Cassation sociale, 12 octobre 2016, n° 15-15.434 cassation sociale - Editions Tissot

Jurisprudence sociale

Version gratuite

Retour au sommaire thématique : Jurisprudence «Contrat de travail»
Retour à la fiche : Jurisprudence «Discriminations»

Cassation sociale, 12 octobre 2016, n° 15-15.434

Un salarié ne peut pas invoquer une discrimination en raison de l'âge lorsque la différence de traitement dont il se plaint trouve sa cause dans la diversité et l'autonomie des régimes de retraite complémentaire relevant d'organismes distincts et l'évolution de la norme juridique applicable, et ne vient pas d’un manquement de l'employeur au principe de l'égalité de traitement.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 12 octobre 2016
N° de pourvoi: 15-15434
Non publié au bulletin Rejet

M. Huglo (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Sevaux et Mathonnet, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 26 janvier 2015), que M. X..., né le 29 novembre 1941, a été engagé le 30 juillet 1971 par l'établissement public Grand port maritime de Marseille en qualité d'ouvrier professionnel et a été affilié au régime de retraite complémentaire de l'Institution de retraite nationale interprofessionnelle des salariés (Inris) ; que par accord signé le 1er juillet 1972 entre les syndicats représentatifs et cet établissement, les dispositions de la convention collective des ports autonomes et chambres de commerce et d'industrie maritime du 17 juillet 1947 applicables en matière de retraite ont été étendues au Grand port maritime de Marseille dotant ainsi les salariés de ce dernier d'un nouveau régime de retraite complémentaire géré par la caisse de retraite des personnels des chambres de commerce maritimes et des ports autonomes, (la CRPCCMPA), sous la réserve de remplir les conditions d'âge fixées à l'article 5 du règlement annexe modifié par avenant du 22 mars 1961 ; que M. X... étant âgé de plus de trente ans au 1er janvier 1972, est resté affilié durant toute sa carrière au régime de retraite complémentaire de l'Inris ; qu'il a cessé son activité professionnelle le 31 juillet 2000 ; que s'estimant victime d'une inégalité de traitement et d'une discrimination en raison de l'âge en n'étant pas affilié à la CRPCCMPA, il a saisi, le 22 octobre 2007, la juridiction prud'homale d'une demande indemnitaire en réparation du préjudice relatif à la retraite complémentaire ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande alors, selon le moyen que l'égalité de traitement s'applique en matière de prestations sociales au sein de chaque catégorie de personnels ; que la cour d'appel constate que les conditions d'adhésion à la CRPCCMPA choisie par l'employeur comme caisse de retraite complémentaire comportaient des conditions d'âge qui étaient à l'origine d'une différence de traitement au préjudice de certains membres de son personnel, dont le salarié, qui en avait été écarté ; que la cour d'appel, qui devait notamment appliquer la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, consacrant un principe général du droit de l'union, ne pouvait rejeter les demandes de celui-ci tendant à l'allocation de dommages-intérêts en compensation de la perte des droits de retraite qui en était résulté, alors qu'il résulte de ses propres constatations que l'employeur ne se trouvait pas dans une situation de force majeure l'empêchant de compenser les conséquences de cette situation, fût-ce en assumant le coût, sans constater que pour la catégorie d'emplois concernée la différence de traitement ainsi fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires ; qu'à défaut, elle a violé l'article L. 1132-1 du code du travail, ensemble l'article 2, paragraphe 2 de ladite directive, la convention 111 de l'OIT et les articles 14 et 17 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu d'abord, s'agissant du principe d'égalité de traitement, que la cour d'appel a retenu à bon droit que la différence de traitement dont se plaignait le salarié ne résultait pas d'un manquement de l'employeur au principe de l'égalité de traitement mais trouvait sa cause dans la diversité et l'autonomie des régimes de retraite complémentaire relevant d'organismes distincts et l'évolution de la norme juridique applicable ;

Attendu, ensuite, qu'il résulte de l'article 18 de la directive de l'Union européenne n° 2000/78 du 27 novembre 2000 que les États membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 2 décembre 2003 et, s'agissant des discriminations en raison de l'âge, que les États membres peuvent disposer, si nécessaire, d'un délai supplémentaire de 3 ans à compter du 2 décembre 2003 ; que le salarié ayant cessé son activité professionnelle le 31 juillet 2000, le moyen en ce qu'il invoque une discrimination en raison de l'âge est inopérant ; que, par ce motif de pur droit, les parties en ayant été avisées, l'arrêt se trouve justifié ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour M. X...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur X... de sa demande tendant à la condamnation de l'établissement public Grand Port Maritime de Marseille à lui verser une somme de 42 000 euros au titre du préjudice relatif à la retraite complémentaire ;

Aux motifs propres que la loi du 29 juin 1965 a crée le régime des ports autonomes dont celui de Marseille et ce texte a prévu que dans l'attente d'une convention collective nationale, la situation de chaque agent embauché après le 1er avril 1966 sera soumise aux stipulations de son contrat individuel ; que ce dernier prévoyait en son article 5 que le salarié bénéficierait « éventuellement du régime de retraite complémentaire qui serait déterminé par la convention collective à venir » ; que dans un protocole d'accord daté du 22 juin 1968, les syndicats représentatifs d'une part et le directeur du Port Autonome de Marseille d'autre part, adoptaient la convention collective du 17 juillet 1947 « formant règlement général et statut du personnel de l'outillage public des ports autonomes et des chambres de commerce concessionnaires dans les ports maritimes de commerce » ; que cependant faute d'avoir trouvé un accord sur le régime de retraite, ce protocole prévoyait au 1er paragraphe de son article 2 que « tout agent comptant un an de service et occupant un emploi permanent bénéficie des dispositions des documents joints au présent protocole, observation faite qu'il restera provisoirement affilié à l'Institution de Retraite Nationale Interprofessionnelle des Salariés (IRNIS) » ; que dans un accord signé le 1er juillet 1972 , l'article 1er annulait ledit paragraphe et le remplaçait par le suivant : « tout agent comptant un an de service et occupant un emploi permanent bénéficie des dispositions des documents joints au présent protocole. Il bénéficie du régime de retraite visé à l'article 34 de la convention collective du 17 juillet 1947 s'il remplit les conditions d'âge fixées à l'article 5 de cette convention. Dans le cas contraire, il reste affilié à l'Institution de retraites Nationale Interprofessionnelle des Salariés (IRNIS) » ; que des dispositions transitoires étaient prévues concernant les salariés recrutés avant le 1er avril 1971 et admissibles au régime choisi dans la convention du 17 juillet 1947, une indemnité leur étant versée pour compléter la différence de cotisation ; qu'il résulte de ces éléments que les partenaires sociaux de l'entreprise ont décidé de maintenir en 1968 l'affiliation à la caisse choisie par l'employeur, et ce n'est que trois ans plus tard, qu'ils ont prévu une affiliation à la Caisse de retraite des Chambres de Commerce Maritimes et des Ports Autonomes dite CRPCCMPA sous réserve des conditions d'admission fixées à l'article 5 du règlement annexe modifié par avenant du 22 mars 1961, lequel relatif aux conditions de titularisation, était conçu ainsi : « tout agent stagiaire de vingt et un ans au moins et de trente ans au plus au 1er janvier de l'année en cours (...) peut demander sa titularisation » ; qu'au 1er janvier l972, Monsieur Joseph X... était âgé de plus de 30 ans et ne remplissait donc pas les conditions requises telles que prévues par le règlement de la caisse annexé à la convention collective et demeurait donc affilié à l'IRNIS ; qu'en juillet 1975, la CRPCCMPA modifiait son règlement concernant les conditions d'admission en portant l'âge limite de 30 à 40 ans, ces dispositions nouvelles n'étant applicables qu'aux nouveaux embauchés titularisés ; que plus aucune condition d'âge n'était spécifiée dans le règlement de 1993 modifié mais ces conditions d'admission n'étaient prévues que pour l'avenir et n'étaient donc pas applicables à Monsieur Joseph X... ; que Monsieur Joseph X... considère que l'employeur a violé l'article 1134 du code civil, la convention 111 de l'OIT et les articles 14 & 17 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme ; que l'appelant expose qu'en n'affiliant pas le salarié au régime prévu par le contrat d'engagement, il a commis une faute de nature contractuelle engageant sa responsabilité ; qu'outre le fait que le contrat prévoit « éventuellement » l'affiliation du salarié à la caisse de retraite complémentaire déterminée par la convention collective à venir, Monsieur Joseph X... ne peut sérieusement soutenir qu'il aurait dû imposer à la caisse choisie en 1972, une modification de ses statuts, alors que le règlement de la caisse était établi au plan national par un conseil d'administration et non par l'employeur, étant précisé qu'en outre, la faute remonterait à 1972 et serait donc prescrite ; que de même, le fait que l'employeur ait contribué de façon bien moindre pour l'IRNIS ne peut être qualifié de faute, s'agissant d'un régime de répartition, le salarié ayant également cotisé deux fois moins que s'il avait été affilié à l'autre caisse ; qu'enfin, le fait qu'un chef de service ait fait des démarches en 1982 pour voir améliorer le régime de retraite d'une catégorie professionnelle (les contrôleurs de sécurité) ne peut fonder la faute de l'employeur, puisque la solution préconisée nécessitait la signature de contrats individuels avec rachat de points et paiement de cotisations plus fortes, et que Monsieur Joseph X... ne démontre aucune demande amiable ou judiciaire en ce sens pendant l'exécution du contrat de travail ; qu'au demeurant la situation de ces salariés n'était pas la même que celle du salarié puisque d'une part, leur salaire était pris en charge par un tiers (les entreprises de manutention du port), lequel finançait l'opération et d'autre part, les salariés n'ont pas bénéficié du régime de retraite de la CRPCCMPA mais d'une assurance individuelle qu'en conséquence, Monsieur Joseph X... ne démontre pas une faute de nature contractuelle ou une attitude discriminatoire directe ou indirecte de la part de l'employeur qui serait à l'origine d'une différence de traitement ; que le salarié se réfère en appel à des normes supranationales pour invoquer une inégalité de traitement et/ou une discrimination ; qu'il résulte d'une lettre du 23 octobre 1990 que la sous-direction de l'assurance-vieillesse dépendant du Ministère des affaires sociales reprochait à la CRPCCMPA la complexité de son règlement et s'interrogeait sur une discrimination peu compréhensible relative au passage de l'âge de 30 à 40 ans concernant les conditions d'admission ; qu'il convient d'observer que cette lettre a été adressée par l'autorité de tutelle au Conseil d'administration de la caisse concernée et a permis après une résolution de l'assemblée générale de la caisse du 13 juin 1991 la modification du règlement lequel n'a plus prévu de condition d'âge pour les nouveaux embauchés, mais en aucun cas l'employeur n'avait le pouvoir de mettre fin à ce type de discrimination basée sur l'âge, les règlements de la caisse prévus au plan national s'imposant à lui, et il est manifeste qu'il était tout aussi irrecevable à demander à la caisse, une application dérogatoire pour ses anciens salariés embauchés avant modification ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que si l'employeur a l'obligation d'adhérer à une caisse de retraite complémentaire assurant des prestations aux salariés prévues par un accord professionnel, il n'est pas maître des règlements des caisses ni de leurs modifications et dès lors la différence de traitement invoquée par Monsieur Joseph X... ne résulte pas d'un manquement ou d'une discrimination directe ou indirecte de la part de l'employeur mais trouve manifestement sa cause dans la grande diversité et autonomie des régimes de retraite relevant d'organismes distincts et l'évolution des règles applicables ; qu'en conséquence, Monsieur Joseph X... ne faisant pas la preuve d'une discrimination au sens de l'article 1132-1 du code du travail , c'est à juste titre que le jugement déféré l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts ;

Et aux motifs, le cas échéant, repris des premiers juges que selon la loi, article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération en raison de son âge ; que l'article L. 1133-2 du code du travail dispose toutefois que les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés ; qu'il est précisé à cet égard que ces différentes peuvent notamment consister dans la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite ; qu'il convient en outre de rappeler, qu'outre l'existence d'un motif prohibé, le demandeur doit établir par des éléments concrets qu'il subit un traitement moins favorable par rapport à des personnes placées dans une situation comparable ; que le demandeur reproche au port autonome de Marseille de ne pas avoir permis son affiliation à la caisse de retraite complémentaire la CRPCCMPA, plus avantageuse que l'IRNIS, à laquelle il avait été affilié lors de son embauche dans l'attente de la convention collective, cette affiliation ayant été rendue impossible par les conditions d'âge qui avaient été fixées, et qui constituaient des mesures discriminatoires ; que le demandeur n'a pas précisé sa date d'embauche et n'a pas produit son contrat de travail, mais qu'il est acquis au débat qu'elle est antérieure à l'année 1965 ; qu'il ressort de la lecture de l'ensemble des documents qui ont été produits, savoir : - l'acte d'adhésion du port autonome de Marseille à l'IRNIS en date du 10 janvier 1967 ; - le protocole d'accord du 22 juin 1968 ; - le protocole d'accord du 1er juillet 1972 ; - la convention collective des personnels de ports autonomes maritimes et des chambres de commerce et d'industrie ; - et l'annexe n° 2 à la convention collective applicable au règlement de retraite, que le salarié n'a jamais rempli les conditions d'âge successivement imposées pour l'affiliation à la caisse de retraite CRPCCMPA, de sorte qu'il est resté affilié à l'IRNIS, mais que l'établissement public du port autonome de Marseille s'est limité à la stricte application des accords collectifs et des règlements successifs de l'organisme de retraite CRP qui ont été élaborés et modifiés par son conseil d'administration en fonction des calculs réalisés et des estimations portant sur ses réserves ; que l'échange de correspondances engagé au mois d'octobre 1990 entre le Ministère des affaires sociales et de la solidarité et le président du conseil d'administration de la CRPCCMPA témoigne de ce que le port autonome n'est pas en cause dans la différence de traitement existant entre les salariés, l'adhésion à l'une ou l'autre des caisses de retraite étant fonction de leur âge ou de l'époque à laquelle ils ont été embauchés ; que par ailleurs il n'est pas établi que le salarié, qui n'a produit aucune pièce en ce sens, qu'en considération le rapport cotisations/prestations, le régime de retraite dont il bénéficie actuellement serait moins favorable que celui de la caisse CRP ; que dans ces conditions, il ne peut être retenu à la charge de l'employeur une faute à l'origine d'une différence de traitement dont le demandeur aurait été victime de sorte qu'il sera débouté de toutes ses prétentions ;

Alors que l'égalité de traitement s'applique en matière de prestations sociales au sein de chaque catégorie de personnels ; que la cour d'appel constate que les conditions d'adhésion à la CRPCCMPA choisie par l'employeur comme caisse de retraite complémentaire comportaient des conditions d'âge qui étaient à l'origine d'une différence de traitement au préjudice de certains membres de son personnel, dont Monsieur X..., qui en avait été écarté ; que la cour d'appel, qui devait notamment appliquer la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, consacrant un principe général du droit de l'union, ne pouvait rejeter les demandes de celui-ci tendant à l'allocation de dommages et intérêts en compensation de la perte des droits de retraite qui en était résulté, alors qu'il résulte de ses propres constatations que l'employeur ne se trouvait pas dans une situation de force majeure l'empêchant de compenser les conséquences de cette situation, fût-ce en en assumant le coût, sans constater que pour la catégorie d'emplois concernée la différence de traitement ainsi fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un objectif légitime et que les moyens pour réaliser cet objectif étaient appropriés et nécessaires ; qu'à défaut, elle a violé l'article L. 1132-1 du code du travail, ensemble l'article 2, paragraphe 2 de ladite directive, la convention 111 de l'OIT et les articles 14 et 17 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

Aller plus loin sur “Jurisprudence Discriminations”

Articles liés du Code du travail
Également jugé