Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du mercredi 11 avril 2012
N° de pourvoi: 11-83816
Publié au bulletin Cassation
M. Louvel (président), président
Me Spinosi, SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Marie-Astrid X... épouse Y...,
- Mme Françoise Z... épouse A...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de TOULOUSE, chambre correctionnelle, en date du 18 avril 2011, qui, dans la procédure suivie contre elles du chef de discrimination syndicale, a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demanderesses et le mémoire en défense produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Mme A... et Mme Y..., successivement directrices de l'institution Sainte-Marie de Nevers à Toulouse, ont été poursuivies pour discrimination syndicale à l'encontre de Mme C..., surveillante dans l'établissement depuis 1990, qui a exercé les fonctions de secrétaire départementale du syndicat SNEC-CFTC à partir de 1995 et qui a été élue aux fonctions de conseiller prud'homme le 11 décembre 2002 ; que le tribunal correctionnel a prononcé la relaxe des deux prévenues et a débouté la partie civile, qui a, seule, interjeté appel de ce jugement ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, proposé pour Mme A..., pris de la violation des articles L. 2141-5 et L. 2146-2 du code du travail, 388, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit que les faits de modification de l'emploi du temps constituaient l'infraction de discrimination syndicale et a condamné Mme A... à verser à Mme C... la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs qu'il est établi par les plannings produits aux débats, non contestés, que l'emploi du temps 2002/ 2003 de Mme C... a été modifié de façon conséquente à compter du 1er octobre 2002, puisque son horaire de 28 heures a été réparti à partir de cette date sur cinq journées et non plus sur quatre, alors qu'elle avait toujours bénéficié d'une telle répartition les années précédentes et, pour 2002/ 2003, depuis la rentrée du 4 septembre ; qu'il est constant que l'organisation des périodes de surveillance dans un établissement recevant 1 400 élèves peut susciter des difficultés dans l'établissement de l'emploi du temps des salariés concernés, qui ne peuvent être résolues que par une gestion souple, n'excluant pas les modifications de planning ; que cependant, en l'espèce, il apparaît qu'à la date considérée (1er octobre 2002), Mme C... est la seule surveillante dont l'emploi du temps a été modifié, et en tout état de cause la seule dont le travail a été réparti sur 5 jours, tous les autres bénéficiant d'une, si ce n'est de deux journées libres ; que Mme A... qui était alors directrice de l'établissement n'a fourni aucune explication sur ce traitement différencié, se contentant d'invoquer la bonne foi du cadre chargé d'établir les plannings, M. E..., lequel aurait entretenu des rapports amicaux avec Mme C... ; que cet argument ne peut être retenu, la décision relative à la fixation de l'emploi du temps des salariés appartenant, in fine, au chef d'établissement, même si le planning est préparé par un cadre ; qu'en outre cette modification, préjudiciable à Mme C... seule, est intervenue trois semaines après la déclaration de candidature de celle-ci aux élections prud'homales du 11 décembre 2002 ; qu'à défaut d'être explicitement appuyée sur un motif vérifiable en rapport avec les nécessités du service et compte tenu du rapprochement de ces dates, ce traitement apparaît discriminatoire au sens des articles 2141-5 et 2146-2 (rédaction actuelle) du code du travail ;
" 1) alors que la cour d'appel, qui constate elle-même qu'elle n'est saisie, s'agissant des faits reprochés à Mme A..., que pour la période allant du 12 décembre 2002 au 31 août 2004, ne pouvait dire qu'était constitutive de l'infraction de discrimination syndicale la modification de l'emploi du temps de Mme C..., dont elle relève qu'elle était intervenue le 1er octobre 2002, soit à une époque antérieure à celle retenue par la prévention ;
" 2) alors qu'en « rapprochant » la date de la modification litigieuse intervenue le 1er octobre et la date de l'annonce de la candidature de Mme C... déclarée trois semaines plus tôt, la cour d'appel ne caractérise nullement une infraction qui aurait été commise entre le 12 décembre 2002 et le 31 août 2004, privant ainsi sa décision de toute base légale au regard des textes susvisés ;
" 3) alors que les dispositions de l'article L. 2141-5 du code du travail relatif à la discrimination syndicale n'instituent aucune dérogation à la charge de la preuve en matière pénale, qui incombe à la partie poursuivante ; qu'au cas d'espèce, la cour d'appel ne pouvait donc se borner, pour affirmer que la modification de l'emploi du temps de Mme C... aurait constitué l'infraction de discrimination, à affirmer que cette modification n'était pas « explicitement appuyée sur un motif vérifiable en rapport avec les nécessités du service » ;
" 4) alors, enfin, que l'exposante avait fait valoir que, compte tenu de sa qualité de surveillante professionnelle, la présence de Mme C..., parmi des surveillants étudiants bénéficiant d'emplois à temps partiel, répondait à un souci d'organisation du service ; qu'en se bornant à énoncer que Mme A... ne fournissait « aucune explication sur ce traitement différencié », la cour de Toulouse a entaché sa décision d'un flagrant défaut de motifs " ;
Sur le moyen pris en ses deux premières branches ;
Vu l'article 388 du code de procédure pénale ;
Attendu que les juridictions répressives ne peuvent statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance de renvoi ou la citation qui les a saisies ;
Attendu que, pour dire que Mme A..., poursuivie pour des faits commis entre le 12 décembre 2002 et le 31 août 2004, avait commis le délit de discrimination syndicale, l'arrêt, après avoir rappelé que la saisine de la cour se situait exclusivement dans la limite des périodes visées par la prévention, relève qu'à compter du 1er octobre 2002, et trois semaines après sa déclaration de candidature aux élections prud'homales, l'emploi du temps de la partie civile a été modifié de façon apparaissant discriminatoire ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que la citation ne visait que les agissements commis après l'élection de Mme C... aux fonctions de conseiller prud'homme, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur le second moyen de cassation, proposé pour Mme Y..., pris de la violation des articles L. 2141-5 et L. 2146-2 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a dit que les faits de refus d'attribution d'un emploi à temps plein, de modification de l'emploi du temps et d'attribution de tâches subalternes constituaient l'infraction de discrimination Mme C... la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
" aux motifs que sur le refus d'attribution d'un emploi à temps plein : Il n'est pas contesté que neuf surveillants ont été embauchés (à temps partiel) par Mme Y... à compter du mois d'octobre 2004, alors que Mme C..., salariée à temps partiel, avait clairement manifesté au préalable son souhait de bénéficier d'un temps plein. Il appartenait dès lors à l'employeur de respecter les dispositions précitées de l'article L. 212-4-9 du code du travail, et de justifier le cas échéant des raisons de service le conduisant à écarter la priorité attachée à la situation de Mme C... ; qu'en l'espèce, Mme Y... ne fournit des explications que pour deux des salariés embauchés à cette période (Mme F...et M. G...) et ne fournit aucun élément justifiant ses affirmations ; qu'elle ne peut pas s'exonérer de sa responsabilité de directrice en invoquant les pouvoirs de M. H..., responsable de la vie scolaire, alors que le pouvoir de décision en matière d'embauche relève à l'évidence du chef d'établissement ; que compte tenu des difficultés existant entre Mme C... et la direction de l'Institution notamment depuis le début de l'exercice de son mandat de conseiller prud'homal, élément que Mme Y... ne prétend pas avoir ignoré, la décision de ne pas lui attribuer (en tout cas jusqu'en octobre 2006) le temps plein auquel elle pouvait prétendre apparaît discriminatoire ; sur les modifications de l'emploi du temps et l'attribution des tâches subalternes : il a été déjà été noté que l'organisation de l'emploi du temps des surveillants d'un établissement scolaire de cette dimension supposait une certaine souplesse, et qu'il n'était pas anormal que les horaires de travail de ces surveillants subissent des modifications parfois contraignantes pour les intéressés ; qu'en l'espèce il apparaît qu'à partir de l'année scolaire 2006/ 2007, suite à l'octroi tardif d'un emploi à temps plein lui-même consécutif à l'audition de Mme Y... par les enquêteurs, Mme C... a dû prendre son service dès 7h30 tous les matins, pour assurer la surveillance des élèves au portail de l'établissement, à l'exclusion de toute autre tâche ; qu'il est établi qu'elle est la seule surveillante à qui cette contrainte a été imposée, et il n'est pas justifié de l'impossibilité de faire « tourner » les surveillants sur ce poste peu attractif tant par ses horaires que par son contenu ; que Mme Y... indique dans ses conclusions qu'il s'agit d'un poste sensible, qui ne peut être confié qu'à un surveillant expérimenté ; que cependant il n'est nullement établi, ni même allégué d'ailleurs, qu'une ancienneté de 18 ans était nécessaire pour remplir convenablement cette tâche, et qu'il était contraire à l'intérêt du service de la répartir sur plusieurs surveillants ; que compte tenu des tensions existant alors entre la direction et Mme C..., et des difficultés auxquelles donnait lieu l'exercice de ses activités syndicales, le caractère discriminatoire de ce traitement est suffisamment établi ;
" 1) alors que les dispositions de l'article L. 2141-5 du code du travail relatif à la discrimination syndicale n'instituent aucune dérogation à la charge de la preuve en matière pénale, qui incombe à la partie poursuivante ; que la cour d'appel ne pouvait donc affirmer, pour considérer que l'absence d'attribution d'un emploi à temps plein Mme C... constituait l'infraction de discrimination syndicale, qu'il appartenait à Mme Y..., prévenue, de « justifier des raisons de service la conduisant à écarter la priorité attachée à la situation de Mme C... » et observer que Mme Y... ne fournissait à ce propos « aucun élément » ;
" 2) alors qu'inverse encore la charge de la preuve et méconnaît le principe de la présomption d'innocence la cour d'appel qui, pour considérer que l'affectation de Mme C... sur un poste de surveillance à l'entrée du lycée caractérisait une discrimination syndicale, retient qu'il n'est pas justifié de l'impossibilité d'organiser un roulement sur ce poste « peu attractif » mais exigeant un surveillant expérimenté et qu'il aurait été impossible de le répartir sur plusieurs salariés " ;
Vu l'article L. 412-2 du code du travail devenu l'article L. 2141-5 dudit code, ensemble l'article préliminaire du code de procédure pénale et l'article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que les articles susvisés du code du travail, concernant le délit de discrimination syndicale, n'instituent aucune dérogation à la charge de la preuve en matière pénale ; qu'il résulte des deux derniers textes visés que tout prévenu étant présumé innocent, la charge de la preuve de sa culpabilité incombe à la partie poursuivante ;
Attendu que, pour dire que les faits de refus d'attribution à Mme C... d'un emploi à temps plein, de modification de son emploi du temps et d'affectation à des tâches subalternes constituaient le délit de discrimination syndicale, l'arrêt retient qu'il appartenait à l'employeur de justifier des raisons de service l'ayant conduit à écarter la priorité d'emploi attachée à la situation de la partie civile et qu'aucun élément de nature à confirmer ses affirmations n'est apporté par la prévenue ; que les juges relèvent qu'il n'est pas justifié de l'impossibilité d'affecter d'autres surveillants au poste peu attractif attribué à Mme C... et qu'il n'est nullement établi ni allégué qu'une ancienneté considérable était nécessaire pour remplir convenablement la tâche qui lui était confiée ; que les juges énoncent encore que, compte tenu des difficultés existant entre la direction de l'institution et la partie civile depuis que celle-ci exerçait des activités syndicales et son mandat de conseiller prud'homme, les décisions critiquées apparaissent discriminatoires ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs impliquant un renversement de la charge de la preuve, alors qu'il lui appartenait de rechercher l'existence d'une relation de causalité entre les mesures jugées discriminatoires et l'appartenance ou l'activité syndicale de la partie poursuivante, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ;
D'où il suit que la cassation est, à nouveau, encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Toulouse, en date du 18 avril 2011, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DÉCLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale, présentée par Mme C... ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Toulouse et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Louvel président, M. Finidori conseiller rapporteur, M. Blondet conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Leprey ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;