Jurisprudence sociale
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Cassation sociale, 5 mai 2017, n° 15-15.828
L’application d’un accord prévoyant des modalités d'attribution des médailles d'honneur du travail affectant plus particulièrement les salariés les plus âgés de l'entreprise crée une discrimination liée à l'âge. L’employeur n'apportant aucun élément de nature à établir que la différence de traitement fondée sur l'âge est objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime, il doit être condamné au paiement d'une gratification liée à l'obtention de la médaille d'or du travail et de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier.
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du vendredi 5 mai 2017 N° de pourvoi: 15-15828 Non publié au bulletin Rejet
M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 27 janvier 2015), que Mme X..., engagée le 21 octobre 1974 par la société Le Crédit lyonnais au sein de laquelle elle occupait en dernier lieu le poste de conseiller d'accueil, a obtenu le14 juillet 2012 la médaille d'honneur du travail, échelon or, correspondant à 35 années de service ; que s'estimant victime d'une discrimination fondée sur l'âge découlant des dispositions transitoires d'un accord collectif signé le 24 janvier 2011 prévoyant de nouvelles modalités d'attribution des gratifications liées à l'obtention des médailles d'honneur du travail, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une gratification liée à l'obtention de la médaille d'or du travail et d'une demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et financier ;
Attendu que la société Le Crédit lyonnais fait grief à l'arrêt de constater que l'application de l'accord salarial du 24 janvier 2011créait une discrimination liée à l'âge dont avait été victime la salariée alors, selon le moyen, que les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime ; que, pour dire discriminatoire l'application de l'accord du 24 janvier 2011, l'arrêt attaqué retient que le régime transitoire issu de cet accord d'entreprise affectait plus particulièrement les salariés les plus âgés de l'entreprise, dans la mesure où madame X... ne serait jamais bénéficiaire d'une gratification pour la médaille d'or, tandis qu'un salarié ayant obtenu une médaille d'argent (20 ans) aurait pu bénéficier des dispositions transitoires et obtenir ensuite la gratification suivante s'il comptait toujours parmi l'effectif de l'entreprise, et qu'il en résultait de fait une discrimination suivant l'âge des salariés à l'encontre de laquelle le Crédit Lyonnais n'apportait aucun élément de nature à prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que, cependant, l'économie générale de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 visant à pérenniser le système de gratification des médailles du travail en uniformisant le mode de calcul de celle-ci et en alignant le moment de son versement sur l'année d'obtention de la médaille, et les salariés qui, comme madame X..., ne percevaient pas la gratification liée à la médaille d'or du travail (35 ans) et passaient directement à celle liée à la médaille grand or du travail (40 ans), bénéficiant ainsi de la gratification qui s'attachait à cette dernière médaille, que l'ancien dispositif subordonnait auparavant à 48 années de service et à laquelle les salariés, même les plus âgés, pouvaient donc, en pratique, rarement prétendre en raison de leur âge d'embauche et de mise à la retraite, la cour d'appel, en retenant qu'il n'était pas justifié devant elle d'éléments objectifs et raisonnables étrangers à toute discrimination fondée sur l'âge, a méconnu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les règles issues de l'accord du 24 janvier 2011 prévoyant de nouvelles modalités d'attribution des médailles d'honneur du travail affectaient plus particulièrement les salariés les plus âgés de l'entreprise, ce dont il résultait une discrimination selon l'âge des salariés, la cour d'appel, qui a relevé que la société n'apportait aucun élément de nature à établir que la différence de traitement fondée sur l'âge était objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Le Crédit lyonnais aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Le Crédit lyonnais à payer à Mme X... la somme de 1 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mai deux mille dix-sept. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Le Crédit lyonnais
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR constaté que l'application de l'accord salarial du 24 janvier 2011 créait une discrimination liée à l'âge dont avait été victime madame X... ;
AUX MOTIFS QUE le 24 janvier 2011, la société LCL (Crédit Lyonnais SA) a signé avec les partenaires sociaux l'accord salarial 2011 qui modifie le dispositif de gratification liée à l'obtention de la médaille du travail en uniformisant le mode de calcul de son montant, quelle que soit la médaille obtenue et en alignant le moment de son versement sur l'année d'obtention de la médaille ; que des dispositions transitoires étaient prévues pour les salariés qui, en application du nouveau dispositif, auraient dû percevoir une gratification au cours des 5 années précédentes et ne percevraient aucune gratification au cours des 5 années suivantes ; que la cour ne saurait remettre en cause à l'occasion d'un litige individuel, un accord signé par l'employeur et les organisations syndicales représentatives, cette compétence relevant du tribunal de grande instance et non de la juridiction prud'homale ; qu'elle ne saurait davantage dire ainsi que le demande madame X..., que la société LCL a, à l'occasion de la signature de cet accord et au vu de son contenu, violé l'ensemble des dispositions des articles L. 1132-1, L. 3141-19, L. 3121-2 et L. 3121-3 du code du travail ; que, pour autant, le conseil de prud'hommes et, ensuite de l'appel, la cour, sont compétents pour connaître de l'action individuelle d'un salarié, relative à un différend né de l'exécution de son contrat de travail, quand bien même cette demande serait fondée sur la mise en oeuvre d'un accord collectif, dès lors que seule la demande individuelle et personnelle sera examinée : que la demande de madame X..., qui argue de la discrimination dont elle a été victime en application de l'accord d'entreprise, est donc recevable et doit être examinée ; qu'en application des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail, nul ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte en raison de son âge ; que le régime de la preuve du comportement discriminatoire est fixé par l'article L. 1134-1 du même code qui prévoit que le salarié présente des éléments de fait laissant supposer une discrimination, et qu'au vu de ces éléments, l'employeur doit prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en l'espèce, madame X... invoque la différence de traitement dont elle a été l'objet à l'occasion de l'obtention de la médaille d'or du travail, compte tenu de l'application des dispositions transitoires de l'accord collectif ; que l'article 6. 2 de cet accord dispose à cet égard que « sous réserve de la transmission du diplôme de la médaille d'honneur du travail d'Etat correspondant, les salariés qui, en application du nouveau dispositif et à la date d'entrée en vigueur de ce dernier :- auraient dû percevoir une gratification au cours des cinq années précédentes, et,- ne percevront aucune gratification au cours des 5 prochaines années, bénéficieront du versement d'une gratification médaille d'honneur du travail d'Etat sur la base du montant prévu conformément au présent accord, sous réserve qu'ils ne perçoivent pas une gratification en application de l'ancien ou du nouveau dispositif au titre de la même médaille d'honneur du travail d'Etat » ; que madame X... a obtenu une médaille d'or du travail en 2012, pour 35 ans d'ancienneté acquis en 2009, elle obtiendra toutefois 40 ans d'ancienneté en 2014, soit dans les 5 années suivant l'accord, et se verra attribuer une gratification à ce titre (tel a d'ailleurs été le cas) ; qu'elle ne remplit donc pas la deuxième condition de l'article 6. 2 ; que, pour autant, en application de l'accord, elle ne sera jamais bénéficiaire d'une quelconque gratification pour la médaille d'or alors même qu'un salarié ayant obtenu une médaille d'argent (20 années de travail) aurait pu bénéficier des dispositions transitoires et obtenir ensuite la gratification suivante s'il est toujours dans l'effectif ; qu'il en résulte de fait une discrimination liée à l'ancienneté et donc à l'âge des salariés ; que la société LCL ne s'explique pas sur la discrimination liée à l'application des dispositions transitoires, se contentant de soutenir que le nouveau dispositif est plus favorable dans son ensemble aux salariés ; qu'elle affirme encore qu'il n'est pas moins défavorable aux salariés les plus âgés que le dispositif précédant compte tenu de la concomitance entre la date d'obtention du diplôme et la date de paiement de la gratification, cette affirmation pour exacte qu'elle soit, ne répond pas à la question de la discrimination liée à l'impossibilité pour les salariés ayant atteint 30 ou 35 ans d'ancienneté avant le 1er janvier 2011, d'obtenir une gratification à ce titre alors que les salariés ayant atteint 20 ou 40 ans d'ancienneté dans le même temps, en obtiendront une ; que la différence de traitement liée à l'âge n'est admise que lorsqu'elle est objectivement et raisonnablement justifiée par un but légitime notamment le souci de préserver la santé ou la sécurité des travailleurs, de favoriser leur insertion professionnelle, d'assurer leur emploi … et lorsque les moyens de réaliser ce but sont nécessaires et appropriés ; qu'en l'espèce, les mesures transitoires concernées ne répondent pas à un tel but qui ne peut être considéré comme étant celui de l'accord en son ensemble et la discrimination alléguée du fait des dispositions transitoires est donc avérée et madame X... peut dès lors prétendre à gratification pour sa médaille d'or du travail ; qu'il apparaît cependant qu'au nombre des conditions fixées par l'article 6. 1 de l'accord pour l'obtention de la gratification figure celle d'« avoir transmis à LCL le diplôme de la médaille d'honneur du travail d'Etat dans les 12 mois suivant la date d'acquisition du nombre d'années de service requis au titre de la gratification demandée » ; que cette condition ne crée aucune discrimination entre les salariés et, s'agissant de ceux ayant acquis le nombre d'années de service utiles avant la signature de l'accord, il ne peut courir qu'à compter de la date de son entrée en vigueur, soit à compter du 1er mai 2011 ; que madame X... qui, dès les négociations sur l'accord salarial puis à tout le moins dès l'entrée en vigueur de l'accord a été informée de ses modalités compte tenu des diffusions syndicales notamment, pouvait donc solliciter son diplôme dès le 1er mai 2011 et le présenter à LCL avant le 1er mai 2012 ; qu'elle n'a pour autant obtenu le diplôme et ne l'a transmis qu'en juillet 2012 soit au-delà du délai d'un an et ne respecte dès lors plus les conditions non discriminatoires, d'attribution de la gratification, de son seul fait ; qu'elle sera déboutée de sa demande à ce titre ; qu'elle sera tout autant déboutée de ses demandes de dommages-intérêts, ses préjudices éventuels résultant de sa seule négligence à solliciter et transmettre son diplôme (arrêt attaqué, pp. 3-5) ;
ALORS QUE les différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées par un but légitime ; que, pour dire discriminatoire l'application de l'accord salarial du 24 janvier 2011, l'arrêt attaqué retient que le régime transitoire issu de cet accord d'entreprise affectait plus particulièrement les salariés les plus âgés de l'entreprise, dans la mesure où madame X... ne serait jamais bénéficiaire d'une gratification pour la médaille d'or tandis qu'un salarié ayant obtenu une médaille d'argent (20 ans) aurait pu bénéficier des dispositions transitoires et obtenir ensuite la gratification suivante s'il comptait toujours parmi l'effectif de l'entreprise, et qu'il en résultait de fait une discrimination suivant l'âge des salariés à l'encontre de laquelle le Crédit Lyonnais n'apportait aucun élément de nature à prouver que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que, cependant, l'économie générale de l'accord d'entreprise du 24 janvier 2011 visant à pérenniser le système de gratification des médailles du travail en uniformisant le mode de calcul de celle-ci et en alignant le moment de son versement sur l'année d'obtention de la médaille, et les salariés qui, comme madame X..., ne percevaient pas la gratification liée à la médaille d'or du travail (35 ans) et passaient directement à celle liée à la médaille grand or du travail (40 ans), bénéficiant ainsi de la gratification qui s'attachait à cette dernière médaille, que l'ancien dispositif subordonnait auparavant à 48 années de service et à laquelle les salariés, même les plus âgés, pouvaient donc, en pratique, rarement prétendre en raison de leur âge d'embauche et de mise à la retraite, la cour d'appel, en retenant qu'il n'était pas justifié devant elle d'éléments objectifs et raisonnables étrangers à toute discrimination fondée sur l'âge, a méconnu les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail.
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