Jurisprudence sociale
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Cassation sociale, 21 septembre 2017, n° 16-15.444
Caractérise l'existence d'une discrimination syndicale et d'un trouble manifestement illicite la présentation du salarié, au responsable des affaires sociales, par les dirigeants de la société, comme une personne à abattre et un syndicaliste gênant dont ils n'arrivaient pas à se débarrasser, de même que le retard de l’employeur à le réintégrer ainsi qu'à lui payer les sommes qu'il réclamait au titre de la période de son éviction.
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du jeudi 21 septembre 2017 N° de pourvoi: 16-15444 Non publié au bulletin Rejet
M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé (Paris, 7 avril 2016) et les productions, que M. X... a été engagé à compter du 1er janvier 2000 par la Société de fret et de services (SFS) en qualité de manutentionnaire cariste, qu'il a été titulaire de divers mandats syndicaux et de représentation du personnel, qu'il a été licencié pour faute grave le 21 avril 2011 après autorisation de l'inspection du travail, qu'il a été réintégré dans les effectifs de l'entreprise à compter du 4 décembre 2011 à la suite de l'annulation de cette autorisation par le ministre du travail le 28 novembre 2011, mais qu'il n'a effectivement repris son emploi qu'en mars 2012, que par un jugement du 20 novembre 2012, le tribunal administratif a annulé la décision du 28 novembre 2011 et que, par décision du 23 décembre 2013, le ministre du travail a indiqué à la société SFS qu'une décision implicite de rejet de sa demande de réexamen de l'autorisation de licenciement à la suite du jugement du 20 novembre 2012 était intervenue le 30 janvier 2013 ; que le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale en août 2014 d'une demande de rappel de salaire pour la période d'avril à décembre 2011 et de dommages-intérêts pour discrimination syndicale ; que, par ordonnance du 16 janvier 2015, le conseil de prud'hommes a constaté le paiement par l'employeur des salaires réclamés et l'absence de discrimination syndicale ; que, par jugement du 13 avril 2015 dont M. X... a relevé appel, le tribunal administratif a annulé la décision du ministre du travail en date du 23 décembre 2013 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué de le condamner à payer au salarié les sommes de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels pour discrimination syndicale et de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, l'indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement du salarié protégé et sa réintégration n'est due que lorsque l'annulation de la décision d'autorisation du licenciement est devenue définitive ; qu'ayant relevé que la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. X... notifié le 21 avril 2011 avait été annulée le 28 novembre 2011 par le ministre du travail qui avait refusé d'autoriser son licenciement, décision à la suite de laquelle M. X... avait été réintégré dans les effectifs de la société SFS à compter du 4 décembre 2011, que la décision du ministre avait été annulée par un jugement du tribunal administratif du 13 avril 2015 dont l'appel était pendant devant la cour administrative d'appel, la cour d'appel, qui a considéré que le paiement effectué en octobre 2014, par la société SFS, des salaires afférents à la période séparant le licenciement de M. X... de sa réintégration caractérisait une discrimination syndicale constituant un trouble manifestement illicite et justifiant l'allocation de dommages-intérêts provisionnels, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en l'absence d'annulation définitive de la décision d'autorisation de licenciement, aucun reproche ne pouvait être valablement fait à la société SFS pour avoir effectué, en octobre 2014, un règlement dont elle aurait pu se dispenser, de sorte que la demande était mal fondée, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1, L. 2422-4 et R. 1455-6 à R. 1455-8 du code du travail ;
2°/ que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite existant à la date à laquelle elle statue ; que, saisie d'une demande de provision sur des dommages-intérêts pour une discrimination syndicale fondée sur le retard qui aurait été apporté par la société SFS au règlement des salaires afférents à la période séparant le licenciement de M. X... de sa réintégration et au retard apporté à sa réintégration effective, la cour d'appel, qui, tout en relevant, d'une part, que, selon les propres déclarations de M. X..., ces salaires lui avaient été versés en octobre 2014 et en constatant, d'autre part, que M. X... avait été réintégré à compter du 4 décembre 2011 et avait repris effectivement son emploi en mars 2012, a néanmoins retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par l'allocation de dommages-intérêts provisionnels, a violé les articles R. 1455-5 à R. 1455-7 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le salarié avait été présenté au responsable des affaires sociales, par les dirigeants de la société, comme une personne à abattre et un syndicaliste gênant dont ils n'arrivaient pas à se débarrasser et que l'employeur avait tardé à le réintégrer ainsi qu'à lui payer les sommes qu'il réclamait au titre de la période de son éviction, la cour d'appel a caractérisé l'existence d'une discrimination syndicale et d'un trouble manifestement illicite ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Société de fret et de services aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille dix-sept. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la Société de fret et de services (SFS)
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR condamné la Société de Fret et de Services à payer à M. Arsène X... les sommes de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts provisionnels pour discrimination syndicale et de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile
AUX MOTIFS QUE Arsène X... a été engagé par la Sas SFS à compter du 1er janvier 2000 en qualité de manutentionnaire-cariste, selon un contrat de travail à durée indéterminée ; qu'il exerce depuis les fonctions de surveillant entrée-sortie "Marc" ; que la relation de travail est régie par la convention collective des transports routiers et auxiliaires du transport ; que Arsène X... a été titulaire de plusieurs mandats et est actuellement membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; qu'après avoir obtenu l'autorisation de l'inspection du travail, la sas SFS a, le 21 avril 2011, notifié à Arsène X... son licenciement pour faute grave ; que le ministre du travail a, le 28 novembre 2011, annulé la décision de l'inspecteur du travail et refusé l'autorisation de licencier le salarié, qui a été réintégré dans les effectifs de la sas SFS à compter du 4 décembre 2011, mais n'a repris effectivement son emploi qu'en mars 2012 ; que la sas SFS a formé un recours à l'encontre de la décision du ministre devant le tribunal administratif lequel a, par décision du 13 avril 2015, annulé cette décision ; que l'affaire est pendante devant la cour d'appel administrative ; que c'est dans ces conditions, qu'Arsène X... a saisi le conseil de prud'hommes en sa formation des référés (arrêt p. 2 § 7 à 11) ; que sur la discrimination, aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation ; qu'aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 322 1-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou à raison de son état de santé ou de son handicap ; que l'article L. 1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence de discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1 de la loi n° 2008-96 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est motivée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que le juge forge sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles ; qu'en l'espèce Arsène X... invoque les faits suivants : il est salarié protégé de la Sas SFS depuis le 1er janvier 2000, la sas SFS a eu en sa possession les documents nécessaires au paiement de ses salaires pendant la période d'éviction dès le mois d'avril 2012 mais ne les a versés qu'en octobre 2014 après la saisine du conseil de prud'hommes, malgré ses relances, ses salaires lui ont été payés avec le salaire d'octobre 2014, c'est à dire après l'introduction de l'instance en référé et plus de trois ans après la réintégration, c'est donc délibérément que l'employeur a tardé à lui régler ses salaires et à le réintégrer alors même qu'il avait "en mains" les justificatifs nécessaires ; que pour étayer ses affirmations, il produit notamment la lettre recommandée en date du 5 décembre 2011 aux termes de laquelle il sollicite sa réintégration, une lettre dénonçant des faits de harcèlement subis par lui-même et deux autre salariés, envoyée le 2 mars 2012 à la sas SFS au nom du syndicat Sisfs-Usapie, la lettre de M. Y..., responsable des affaires sociales, qui écrit : "Monsieur Arsène X... nous remet ce jour ses relevés de situation Pôle emploi pour la période de mai 2011 à janvier 2012", ses relevés de situation Pôle Emploi du 7/06/2011 au 2/12/2011 ainsi que son bulletin de salaire d'octobre 2014 sur lequel il est fait mention d'un rappel de salaire de 19 986,95 euros et de congés payés de 1 586,45 euros, une attestation de M. Y..., juriste en droit social puis directeur des affaires sociales de 2011 à 2013 qui relate que les dirigeants de la société lui ont présenté Arsène X... "comme une personne à abattre, ils avançaient qu‘ils n‘arrivaient pas à se débarrasser de ce syndicaliste embarrassant" et qu'ils lui ont demandé d'obtenir de fausses attestations le concernant ; qu'Arsène X... établit ainsi l'existence matérielle de faits pouvant laisser présumer l'existence de discrimination à son encontre ; que la sas SFS fait valoir que la demande d'Arsène X... se heurte à une contestation sérieuse et que l'absence de paiement de rappel de salaire au titre de la période d'éviction est due à une méconnaissance des éléments permettant le traitement administratif de son dossier et que le salarié, à compter de la réponse qu'elle lui a apportée le 15 mars 2012, n'a plus jamais évoqué ce sujet ni sollicité un quelconque règlement avant la délivrance de son assignation du 21 août 2014 ; que depuis son embauche, Arsène X... a connu une évolution de carrière tout à fait normale ; que l'attestation de M. Y..., responsable des relations sociales entre le 23 mars 2011 et le 18 janvier 2013 est mensongère et qu'elle a déposé plainte auprès du procureur de la république le 26 octobre 2015, après avoir eu communication des pièces d'appel d'Arsène X..., M. Y... a introduit une action en contestation de son licenciement pour violation de son statut protecteur, dont elle n'avait pas été informée, près de deux ans après la rupture du contrat de travail ; que l'employeur produit la plainte en date du 20 mai 2015 aux termes de laquelle il dénonce les propos mensongers de MM. Y..., X... et Z... quant à l'éventuel statut protecteur de conseiller du salarié revendiqué par M. Y..., dont il y a lieu de relever qu'ils sont sans lien direct avec le présent litige, ainsi que la seconde plainte en date du 26 octobre 2015 pour attestation mensongère de ce dernier, versées dans le cadre de cette instance ; que force est de constater que cette simple plainte n'emporte pas mise en oeuvre de l'action publique et qu'aucun élément ne vient, à ce jour, contredire les propos de M. Y... ; que l'employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Arsène X... sont justifiés par des éléments objectifs sans lien avec l'appartenance syndicale du salarié et étrangers à toute discrimination ; que ce dernier est par conséquent fondé à invoquer le trouble manifestement illicite résultant de la discrimination dont il a fait l'objet de la part de la sas SFS ; que compte tenu des circonstances de la discrimination subie, de sa durée et des conséquences dommageables qu'elle a eues pour Assène Yahmi telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, le préjudice qu'il a subi doit être réparé par l'allocation de la somme provisionnelle de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que le jugement est infirmé sur ce point ; que sur l'application de l‘article 700 du code de procédure civile, l'équité commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et d'allouer à Arsène X... la somme de 1 500 euros à ce titre ;
ALORS DE PREMIERE PART QU'aux termes de l'article L. 2422-4 du code du travail, l'indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre le licenciement du salarié protégé et sa réintégration n'est due que lorsque l'annulation de la décision d'autorisation du licenciement est devenue définitive ; qu'ayant relevé que la décision de l'inspecteur du travail autorisant le licenciement de M. X... notifié le 21 avril 2011 avait été annulée le 28 novembre 2011 par le ministre du travail qui avait refusé d'autoriser son licenciement, décision à la suite de laquelle M. X... avait été réintégré dans les effectifs de la Société de Fret et de Services à compter du 4 décembre 2011, que la décision du ministre avait été annulée par un jugement du tribunal administratif du 13 avril 2015 dont l'appel était pendant devant la cour administrative d'appel, la cour d'appel qui a considéré que le paiement effectué en octobre 2014 par la Société de Fret et de Services des salaires afférents à la période séparant le licenciement de M. X... de sa réintégration caractérisait une discrimination syndicale constituant un trouble manifestement illicite et justifiant l'allocation de dommages-intérêts provisionnels sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si en l'absence d'annulation définitive de la décision d'autorisation de licenciement, aucun reproche ne pouvait être valablement fait à la Société de Fret et de Services pour avoir effectué en octobre 2014 un règlement dont elle aurait pu se dispenser, de sorte que la demande était mal fondée, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1, L. 1134-1, L. 2422-4 et R. 1455-6 à R. 1455-8 du code du travail ;
ALORS DE SECONDE PART ET SUBSIDIAIREMENT QUE la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite existant à la date à laquelle elle statue ; que saisie d'une demande de provision sur des dommages-intérêts pour une discrimination syndicale fondée sur le retard qui aurait été apporté par la Société de Fret et de Services au règlement des salaires afférents à la période séparant le licenciement de M. X... de sa réintégration et au retard apporté à sa réintégration effective, la cour d'appel qui, tout en relevant, d'une part, que selon les propres déclarations de M. X..., ces salaires lui avaient été versés en octobre 2014 et en constatant, d'autre part, que M. X... avait été réintégré à compter du 4 décembre 2011 et avait repris effectivement son emploi en mars 2012, a néanmoins retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par l'allocation de dommages-intérêts provisionnels, a violé les articles R. 1455-5 à R. 1455-7 du code du travail.
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