Cassation sociale, 30 avril 2014, n° 13-13.834 cassation sociale - Editions Tissot

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Cassation sociale, 30 avril 2014, n° 13-13.834

Le refus réitéré d’une directrice d’usine de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs pour consacrer plus de temps au développement de nouveaux produits constitue une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 30 avril 2014
N° de pourvoi: 13-13834
Non publié au bulletin Rejet

Mme Goasguen (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 janvier 2013) que Mme X... a été engagée le 13 mars 2000 par la société Laboratoires Aditec en qualité de responsable technique et de production, statut cadre ; qu'elle est devenue responsable d'unité le 1er novembre 2008 puis responsable d'usine le 1er novembre 2009 ; qu'elle a été licenciée pour faute grave le 9 février 2010 ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale ;

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à voir dire son licenciement abusif et à obtenir le paiement de rappel de salaire au titre de la mise à pied, d'indemnités de rupture outre congés payés afférents, et de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que, lorsque l'employeur fonde le licenciement sur une faute grave, la charge de la preuve lui incombe exclusivement et le salarié n'a rien à démontrer ; que d'autre part, les juges du fond ne peuvent considérer qu'un fait est établi en se fondant sur les affirmations de la partie sur laquelle repose la charge de la preuve ; qu'en se fondant, pour considérer que le licenciement pour faute grave était justifié, sur l'absence de preuve apportée par la salariée pour démontrer l'absence de fondement des griefs avancés par l'employeur et sur les affirmations de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;

2°/ que la salariée avait souligné qu'elle était fondée à refuser la modification de son contrat de travail décidée unilatéralement par son employeur afin d'installer M. Y... au poste qui était le sien ; que la cour d'appel a rejeté ses demandes après avoir constaté que Mme X... était directrice opérationnelle et que M. Y... avait lui-même été nommé directeur opérationnel ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'il résultait de ses constatations que M. Y... avait été nommé directeur opérationnel alors même que ce poste était occupé par Mme X..., la cour d'appel a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail ;

3°/ que la salariée avait souligné que son poste de responsable d'usine était vidé de sa substance compte tenu du retrait des fonctions et de la diminution des responsabilités qui lui étaient imposés ; que la cour d'appel a relevé d'une part que, selon la fiche de fonction signée par Mme X..., « le directeur d'usine « dirige les activités de l'usine et assure l'interface entre celle-ci et la direction générale. Participe à l'élaboration du budget d'investissement, fixe les objectifs de la politique industrielle avec la direction générale et gère l'unité. Organise les planning de fabrication compte tenu des commandes et des stocks de matières et d'articles de conditionnement. Gère à travers le service R & D les méthodes et les moyens d'améliorer la productivité. Gère une partie des activités commerciales » ; il a pour supérieur hiérarchique le président », et d'autre part que l'employeur avait imposé à la salariée de se soumettre à la hiérarchie de M. Y... (qui n'était pas président) et « de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs pour consacrer plus de temps au développement de nouveaux produits » ; qu'il en résultait que les décisions de l'employeur, qui lui avait demandé de se soumettre désormais à la hiérarchie de M. Y... (qui n'était pas président), et de se consacrer à des activités qui ne correspondaient pas à sa qualification, en diminuant les responsabilités qui étaient les siennes en sa qualité de responsable d'usine, constituaient une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser ; qu'en en décidant autrement, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du travail ;

4°/ que l'existence d'une faute grave doit être appréciée in concreto ; que Mme X... a simplement opposé une résistance contre des mesures qui lui étaient imposées et qu'elle estimait vexatoires alors qu'en dix ans d'ancienneté, elle avait toujours donné entière satisfaction dans l'exercice de ses fonctions et n'avait jamais fait l'objet de la moindre sanction disciplinaire ; que la cour d'appel, qui a néanmoins considéré que le licenciement, fondé sur ces faits isolés, était valablement intervenu pour faute grave, a violé les articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 1235-3 du code du Travail ;

Mais attendu, d'abord, que la cour d'appel a constaté que le refus réitéré de la salariée d'accepter la nouvelle organisation de l'entreprise, de se soumettre à la hiérarchie du nouveau directeur opérationnel et de consacrer plus de temps à la création de nouveaux produits, était prouvé par les courriers de l'intéressée des 19 et 26 janvier 2010 ;

Attendu, ensuite, qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu que la salariée ne pouvait légitimer son refus au motif qu'elle avait subi une modification de son contrat de travail, alors que le nouveau président l'avait confirmée en sa qualité de directrice d'usine en lui demandant simplement de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs pour consacrer plus de temps au développement de nouveaux produits, ce qui correspondait à sa qualification et à ses attributions ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel, qui a relevé le caractère réitéré de l'insubordination de la salariée, a pu décider qu'eu égard aux responsabilités de l'intéressée, ce comportement persistant rendait impossible son maintien dans l'entreprise et constituait une faute grave ;

D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente avril deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame X... de ses demandes tendant à voir dire et juger son licenciement abusif et obtenir le paiement de rappel de salaires au titre de la mise à pied, l'indemnité de congés payés afférente, une indemnité compensatrice de préavis, l'indemnité de congés payés afférente, une indemnité conventionnelle de licenciement, outre le paiement de dommages et intérêts, et de l¿avoir condamnée aux dépens ;

AUX MOTIFS QUE Mme X... a été licenciée pour faute grave pour " le motif suivant : insubordination caractérisée et répétée se traduisant par - votre refus d'accepter la nomination de M A. Y..., Directeur Commercial d'Aditec, en tant que Responsable opérationnel d'Aditec et votre rattachement hiérarchique à celui-ci, sous le prétexte que vous seriez en fait Directrice de la société . - votre refus de consacrer plus de temps à la création de nouveaux produits. Votre attitude se traduit dans les faits par l'incapacité de la société à répondre aux demandes de ses clients en nouveaux produits et nuit ainsi à son image" ; il lui est aussi reproché que les 5 projets prioritaires, dont 2 urgents, définis en septembre 2009, n'avaient pas progressé en décembre 2009, le tout perturbant la bonne marche de l'entreprise et la cohésion de l'équipe ; en droit la faute grave résulte du fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise même pendant la courte durée du préavis ; elle prive le salarié de l'indemnité de préavis et de l'indemnité de licenciement ; le refus réitéré de Mme X... d'accepter la nouvelle organisation de l'entreprise, de se soumettre à la hiérarchie de M. Y... devenu directeur opérationnel, et de consacrer plus de temps à la création de nouveaux produits est prouvé par ses courriers des 19 janvier et 26 janvier 2010 ; la salariée ne peut légitimer un tel refus aux motifs qu'elle était directrice de la société, et que la nomination de M Y... comme directeur opérationnel entraîne une modification de son contrat et la ramène à son poste d'origine de responsable technique de production, ce qu'elle ne démontre pas, alors que le nouveau président a pris le soin de lui expliquer les raisons objectives de cette organisation et l'a confirmée en sa qualité de directrice d'usine en lui demandant simplement de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs pour consacrer plus de temps au développement de nouveaux produits ; ce motif à lui seul constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien de l'intéressé dans l'entreprise même pendant la courte durée du préavis. ; le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes relatives au licenciement et à la mise à pied conservatoire ;

Et AUX MOTIFS partiellement adoptés QUE selon l'article L. 123 5-1 du Code du Travail, il appartient au juge d'apprécier souverainement le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur ; il forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; à l'examen des pièces non contestées fournies par les parties, il est constant que, pendant toute sa carrière dans l'entreprise : Madame Stéphanie X... a toujours eu en charge la partie R&D de l'entreprise, Madame X... a toujours eu un Directeur Général comme supérieur hiérarchique ; aucune modification d'un élément essentiel de son contrat de travail ne peut être retenue de ce chef ; en conséquence, le fait, pour un Responsable de service, de manquer de diligence dans l'exécution de travaux urgents de son ressort - voire de refuser d'exécuter lesdits travaux - alors que des demandes répétées lui avaient été faites, autorisait l'entreprise à prendre une sanction, en l'espèce la mise à pied conservatoire ; ladite mise à pied est donc justifiée ; en conséquence, son comportement vis-àvis des changements intervenus au sein de l'équipe dirigeante résulte d'une interprétation personnelle et il ne saurait être toléré de la part d'un responsable de service une telle attitude ;
le licenciement qui en découle est bien constitutif d'une faute grave en l'espèce ;

ALORS QUE d'une part, lorsque l'employeur fonde le licenciement sur une faute grave, la charge de la preuve lui incombe exclusivement et le salarié n'a rien à démontrer ; que d'autre part, les juges du fond ne peuvent considérer qu'un fait est établi en se fondant sur les affirmations de la partie sur laquelle repose la charge de la preuve ; qu'en se fondant, pour considérer que le licenciement pour faute grave était justifié, sur l'absence de preuve apportée par la salariée pour démontrer l'absence de fondement des griefs avancés par l'employeur et sur les affirmations de ce dernier, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;

ALORS en outre QUE la salariée avait souligné qu'elle était fondée à refuser la modification de son contrat de travail décidée unilatéralement par son employeur afin d'installer Monsieur Y... au poste qui était le sien ; que la cour d'appel a rejeté ses demandes après avoir constaté que Madame X... était directrice opérationnelle et que Monsieur Y... avait lui même été nommé directeur opérationnel ; qu'en statuant comme elle l'a fait alors qu'il résultait de ses constatations que Monsieur Y... avait été nommé directeur opérationnel alors même que ce poste était occupé par Madame X..., la cour d'appel a violé les articles L 1234-1, L 1234-5, L 1234-9 et L 1235-3 du code du travail ;


Et ALORS QUE la salariée avait souligné que son poste de responsable d'usine était vidé de sa substance compte tenu du retrait des fonctions et de la diminution des responsabilités qui lui étaient imposés ; que la cour d'appel a relevé d'une part que, selon la fiche de fonction signée par Mme X..., « le directeur d'usine "dirige les activités de l'usine et assure l'interface entre celle-ci et la Direction générale. Participe à l'élaboration du budget d'investissement, fixe les objectifs de la politique industrielle avec la Direction générale et gère l'unité. Organise les planning de fabrication compte tenu des commandes et des stocks de matières et d'articles de conditionnement. Gère à travers le service R & D les méthodes et les moyens d'améliorer la productivité. Gère une partie des activités commerciales" ; il a pour supérieur hiérarchique le président », et d'autre part que l'employeur avait imposé à la salariée de se soumettre à la hiérarchie de Monsieur Y... (qui n'était pas président) et « de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs pour consacrer plus de temps au développement de nouveaux produits » ; qu'il en résultait que les décisions de l'employeur, qui lui avait demandé de se soumettre désormais à la hiérarchie de Monsieur Y... (qui n'était pas président), et de se consacrer à des activités qui ne correspondaient pas à sa qualification, en diminuant les responsabilités qui étaient les siennes en sa qualité de responsable d'usine, constituaient une modification du contrat de travail que la salariée était en droit de refuser ; qu'en en décidant autrement, la cour d'appel a violé les articles 1134 du code civil, L 1234-1, L 1234-5, L 1234-9 et L 1235-3 du code du travail ;

ALORS subsidiairement QUE l'existence d'une faute grave doit être appréciée in concreto ; que Madame X... a simplement opposé une résistance contre des mesures qui lui étaient imposées et qu'elle estimait vexatoires alors qu'en 10 ans d'ancienneté, elle avait toujours donné entière satisfaction dans l'exercice de ses fonctions et n'avait jamais fait l'objet de la moindre sanction disciplinaire ; que la Cour d'appel, qui a néanmoins considéré que le licenciement, fondé sur ces faits isolés, était valablement intervenu pour faute grave, a violé les articles L 1234-1, L 1234-5, L 1234-9 et L 1235-3 du Code du Travail.

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