Cassation sociale, 20 avril 2017, n° 14-28.094 cassation sociale - Editions Tissot

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Cassation sociale, 20 avril 2017, n° 14-28.094

Quand, lors de l'exécution d'un chantier, un salarié tient des propos dénigrants contre son employeur et fait preuve de diverses négligences flagrantes, de sorte que la cliente fait immédiatement arrêter les travaux puis atteste du comportement du salarié, les juges peuvent considérer ces faits comme constitutifs d’une faute grave compte tenu de la qualification professionnelle du salarié et du conflit qui l'opposait à l'employeur.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du jeudi 20 avril 2017
N° de pourvoi: 14-28094
Non publié au bulletin Rejet

M. Frouin (président), président
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Sevaux et Mathonnet, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 octobre 2014), que M. Ihab Y...a été engagé le 1er octobre 2008 par la société PPM en qualité de chef de chantier ; qu'il a été licencié pour faute grave le 18 juin 2012 ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de décider que son licenciement est fondé sur une faute grave et de le débouter en conséquence de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que la faute grave n'est caractérisée qu'en présence d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; qu'en qualifiant de faute grave le comportement prétendument dénoncé par une cliente de l'entreprise, qui aurait consisté pour le salarié à arriver avec une heure de retard sur le chantier, à avoir mal exécuté les travaux et à dénigrer son employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail ;

2°/ qu'en se bornant à constater une prétendue volonté délibérée du salarié de mal faire en raison du conflit l'opposant à son employeur sans rechercher s'il ne résultait pas, d'abord de la circonstance, qu'elle constatait elle-même, que le climat dans l'entreprise était délétère, avec une « hystérisation » des relations entre le salarié et l'employeur et, ensuite, de celle dûment exposée par le salarié, que, lors de sa reprise du travail, l'intéressé avait été affecté à un chantier sans tenue ni outil de travail, que cette prétendue volonté de mal faire, à la supposer avérée, ne pouvait présenter le caractère d'une faute grave compte tenu des circonstances précitées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;

3°/ qu'il résulte des mentions claires et précises du relevé d'indemnité journalière produit par le salarié en pièce n° 74 que l'intéressé se trouvait en arrêt de travail entre le 15 mai et le 30 juillet 2012, période au cours de laquelle le licenciement est intervenu ; qu'en retenant qu'il n'est pas justifié que le licenciement soit intervenu pendant une période de rechute, la cour d'appel a méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents produits aux débats et l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu d'abord, qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel a retenu par motifs propres et adoptés, que lors de l'exécution d'un chantier, le salarié avait tenu des propos dénigrants contre l'employeur et fait preuve de diverses négligences flagrantes, en sorte que la cliente avait immédiatement fait arrêter les travaux puis attesté du comportement du salarié ;

Attendu ensuite, que tenant compte de la qualification professionnelle du salarié et du conflit qui l'opposait à l'employeur, la cour d'appel a estimé que ces négligences ne pouvaient être que délibérées, le salarié n'établissant pas que l'employeur ait cherché à le mettre délibérément en faute ; qu'ayant ainsi fait ressortir, hors toute dénaturation, que l'ensemble des actes reprochés au salarié rendait impossible son maintien dans l'entreprise, la cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de faire une recherche que ses constatations rendaient inopérantes, qu'ils constituaient une faute grave ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour M. Y...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré que le licenciement était fondé sur une faute grave et d'avoir débouté en conséquence le salarié de ses demandes ;

Aux motifs que, sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité, les faits détaillés par Monsieur Ihab Y...dans ses écritures, à les supposer tous établis, illustrent certes le climat délétère dans l'entreprise mais ne sauraient caractériser des manquements de l'employeur de nature à violer son obligation de sécurité ; que ces péripéties révèlent, au plus, « une hystérisation » des relations entre les parties qui étaient très proches un temps donné ; que Monsieur Ihab Y...sera débouté de ce chef de demande ; que, sur l'accident de travail, Monsieur Ihab Y...a été victime d'un accident de trajet en vélo ; que cet événement a été déclaré et a fait l'objet d'une prise en charge au titre de la législation du travail ; qu'il n'est pas justifié que le licenciement soit intervenu pendant une période de rechute ; que le salarié ne justifie d'aucun préjudice de ce chef et sera débouté de sa demande de dommages et intérêts ; que, sur le licenciement, la lettre de licenciement, à laquelle il est expressément fait référence, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce, est ainsi motivée : «... Je vous indique que nous entendons vous licencier pour faute grave pour les raisons suivantes. D'une part, nous avons appris que lors de votre intervention chez Mme Z...le 02/ 05/ 2012, vous vous êtes montré particulièrement négligent, incompétent et avez manqué de professionnalisme. Votre travail a été commencé à 14h au lieu de l'heure prévue : 13h. Le lendemain n'a duré qu'une demi-journée. La protection du sol a été mal faite entraînant des infiltrations d'eau derrière les plinthes en bois, ce qui les a abîmées, et sous le sol en plastique, ce qui a provoqué leur décollement. Lors du décollement du papier peint, certaines prises murales ont été cassées, non changées, non remises à leur place, avec un risque d'électrocution évident. C'est la raison pour laquelle la cliente a estimé devoir faire arrêter immédiatement les travaux et retirer le matériel, relevant à juste titre une incompétence flagrante. De ce fait, nous avons perdu le chantier, n'avons pas été réglé de celui-ci. Il y a plus grave. Nous avons appris par Mme Z...que la société PPM avait été gravement dénigrée et que vous aviez soutenu que cette société était malhonnête et incompétente de plus des injures insupportables envers son gérant MR A...ont été proférées. Enfin, vous n'avez pas hésité à m'adresser un certificat médical de prolongation daté du 30 mai 2012 grossièrement surchargé, faisant état d'un rajout manuscrit mentionnant la date du 30 juin 2012 à côté de la mention initiale faisant état d'une date expirant au 13 juin inclus. Renseignements pris auprès de votre médecin, c'est bien cette dernière date qui était à prendre en considération dans le cadre de l'arrêt de travail. Par ailleurs, nous avons constaté, en regardant de plus près les certificats d'arrêt de travail que vous nous avez donnés, que celui qui précédait le certificat du 30 mai avait été partiellement rédigé par vos soins alors qu'il doit être intégralement rédigé par le médecin. Nous vous rappelons que nous avions déjà eu l'occasion de dénoncer d'autres faits, à savoir la création d'une société Kheops dans le cadre de laquelle vous êtes porteur de part avec votre frère à hauteur de 100 % et dont l'objet social est similaire au nôtre, ce qui a entraîné des détournements de clientèle, consécutif de graves préjudices pour notre société et ce, sans compter la disparition d'un certain nombre de matériels, ce qui a justifié des dépôts de plainte. L'ensemble de ces faits nous amène à vous notifier votre licenciement pour faute grave intervenant dès réception de la présente. Je vous rappelle que vous avez droit à 40 heures au titre du DIF que vous pouvez faire valoir avant la date du 15/ 07/ 2012. Nous vous adressons d'ores et déjà votre certificat de travail et votre attestation Pole Emploi et tenons à votre disposition votre reçu pour solde de tout compte... » ; que la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée limitée du préavis sans risque de compromettre les intérêts légitimes de l'employeur ; que c'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est ainsi situé sur le terrain disciplinaire et à lui seul de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossible la poursuite du contrat de travail de Monsieur Y... même pendant la durée du préavis ; qu'à la suite de l'éviction de monsieur Y... du chantier s'étant déroulé chez madame Z..., cette dernière, par courrier du 3 mai 2012, a écrit à l'employeur pour dénoncer le comportement du salarié ; que cette attitude, compte tenu de sa qualification professionnelle, ne pouvait avoir comme cause qu'une mauvaise volonté délibérée de mal faire en raison de son conflit avec l'employeur ; que la cliente a exigé l'arrêt immédiat du chantier et le retrait du matériel dès que possible ; que contrairement à ses allégations, Monsieur Y... ne rapporte aucunement la preuve que son employeur ait cherché à le mettre délibérément en « faute » en lui confiant un chantier « piège » ; qu'en conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement du salarié fondé sur une faute grave ;

Et aux motifs, le cas échant repris des premiers juges, que le courrier avec accusé réception émis le 10 mai 2012, par la société PPM, fixant la date d'un entretien préalable au 24 mai 20 12 à 14 h ; que ce courrier porte les éléments nécessaires fixés par le code du travail ; que le courrier avec accusé réception émis le 22 mai 2012, par la société PPM, fixant la date d'un entretien préalable au 24 mai 01 juin 2012 à 09h ; que le report de cet entretien effectué sur demande du salarié et fixé au 1er juin 2012 ; que le courrier daté du 14 juin 2012, émis par Monsieur Y... demandant à la société PPM de le re-convoquer pour un entretien préalable ; que la lettre de licenciement, avec accusé réception, émise par la société PPM en date 15 juin 2012 ; que ce courrier porte les éléments nécessaires fixés par le code du travail, en terme de motivation ; que le courrier émis par Monsieur Y..., en date du 20 juin 2012 en ces termes : « En réception de votre courrier du 15 juin 2012, je vous prie de noter que je récuse la totalité des motifs du licenciement pour faute grave que vous venez de m'infliger, et de contester en conséquence le licenciement en lui-même. Veuillez recevoir l'expression de mes salutations distinguées » ; qu'il n'est apporté au Conseil, ou à l'employeur, aucun autre élément pouvoir assoir la contestation ; que, (…) pour le licenciement, parmi les critères retenus par la société PPM figurent des reproches concernant un manque de professionnalisme de la part de Monsieur Y... sur un chantier dont la cliente se porte témoin de la mal façon dans l'exécution des tâches et de la tenue de propos calomnieux émis par le salarié à l'encontre de la société et de son gérant ; que la partie demanderesse ne communique aucun élément au conseil permettant à ce dernier de porter une réflexion sur la remise en cause des éléments ayant conduit à l'ouverture de la procédure de licenciement ; que, pour ces raisons, le conseil ne fera pas suite aux demandes de monsieur Ihab Y...;

Alors que la faute grave n'est caractérisée qu'en présence d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; qu'en qualifiant de faute grave le comportement prétendument dénoncé par une cliente de l'entreprise, qui aurait consisté pour le salarié à arriver avec une heure de retard sur le chantier, à avoir mal exécuté les travaux et à dénigrer son employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 1234-1 du code du travail ;

Alors qu'en toute hypothèse qu'en se bornant à constater une prétendue volonté délibérée du salarié de mal faire en raison du conflit l'opposant à son employeur sans rechercher s'il ne résultait pas, d'abord de la circonstance, qu'elle constatait elle-même, que le climat dans l'entreprise était délétère, avec une « hystérisation » des relations entre le salarié et l'employeur et, ensuite, de celle dûment exposée par le salarié (conclusions d'appel, p. 15), que, lors de sa reprise du travail, l'intéressé avait été affecté à un chantier sans tenue ni outil de travail, que cette prétendue volonté de mal faire, à la supposer avérée, ne pouvait présenter le caractère d'une faute grave compte tenu des circonstances précitées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;

Alors enfin qu'il résulte des mentions claires et précises du relevé d'indemnité journalière produit par le salarié en pièce n° 74 que l'intéressé se trouvait en arrêt de travail entre le 15 mai et le 30 juillet 2012, période au cours de laquelle le licenciement est intervenu ; qu'en retenant qu'il n'est pas justifié que le licenciement soit intervenu pendant une période de rechute, la cour d'appel a méconnu le principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents produits aux débats et l'article 1134 du code civil.

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