Cassation sociale, 9 février 2016, n° 14-18.567 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

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Cassation sociale, 9 février 2016, n° 14-18.567

Les conditions d’exercice du droit d’alerte des délégués du personnel ne sont pas réunies lorsqu’il a pour objet de faire annuler la sanction disciplinaire notifiée à un salarié. En effet, il est constaté l’absence d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles ou de toute mesure discriminatoire liée notamment au mandat de ce salarié. Par ailleurs, le salarié concerné dispose d'une voie de recours spécifique pour contester cette sanction.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mardi 9 février 2016
N° de pourvoi: 14-18567
Non publié au bulletin Rejet

Mme Lambremon (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
Me Le Prado, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 4 avril 2014), que par lettre du 3 septembre 2012 Mme X..., agissant en qualité de délégué du personnel, a informé la société Manpower France qu'elle mettait en oeuvre le droit d'alerte prévu par l'article L. 2313-2 du code du travail pour atteinte à la santé physique de Mme Y..., déléguée syndicale, sanctionnée le 20 juillet 2012 d'une mise à pied d'un jour pour des propos tenus le 12 juin 2012 ; que l'employeur n'ayant pas donné suite à cette lettre, Mme X... a saisi la juridiction prud'homale pour faire juger que celui-ci n'a pas respecté ses obligations légales en ne procédant pas à une enquête dans le cadre du droit d'alerte, annuler la sanction prononcée à l'encontre de Mme Y... et, à titre subsidiaire, enjoindre à l'employeur de procéder à l'enquête requise ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de la débouter de ces demandes alors, selon le moyen :

1°/ qu'aux termes de l'article L. 2313-2 du code du travail, si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur ; que ce dernier procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation ; qu'en cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés ; que le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte ; qu'il résulte de ce texte que, lorsqu'un délégué du personnel saisit l'employeur d'une atteinte aux droits des personnes, à la santé ou aux libertés individuelles, celui-ci est tenu de procéder sans délai à l'enquête conjointe ; qu'il ne peut se faire juge a priori du bien-fondé ou du mal fondé de ladite alerte en refusant d'y donner suite ; qu'en jugeant au contraire que l'employeur est fondé à refuser le principe d'une enquête conjointe dans le cadre de l'exercice du droit d'alerte du délégué du personnel et en déboutant en conséquence ce dernier de ses demandes, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ qu'aux termes de l'article L. 2313-2 du code du travail, en cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de l'atteinte aux droits des personnes, à la santé physique et mentale ou aux libertés individuelles, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés ; que le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte ; qu'il en résulte que le délégué du personnel tient de ces dispositions, dans le respect des conditions garantissant la liberté du salarié de conduire personnellement la défense de ses intérêts, le pouvoir d'agir en nullité de l'acte attentatoire ; qu'en jugeant au contraire que l'exercice du droit d'alerte conféré au délégué du personnel ne saurait avoir pour objet ou effet de faire annuler une sanction disciplinaire, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Mais attendu qu'ayant exactement énoncé que l'exercice du droit d'alerte conféré aux délégués du personnel ne saurait avoir pour objet de faire annuler une sanction disciplinaire pour laquelle le salarié concerné dispose d'une voie de recours spécifique et constaté qu'aucune atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise ou toute autre mesure discriminatoire relative notamment au mandat de la salariée n'était établie, la cour d'appel a décidé à bon droit que les conditions de mise en oeuvre de la procédure d'alerte n'étaient pas réunies ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme X..., ès qualités, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour Mme X..., ès qualités

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté Madame X..., es qualité de déléguée du personnel, de ses demandes tendant à faire constater que la société n'a pas respecté ses obligations légales en ne procédant pas à l'enquête dans le cadre du droit d'alerte et, à titre principal, à annuler la sanction disciplinaire et, à titre subsidiaire, à enjoindre à l'employeur de procéder, sous astreinte, à cette enquête.

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article L.2313-2 du Code du travail, « si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur. Cette atteinte peut notamment résulter de faits de harcèlement sexuel ou moral ou de toute mesure discriminatoire en matière d'embauche, de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de classification, de qualification, de promotion professionnelle, de mutation, de renouvellement de contrat, de sanction ou de licenciement. L'employeur procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation. En cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés. Le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte et assortir sa décision d'une astreinte qui sera liquidée au profit du Trésor » ; qu'il est constant que Mme Nathalie Y... a été reçue en entretien préalable juillet 2012 en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire en raison des propos qu'elle aurait tenus le 12 juin 2012 lors d'une visite d'une agence de la société en sa qualité de représentante du personnel avec une collègue ; qu'il est versé aux débats par la société MANPOWER plusieurs attestations de témoins notamment du responsable d'agence et de deux collaborateurs aux termes desquelles Mme Y... aurait déclaré en voyant des prénoms écrits en arabe sur un tableau dans une salle de travail « qu'est-ce que c'est ça ? Ici on est en France, alors on parle et on écrit français ! » et aurait poursuivi son propos en faisant allusion à un problème de racisme qui aurait concerné une salariée de l'agence puis aurait ajouté « attention, je ne veux pas de ça ici, on est en France ! Je ne veux pas de ça, c'est bien compris ! » alors que la responsable d'agence lui avait expliqué précédemment que ces prénoms en arabe de plusieurs membres du personnel avaient été réalisés avec bienveillance et sans malice par des salariés intérimaires ; que la société MANPOWER dans la lettre de mise à pied de Mme Nathalie Y... du 20 juillet 2012 a précisé que les collaborateurs de l'agence avaient été extrêmement heurtés non seulement par la nature de ces propos mais également par le ton sur lequel ils avaient été tenus faisant fi des explications apportées et que ces propos très directifs étaient totalement déplacés alors que Mme Y... ne pouvait donner des directives à des salariés de l'entreprise et a fortiori au responsable de l'agence envers laquelle elle n'exerce aucune autorité hiérarchique ; que si Madame Y... a contesté la nature exacte de ses propos en ajoutant qu'ils avaient été tenus sous une forme humoristique, la réalité des faits est néanmoins établie et l'employeur a légitimement considéré que l'exercice du droit d'alerte en application des dispositions susvisées ne pouvait être déclenché par Mme X... en sa qualité de délégué du personnel comme cela lui a été notifié le 6 septembre 2012 en l'absence de toute atteinte aux droits et libertés d'expression de Mme Y... rappelant que « la protection dont bénéficient légitimement les représentants du personnel ne saurait néanmoins les soustraire au pouvoir disciplinaire de l'employeur spécialement lorsque de tels écarts de conduite vis-à-vis de salariés de l'entreprise sont constatés et que cette attitude ne peut en aucun cas être rattachée à l'exercice d'un mandat représentatif » ; que la société MANPOWER a rappelé dans ce même courrier que « conformément aux dispositions légales en vigueur, Madame Y... conserve la faculté de saisir le conseil de prud'hommes pour obtenir l'annulation de la mise à pied dont elle a fait l'objet si elle estime que ladite sanction était irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise et que nous considérons donc que le droit d'alerte des délégués du personnel que vous avez cru pouvoir exercer est détourné de son objet. La procédure de sanction disciplinaire ne saurait en effet relever du droit d'alerte des délégués du personnel au sens de l'article L 2313-2 du code du travail et qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la sanction disciplinaire et l'atteinte à la santé physique de Mme Y... » ; qu'il en résulte que l'exercice du droit d'alerte conféré aux délégués du personnel implique que les conditions prévues par l'article susvisé soient réunies et ne saurait avoir pour effet ou pour objet de faire annuler une sanction disciplinaire pour laquelle il existe une voie de recours spécifique que le salarié concerné pouvait exercer devant le Conseil de Prud'hommes ; qu'il convient donc dans ces conditions de réformer le jugement intervenu en ce qu'il a dit que la société MANPOWER n'avait pas respecté ses obligations légales en ne procédant pas à l'enquête conjointe prévue par l'article précité alors qu'une telle enquête ne peut avoir lieu lorsque la réalité des faits est établie au terme de plusieurs attestations précises et concordantes dont la valeur probante ne peut être sérieusement contestée et ne mettant en évidence aucune atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise ou toute autre mesure discriminatoire relative notamment au mandat de représentation de la salariée de sorte que l'employeur était fondé à refuser le principe d'une enquête conjointe dans le cadre de l'exercice du droit d'alerte d'un délégué du personnel ; qu'il y a lieu de débouter Madame X... de l'ensemble de ses prétentions tendant notamment à l'annulation de la sanction disciplinaire concernant Mme Nathalie Y....

ALORS QU'aux termes de l'article L.2313-2 du Code du travail, si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur ; que ce dernier procède sans délai à une enquête avec le délégué et prend les dispositions nécessaires pour remédier à cette situation ; qu'en cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés ; que le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte ; qu'il résulte de ce texte que, lorsqu'un délégué du personnel saisit l'employeur d'une atteinte aux droits des personnes, à la santé ou aux libertés individuelles, celui-ci est tenu de procéder sans délai à l'enquête conjointe ; qu'il ne peut se faire juge a priori du bien-fondé ou du mal fondé de ladite alerte en refusant d'y donner suite ; qu'en jugeant au contraire que l'employeur est fondé à refuser le principe d'une enquête conjointe dans le cadre de l'exercice du droit d'alerte du délégué du personnel et en déboutant en conséquence ce dernier de ses demandes, la Cour d'appel a violé le texte susvisé.

ET ALORS encore QU'aux termes de l'article L.2313-2 du Code du travail, en cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de l'atteinte aux droits des personnes, à la santé physique et mentale ou aux libertés individuelles, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés ; que le juge peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser cette atteinte ; qu'il en résulte que le délégué du personnel tient de ces dispositions, dans le respect des conditions garantissant la liberté du salarié de conduire personnellement la défense de ses intérêts, le pouvoir d'agir en nullité de l'acte attentatoire ; qu'en jugeant au contraire que l'exercice du droit d'alerte conféré au délégué du personnel ne saurait avoir pour objet ou effet de faire annuler une sanction disciplinaire, la Cour d'appel a violé le texte susvisé.