Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mardi 29 septembre 1992
N° de pourvoi: 91-86851
Publié au bulletin Cassation partielle
Président :M. Le Gunehec, président
Rapporteur :M. Dumont, conseiller rapporteur
Avocat général :M. Galand, avocat général
Avocat :M. Boullez, avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Dijon, contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 18 septembre 1991, qui a relaxé Jean-François X... du chef d'infractions à la réglementation du travail.
LA COUR,.
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article L. 611-10 du Code du travail, insuffisance de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jean-François X... des fins de la poursuite exercée contre lui des chefs de dépassement des durées maximales hebdomadaires et journalières du travail, non-paiement des heures supplémentaires et absence de repos compensateurs (PV n° 57.10/89, n° 58.10/89, n° 59.10/89) ;
" au motif qu'en l'état de la réglementation communautaire l'emploi des chronotachygraphes ne s'applique pas aux véhicules affectés à l'enlèvement des immondices ; que les feuilles de tournée sont établies unilatéralement par les chauffeurs et ne peuvent constituer un élément de preuve ; que l'utilisation par la société de ces dernières ne concerne que la gestion de l'entreprise et que l'absence de caractère contradictoire leur enlève toute force probante ;
" alors que les procès-verbaux établis par les inspecteurs du Travail font foi de leurs constatations jusqu'à preuve du contraire, que les documents utilisés par l'inspecteur du Travail, rédacteur des procès-verbaux précités, sont ceux utilisés par l'entreprise pour le paiement des salaires des ouvriers, et sont ceux qui ont été communiqués officiellement au verbalisateur ; que celui-ci peut établir la réalité des contraventions par tous moyens ; que Jean-François X... n'a pu, en tout état de cause, rapporter la preuve contraire des constatations effectuées par l'inspecteur du Travail ; qu'il y a donc violation de l'article L. 611-10 du Code du travail " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'à la suite de la remise à l'inspecteur du Travail, en application de l'article L. 611-9, alinéa 2, du Code du travail des documents permettant de comptabiliser les heures de travail des salariés de l'agence de Troyes de la société Simat, Jean-François X..., directeur général de cette société, a été poursuivi notamment du chef d'infractions à la durée du travail et à la législation sur les heures supplémentaires ;
Attendu que, pour confirmer le jugement de relaxe rendu à cet égard, la juridiction du second degré, après avoir relevé que les constatations du fonctionnaire du Travail ont été faites d'après l'ensemble des documents enregistrant la durée du travail dans l'entreprise (disques de contrôlographes et feuilles de tournées journalières), énonce qu'en l'état de la réglementation européenne l'emploi des chronotachygraphes ne s'applique pas aux véhicules affectés à l'enlèvement des immondices, secteur d'activité de la Simat, et que l'absence de fiabilité de ces appareils, dont le sélecteur manuel est à la disposition de l'utilisateur, ne permet pas de distinguer objectivement le temps de travail et le temps de repos ; qu'elle observe encore que les feuilles de tournée établies unilatéralement par les chauffeurs ne peuvent constituer un élément de preuve ; qu'elle retient enfin que le fait que les documents produits à l'inspecteur du Travail soient utilisés par le service comptable pour la préparation des bulletins de paie ne concerne que la gestion de l'entreprise et que l'absence de caractère contradictoire de leur établissement leur enlève toute force probante ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors qu'elle ne pouvait sans contradiction retenir, d'une part, que les documents remis par l'employeur étaient dépourvus de valeur probante à son égard et constater, d'autre part, que ces documents étaient utilisés par le service comptable de l'entreprise pour l'établissement des bulletins de paie, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la censure est encourue de ce chef ;
Et sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 620-3 et L. 611-9 du Code du travail :
" en ce que l'arrêt attaqué a relaxé Jean-François X... des fins de la poursuite exercée contre lui du chef de défaut de registre du personnel ;
" au motif qu'il est établi que le siège de la société Simat se trouvait à Dijon au moment du contrôle et que c'est en ce lieu que le registre de l'entreprise pouvait être consulté ;
" alors que le cadre légal de l'obligation de tenue du registre du personnel est l'établissement et non pas l'entreprise, et qu'il est établi que la société Simat avait toujours maintenu un établissement à Troyes, et qu'en tout état de cause, il existait lors du contrôle effectué par l'inspecteur du Travail ; qu'ainsi il y a donc violation des articles L. 620-3 et L. 611-9 du Code du travail " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu qu'il résulte de l'article L. 620-3 du Code du travail, qu'un registre du personnel doit être tenu dans chacun des établissements définis à l'article L. 200-1 du Code du travail ;
Attendu qu'il résulte du procès-verbal de l'inspecteur du Travail, base de la poursuite, que ce fonctionnaire a, le 20 septembre 1989, demandé à l'agence de Troyes de la société Simat communication du registre du personnel ; que le responsable de cette agence lui a fait connaître que ce registre se trouvait à Dijon au siège de la société Simat ; qu'après avoir informé la direction de cette dernière qu'un registre du personnel devait être tenu dans chaque établissement, l'inspecteur du Travail s'est rendu à nouveau, le 28 novembre 1989, à l'agence de Troyes et a constaté l'absence de registre du personnel ; que Jean-François X... a été poursuivi pour infraction à l'article L. 620-3 du Code du travail ;
Attendu que, pour relaxer le prévenu, la juridiction du second degré énonce que c'est au siège de la société que le registre du personnel doit être tenu ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé ;
Que la censure est également encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 18 septembre 1991 en ses seules dispositions relatives à la relaxe du prévenu, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Reims.