilités numériques ?

Contrairement à une agression physique ou verbale, le degré de violence d’une incivilité est susceptible de varier d’une personne à l’autre et d’une situation à l’autre. De ce fait, les incivilités numériques sont souvent invisibles, voire banalisées. Elles sont pourtant bien plus présentes qu’on ne le croit. Un certain nombre d’incivilités numériques s’inscrivent dans la relation managériale. Elles peuvent être perpétrées tant par un manager à l’encontre de son collaborateur (sollicitations en dehors des horaires de travail, mails sans formule de courtoisie, etc.) que par un collaborateur envers son manager (dispositifs institutionnels "détournés” par des collaborateurs qui souhaitent mettre en lumière des difficultés rencontrées avec un ou plusieurs de leurs superviseurs par exemple).

N’oublions pas également les incivilités numériques liées aux relations externes avec des clients et usagers. Principalement véhiculées par les mails ou les commentaires sur les réseaux sociaux, ces sollicitations sont fréquemment à la source de surcharge matérielle et cognitive de travail, voire de véritables sensations d’agressions.

Identifier, prévenir et agir contre ces incivilités

Il ressort des recherches menées par Aurélie Laborde et ses collègues que les incivilités numériques sont très peu signalées par les canaux classiques (enquêtes RPS, QVT, climat social, etc.). L’enjeu sera donc, dans les mois à venir, de mettre en place des dispositifs permettant d'identifier et d’évaluer les incivilités numériques. Intégrer des indicateurs destinés à analyser les communications numériques dans le DUER et des mesures d’évaluation des incivilités dans les enquêtes QVT annuelles semble ainsi un enjeu important.

Cependant, évaluer les incivilités numériques pose une question de taille : quelle méthode employer ? Chaque organisation, chaque collectif, génère ses propres approches de la communication numérique, en fonction de sa culture et de son histoire. L’utilisation d’échelles scientifiquement valides permet d’obtenir des résultats quantifiables. Delphine Dupré, chercheuse en sciences de la communication, recommande dans ce cadre l’utilisation de mesures de cyber-harcèlement, conçues pour repérer les violences comme les micro-agressions. Toutefois, il est important de garder à l’esprit que ces échelles ne fournissent aucune clé de compréhension du contexte dans lequel les incivilités numériques s’inscrivent. Une enquête par entretiens est donc recommandée en cas d’incivilités.

Au-delà de l’identification et de l’évaluation des incivilités numériques, un travail sur la prise de conscience, individuelle et collective, est essentiel si l’on veut voir évoluer les choses. Un travail important doit être réalisé pour que chacun identifie les conséquences, pour lui-même et pour les autres, de ses propres pratiques. Plus qu’une règle formelle, il s’agit de définir, à l’échelle de petits collectifs de travail, les usages et les limites acceptés.


Références :
Dupré, D. (2018). Cyber harcèlement au travail : revue de la littérature anglophone. Communication et organisation, 54, 171-188. DOI 10.4000/communication organisation.7109.
Laborde, A., Cazeilles-Laurent, C., Cuq, A.-L., Debeauvais, Y., Dupré, D., & Lestrade, V. (2018). Le numérique : nouvelles sources d'incivilités au travail. Programme Civilinum - Université Bordeaux-Montaigne.
Laborde, A., Dalm, C., Jakubiec, H., & Dupré, D. (2020). Incivilités numériques et souffrance au travail. Archives des Maladies Professionnelles et de l'Environnement, 81(5), 434-435.

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Nolwenn Anier

Docteure en psychologie - Consultante R&D

Docteure en psychologie, diplômée de l'université Clermont-Auvergne, Nolwenn a mené au cours de ses travaux de thèse différentes études ayant permis d'examiner la promotion de la diversité …