Cassation sociale, 5 octobre 1999, n° 97-80.394 cassation sociale - Editions Tissot

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Cassation sociale, 5 octobre 1999, n° 97-80.394

Le fait que l’employeur doit tenir à la disposition de l’inspecteur du travail, pendant 1 an, les documents permettant de comptabiliser les horaires de travail en application des dispositions de l’article L. 611-9, alinéa 3 (devenu L. 8113-5) du Code du travail, n’est pas incompatible avec les dispositions de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 5 octobre 1999
N° de pourvoi: 97-80394
Non publié au bulletin Rejet

Président : M. GOMEZ, président


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le cinq octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire KARSENTY, les observations de Me VUITTON, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LUCAS ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... Makoto,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 11ème chambre, en date du 16 décembre 1996, qui l'a condamné, pour obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail, à un mois d'emprisonnement avec sursis et 25 000 francs d'amende ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 611-8, L. 611-9, L. 611-10, L. 631-1, R. 631-1, R. 631 et R. 632 du Code du travail, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Makoto X... coupable du délit d'entrave à l'exercice des fonctions d'un inspecteur ou d'un contrôleur du travail, en répression l'a condamné à 1 mois d'emprisonnement avec sursis et 25 000 francs d'amende ;

"aux motifs que c'est à tort que le prévenu soutient que l'inspection du travail ne saurait obtenir que la communication des documents prévus par l'alinéa 1 de l'article L. 611-9 du Code du travail quand il entreprend de comptabiliser les heures de travail accomplies ; que si tel était le cas, il n'y aurait aucun sens à l'alinéa 4 du même article qui prévoit l'obligation autonome et explicite de tenir à disposition "le ou les documents existant" qui permettent ce contrôle ; qu'en outre, ces documents ne se confondent pas avec ceux prévus à l'alinéa 1 puisqu'il s'agit souvent de documents sur la base desquels les premiers, telles les fiches de paie, sont établis ;

que, par ailleurs, c'est vainement que le prévenu prétend qu'en lui réclamant un "état récapitulatif des dimanches et jours fériés travaillés par chaque salarié au cours de l'année 1994", on lui réclamait un document qui n'existe pas ; qu'en réalité le mot état s'entend aisément comme description d'une situation et c'est d'ailleurs bien ainsi que le prévenu l'a compris quand il a refusé téléphoniquement de donner des informations pour des raisons de confidentialité ; qu'il est depuis allégué qu'en réalité existaient des éléments d'information, des "brouillards" qui auraient été communiqués à l'inspection du Travail ce qui est totalement réfuté par celle-ci ; que c'est bien le refus de mise à disposition de ces documents qui constitue le délit d'obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail ;

"alors que, d'une part, le délit d'entrave à l'exercice des fonctions d'inspecteur ou de contrôleur du travail est un délit intentionnel constitué dès lors que le prévenu s'oppose volontairement à remettre un document relevant soit des textes législatifs soit des textes réglementaires ; qu'en l'état de ces textes, il n'est pas mis à la charge du chef d'établissement l'obligation de dresser et donc de communiquer en cas de contrôle de l'inspection du Travail "un état récapitulatif des dimanches et jours fériés travaillés pour chaque salarié concerné au titre d'une année donnée" ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui, tout en relevant que le document litigieux n'entrait pas dans les prévisions desdits textes, en ce qu'il s'entendait "comme description d'une situation" a retenu le prévenu dans les liens de la prévention, n'a pas déduit de ses constatations les conséquences légales qui s'en évinçaient ;

"alors que, d'autre part, les procès-verbaux des inspecteurs et des contrôleurs du travail font foi jusqu'à preuve du contraire ; qu'il résulte du procès-verbal d'infraction du 3 octobre 1995 que Makoto X... a fourni à l'inspection du Travail des documents, lesquels mentionnaient pour chaque salarié concerné le montant de la prime attribuée mensuellement et que ces documents ont permis de constater que "cette prime est variable et en fonction du nombre de dimanches et jours fériés à travailler et aussi de la qualification du salarié (annexe 2)" ; qu'en conséquence, pour avoir décidé que le prévenu n'avait fourni aucun document s'entendant comme description des dimanches et jours fériés travaillés, la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal précité ;

"alors que, enfin, la Cour de Paris, qui a constaté que le prévenu avait remis volontairement des documents indiquant le montant des primes payées mensuellement en fonction des dimanches et jours fériés travaillés et de la qualification de chaque salarié concerné, ne pouvait entrer en voie de condamnation sans rechercher si, comme le sollicitait le prévenu, les indications portées par lesdits documents ne permettaient pas à l'inspection du Travail de dresser un état comptable du temps travaillé pour chaque salarié concerné, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés" ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 611-8, L. 611-10, R. 613 et R. 632 du Code du travail, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Makoto X... coupable du délit d'entrave à l'exercice des fonctions d'inspecteur ou contrôleur du travail, en répression l'a condamné à 1 mois d'emprisonnement avec sursis et 25 000 francs d'amende ;

"aux motifs que la mise en oeuvre de l'article L. 611-9, alinéa 4, du Code du travail ne peut pas plus être critiquée sur le fondement de l'interprétation jurisprudentielle précitée et notamment de l'arrêt Funke où la Cour européenne des droits de l'homme a reproché que l'on ait fait condamner quelqu'un pour qu'il fournisse des preuves, faute de pouvoir ou se vouloir se les procurer par un autre moyen ; en effet, au cas d'espèce, l'inspection du Travail avait déjà constaté que l'établissement du prévenu ouvrait irrégulièrement le dimanche, que les heures de travail étaient effectuées en sus de la durée légale du travail, qu'elles n'étaient pas mentionnées sur les feuilles de paie mais au contraire payées sous forme de primes ;

ainsi, Makoto X... avait mis en place non seulement un système illégal mais les moyens de dissimuler cette illégalité ; refuser à l'inspection du Travail l'accès aux informations que le prévenu était seul à détenir sur la réalité des horaires qu'il imposait à ses personnels aboutirait à protéger un système ayant pour objet de rendre impossible l'accès à toute preuve ; on se trouve, au cas d'espèce, dans la situation où l'Administration a déjà connaissance de faits au sujet desquels elle peut demander des documents y afférents comme l'a indiqué la Cour de justice des communautés européennes dans son arrêt Orkem ;

"alors que toute infraction relative au non-respect de la durée légale du travail ou au non-respect du repos dominical doit faire l'objet d'une constatation opérée dans les locaux de l'entreprise par les inspecteurs habilités ; que ces derniers ne sauraient poursuivre pénalement Makoto X... dans le but de le sanctionner pour le défaut de communication d'une pièce palliant leur carence dans l'administration de la preuve à défaut d'avoir dressé les procès-verbaux en vue de sanctionner de prétendues infractions ; qu'en écartant le moyen du prévenu tendant à faire constater à son encontre une violation de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour n'a pas légalement justifié son arrêt" ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour déclarer Makoto X... coupable du délit d'obstacle à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail, la cour d'appel énonce que les services de l'inspection du Travail se sont rendus le dimanche 23 octobre 1994 dans l'établissement SPHE KAM'S qui était ouvert malgré l'absence de dérogation, où ils ont relevé la présence de dix-huit salariés ; qu'ayant constaté que les états du personnel et les bulletins de paie ne comportaient aucune heure supplémentaire, ils ont alors demandé à Makoto X..., responsable de l'établissement, la communication de l'état récapitulatif des dimanches et jours fériés travaillés pour chaque salarié au cours de l'année 1994 ;

qu'à la demande de l'inspecteur, renouvelée par plusieurs courriers puis lors d'une visite du 3 avril 1995, le prévenu s'est borné à remettre un état mensuel des primes versées à chaque salarié pour les dimanches et les jours fériés travaillés, et refusé de manière répétée de remettre toute autre information ; qu'ils soulignent notamment, pour rejeter le grief pris de la violation de l'article 6 de la Convention visée au moyen, que l'inspection du Travail a réclamé des documents obligatoires que le prévenu était seul à détenir sur la réalité des horaires effectués par ses salariés et que cette demande a été faite dans le respect des dispositions de l'article 12 de la Convention internationale du travail n 81 du 19 juillet 1947, publié au journal officiel le 16 février 1951 ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui procèdent de leur appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus, et dès lors que la demande de communication de l'inspection du Travail portait sur des documents entrant dans les prévisions de l'article L. 611-9, alinéa 3, du Code du travail, les juges ont caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel le délit poursuivi ;

Que l'article précité, qui oblige les chefs d'établissement à tenir à la disposition de l'inspecteur du travail, pendant un an, les documents permettant de comptabiliser les horaires de travail, n'est pas incompatible avec les dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Qu'ainsi, les moyens ne peuvent qu'être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article L.131-6, alinéa 4, du Code de l'organisation judiciaire : M. Gomez président, Mme Karsenty conseiller rapporteur, M. Milleville conseiller de la chambre ;

Avocat général : M. Lucas ;

Greffier de chambre : Mme Daudé ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;

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