Jurisprudence sociale
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Cassation sociale, 30 novembre 1999, n° 97-41.431
À partir du moment où il a été précisé au salarié d’une banque que son détachement auprès d’une filiale, pour y exercer un mandat social, ne lui faisait pas perdre son statut d’agent de banque, la révocation du mandat social obligeait l’employeur à le reclasser en tant que salarié en lui offrant une autre affectation, peu important la cause de cessation du mandat.
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mardi 30 novembre 1999 N° de pourvoi: 97-41431 Publié au bulletin Cassation partielle.
Président : M. Gélineau-Larrivet ., président Rapporteur : M. Chagny., conseiller rapporteur Avocat général : M. Lyon-Caen., avocat général Avocats : Mme Luc-Thaler, la SCP Piwnica et Molinié., avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Attendu que M. X... a été engagé le 18 août 1969 en qualité d'attaché commercial par la société Banque régionale d'escompte et de dépôts (la BRED) et qu'il a été promu directeur des grandes entreprises à compter du 1er janvier 1989 ; qu'il a été détaché, à partir du 1er février 1991, auprès de la société Soloma, filiale de la BRED, pour exercer les fonctions de membre du directoire dont il a été nommé président le 1er avril 1991 ; qu'il a été mis fin à son mandat social le 27 septembre 1993 ; qu'il a été licencié le 6 décembre 1993 pour motif économique par la BRED ;
Sur les deux moyens réunis du pourvoi incident de l'employeur :
Attendu que la BRED reproche à l'arrêt attaqué d'avoir jugé que le licenciement de M. X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse et de l'avoir, en conséquence, condamnée à payer des domages-intérêts à l'intéressé, alors, selon les moyens, premièrement, qu'il résulte de la lettre du 17 avril 1991 que l'employeur s'était réservé la faculté de reprendre à son service le salarié qu'il avait détaché auprès d'une filiale où celui-ci exerçait les fonctions de président du directoire ; qu'en décidant qu'il résulterait de la lettre susvisée que l'employeur aurait eu l'obligation d'offrir à son agent une autre affectation, dès lors que le mandat de ce dernier avait pris fin, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, deuxièmement, que l'employeur étant seul juge des compétences professionnelles des salariés il ne lui incombe pas de justifier son choix, auquel nul ne peut se substituer, de licencier pour motif économique l'un d'entre eux sans lui proposer de le reclasser à un emploi disponible dans l'entreprise, dès lors qu'il estime que celui-ci n'a pas les connaissances techniques ni l'expérience nécessaires pour être apte à tenir ce poste ; qu'en relevant que l'employeur soutenait, sans le démontrer, que le salarié n'aurait pu occuper le poste de directeur des ressources humaines de la BRED, ni celui de directeur de l'inspection qui avaient été pourvus, la cour d'appel a substitué son appréciation à celle de l'employeur et a ainsi violé les dispositions de l'article L. 321-1 du Code du travail ; alors, troisièmement, qu'en relevant qu'il n'était pas démontré que le salarié n'aurait pu occuper le poste de directeur des ressources humaines, ni celui de directeur de l'inspection, respectivement pourvus les 1er septembre et 1er octobre 1993, sans rechercher si, lors de ces deux recrutements, l'employeur avait eu connaissance de la suppression du poste de président du directoire de la filiale auprès de laquelle il avait détaché le salarié, décision qui avait été prise par l'assemblée générale de celle-ci le 27 septembre 1993, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article L. 321-1 du Code du travail ; et alors, quatrièmement, que l'employeur doit justifier qu'il a recherché les possibilités de reclassement d'un salarié avant de le licencier pour motif économique, mais n'est pas tenu de rapporter la preuve qu'il n'existait aucun poste susceptible de lui être proposé ; qu'en relevant qu'il n'était pas établi qu'il n'existait pas, tant dans la société que dans le groupe, d'emploi de qualification inférieure susceptible d'être proposé au salarié, fût-ce au prix d'une modification substantielle de son contrat de travail, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 321-1 du Code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel qui, analysant les conventions des parties et, notamment, la lettre du 17 avril 1991, qu'elle n'a pas dénaturée, par laquelle le directeur général de la BRED avait précisé à M. X... que son détachement au sein de la société Soloma n'entraînait pas la perte de son statut d'agent de la banque et estimant que la révocation du mandat social confié à l'intéressé dans la filiale de la banque avait seulement eu pour effet de mettre fin à l'affectation du salarié dans ladite filiale, a pu déduire de ses constatations et énonciations que la BRED avait l'obligation d'offrir à son salarié une autre affectation, peu important à cet égard la cause de la cessation du mandat ;
Et attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur n'avait tenté aucun reclassement de l'intéressé, a exactement décidé que le licenciement auquel il avait procédé était dépourvu de cause économique ;
Que les moyens ne peuvent être accueillis ;
Sur le pourvoi principal du salarié :
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de l'avoir débouté de sa demande de modification de l'assiette de son salaire prenant en considération la somme de 225 000 francs à titre d'augmentation de salaire qui lui avait été consentie lors de son détachement à la société Soloma ainsi que l'usage d'un véhicule de fonction et, par voie de conséquence, de l'avoir débouté de ses demandes de complément de salaire, de congés payés et d'indemnités de préavis et de licenciement et d'avoir en outre limité le montant de son indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors, selon le moyen, d'une part, qu'il est admis, en vertu de l'article 123 de la loi du 24 juillet 1966 que la fixation de la rémunération d'un membre du directoire s'analyse comme un acte unilatéral du conseil de surveillance auquel ledit membre est totalement étranger ; qu'en conséquence, en ne relevant pas que l'intéressé, demeuré totalement étranger à la délibération modifiant sa rémunération, pouvait se prévaloir valablement de l'apparente régularité de l'accord que lui avait donné le président du conseil de surveillance le 9 septembre 1993, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article précité et de l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en s'abstenant de répondre au chef des conclusions de l'intéressé faisant valoir que la BRED avait été informée de son augmentation de salaire et qu'elle l'avait avalisée en lui délivrant des feuilles de paye faisant mention de ladite augmentation et en procédant aux déclarations fiscales sur cette base, la cour d'appel a également violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le complément de rémunération alloué à l'intéressé étant exclusivement attaché à l'exercice du mandat social au sein de la filiale de l'employeur, la cour d'appel a décidé qu'il n'y avait pas lieu de modifier le montant de l'indemnité de préavis que la BRED avait exactement calculé sur le salaire moyen des trois derniers mois ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et sur le troisième moyen : (sans intérêt) ;
Mais sur le deuxième moyen :
Vu l'article L. 321-14 du Code du travail ;
Attendu que, pour débouter le salarié de sa demande tendant au paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage, l'arrêt retient que des dommages-intérêts pour violation de la priorité de réembauchage ne peuvent être alloués au salarié dès lors que le licenciement pour motif économique dont il a été l'objet est dépourvu de cause réelle et sérieuse justificative sur le plan économique ;
Attendu, cependant, que le défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement n'enlève pas à celui-ci sa nature juridique de licenciement pour motif économique ; d'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de sa demande de paiement de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage, l'arrêt rendu le 6 février 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.
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