Cassation sociale, 14 février 2018, n° 16-22.360 cassation sociale - Editions Tissot

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Cassation sociale, 14 février 2018, n° 16-22.360

En cas de nullité du licenciement en raison du harcèlement moral subi, la victime est en droit de demander sa réintégration. L’employeur ne peut pas s’opposer à ce droit à réintégration, pas même le juge. En l’espèce, les juges avaient estimé que la réintégration était « peu opportune » eu égard aux relations entre les parties. La Cour de cassation considère cette appréciation des juges comme insuffisante pour caractériser une impossibilité matérielle de procéder à la réintégration.

Cour de cassation
chambre sociale
Audience publique du mercredi 14 février 2018
N° de pourvoi: 16-22360
Non publié au bulletin Cassation partielle

Mme Farthouat-Danon (conseiller le plus ancien faisant fonction de président), président
SCP Le Bret-Desaché, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat(s)


 

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :



Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé le 17 mai 1995 par la société Air Corsica, a été licencié le 31 mai 2012 pour motif personnel ; que soutenant que cette rupture était en lien avec des agissements de harcèlement moral dont il se considérait victime, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en vue d'obtenir la nullité du licenciement ;

Sur le second moyen du pourvoi principal du salarié et le second moyen du pourvoi incident de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié :

Vu l'article L. 1152-3 du code du travail ;

Attendu que pour débouter le salarié de sa demande en réintégration dans l'entreprise, l'arrêt retient que la réintégration du salarié apparaît peu opportune, puisque au moment du licenciement, les relations des parties étaient arrivées à un point de non-retour, que l'intéressé n'avait pas songé à demander sa réintégration en première instance et que l'employeur la refuse ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait prononcé la nullité du licenciement, ce dont il résultait que l'employeur était tenu de faire droit à la demande de réintégration du salarié, la cour d'appel, qui n'a constaté aucune impossibilité de procéder à cette réintégration, a violé le texte susvisé ;

Et sur le premier moyen du pourvoi incident de l'employeur :

Vu l'article L. 1152-3 du code du travail ;

Attendu que pour fixer le montant de l'indemnité pour perte de rémunération, l'arrêt retient qu'il n'y a pas lieu de déduire de cette somme les salaires perçus par le salarié dans son nouvel emploi ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le préjudice subi par le salarié devait être évalué en tenant compte des revenus qu'il avait pu tirer d'une autre activité professionnelle pendant la période s'étant écoulée entre le licenciement et la réintégration, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. X... de ses demandes tendant à sa réintégration et à ce qu'il soit enjoint à la société Air Corsica de lui payer ses salaires à venir et condamne la société Air Corsica à payer à M. X... la somme de 123 162,04 euros à titre d'indemnité pour perte de rémunération, l'arrêt rendu le 15 juin 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bastia, autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze février deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat aux Conseils, pour M. X... (demandeur au pourvoi principal).

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté le salarié de sa demande de réintégration et de sa demande d'injonction de payer les salaires à venir ;

AUX MOTIFS QUE la réintégration du salarié apparaît peu opportune, puisqu'au moment du licenciement, les relations des parties étaient arrivées à un point de non-retour ; qu'il convient d'ailleurs de relever que le salarié n'avait pas songé à demander sa réintégration en première instance ; qu'enfin, il résulte des conclusions de l'employeur qu'il refuse la réintégration ; que celle-ci ne sera donc pas ordonnée ; qu'en conséquence la demande tendant à ce qu'il soit enjoint à Air Corsica de payer sous astreinte, les salaires pour l'avenir sera rejetée ; que l'employeur est dès lors tenu d'une indemnité égale à la rémunération que le salarié aurait perçue s'il était resté dans l'entreprise, jusqu'à la date de mai 2016, ainsi qu'il est demandé, soit la somme de 226 661,35 euros ; que de cette somme il convient cependant de déduire, ainsi que le fait remarquer l'appelante : - la prime de transport non due en cas d'absence ; la prime de 13ème mois calculée de façon erronée par M. X..., tant pour 2012 que pour les années suivantes ; - les titres restaurant qui ne font pas partie des salaires ; - la part des salaires réclamés correspondant à un indice erroné appliqué au salaire de base, l'indice devant être retenu s'élevant à 1 074 ; - soit des déductions pour un total de 14 726,49 euros ; - les indemnités qui ont été versées au titre de la rupture du contrat de travail : 88 772,82 euros ; qu'il convient en conséquence de condamner la SA Air Corsica à payer à M. X... la somme de 123 162,04 euros (226 661,35 – 14 726,49 euros – 88 772,82 euros) ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de déduire de cette somme les rémunérations perçues par M. X... dans son nouvel emploi ;

1° - ALORS QUE le salarié dont le licenciement est nul a droit à être réintégré dans son emploi ou, à défaut, dans un emploi équivalent sauf si sa réintégration est matériellement impossible ; qu'il appartient au juge du fond de rechercher et de faire apparaître que la réintégration est matériellement impossible dans l'entreprise ; qu'en affirmant, pour débouter le salarié de ses demandes de réintégration et de paiement des salaires à venir, que la réintégration du salarié « apparaît peu opportune, puisqu'au moment du licenciement, les relations des parties étaient arrivées à un point de non-retour, qu'il convient d'ailleurs de relever que le salarié n'avait pas songé à demander sa réintégration en première instance et qu'il résulte des conclusions de l'employeur qu'il refuse la réintégration », sans rechercher ni faire apparaître que la réintégration était réellement matériellement impossible, la cour d'appel a violé les articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail ainsi que les principes susvisés ;

2° - ALORS à tout le moins QU'en se limitant, pour débouter le salarié de ses demandes, à affirmer que « la réintégration du salarié apparaît peu opportune, puisqu'au moment du licenciement, les relations des parties étaient arrivées à un point de non-retour, qu'il convient d'ailleurs de relever que le salarié n'avait pas songé à demander sa réintégration en première instance et qu'il résulte des conclusions de l'employeur qu'il refuse la réintégration », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail ainsi que des principes susvisés ;

3° - ALORS QUE le simple fait, pour un salarié dont le licenciement est nul, de demander initialement l'indemnisation du préjudice résultant pour lui de son licenciement non autorisé ne caractérise pas sa renonciation à demander ensuite sa réintégration ; qu'en retenant notamment, pour décider que la réintégration de M. X... ne serait pas ordonnée et qu'en conséquence la demande tendant à ce qu'il soit enjoint à Air Corsica de payer sous astreinte, les salaires pour l'avenir serait rejetée, que « le salarié n'avait pas songé à demander sa réintégration en première instance », la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser au salarié la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QU'en application de l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; que la position trop longtemps attentiste et passive de la SA Air Corsica à l'égard des faits de harcèlement dont son directeur d'escale a fait l'objet, traduit son incapacité à protéger son salarié dans un contexte social général très tendu à l'escale de Marseille, incapacité qui a engagé sa responsabilité en ce qui concerne le licenciement, et l'obligation de sécurité ; que cependant, elle n'établit pas pour autant une mauvaise foi globale de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail ; que par ailleurs, le préjudice subi par M. X... a été suffisamment réparé par les sommes ci-dessus allouées ; qu'il convient en conséquence d'infirmer le jugement sur ce point, et de débouter le salarié de cette demande ;

ALORS QU'en décidant que la position de la société à l'égard des faits de harcèlement moral dont a fait l'objet M. X... n'établit pas une mauvaise foi globale de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail et que le préjudice subi par M. X... a été suffisamment réparé par les sommes par ailleurs allouées, pour débouter le salarié de sa demande de dommages intérêts pour inexécution fautive du contrat de travail, après avoir pourtant constaté que la société avait gardé une position attentiste et passive à l'égard de ces faits, traduisant son incapacité à protéger son salarié dans un contexte social général très tendu à l'escale de Marseille, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L.1222-1 du code du travail ; Moyens produits par la SCP Le Bret-Desaché, avocat aux Conseils, pour la société Air Corsica (demanderesse au pourvoi incident).

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

- Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SA AIR CORSICA à payer à Monsieur Antoine X... la somme de 123.162,04 € outre intérêt au taux légal à compter du 9 mars 2015, à titre d'indemnité pour perte de rémunération pour la période allant de septembre 2012 à mai 2016 ;

- AU MOTIF QUE « L'employeur est tenu d'une indemnité égale à la rémunération que le salarié aurait perçue s'il était resté dans l'entreprise jusqu'à la date de mai 2016, ainsi qu'il est demandé, soit la somme de 226.661,35 € ; [
] qu'il n'y a pas lieu de déduire de cette somme les rémunérations perçues par M. X... dans son nouvel emploi »

- ALORS QUE le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la seule limite du montant des salaires dont il a été privé ; que dès lors, en refusant de déduire de l'indemnité allouée à ce titre, les rémunérations perçues par ailleurs par le salarié pendant la période correspondante, la Cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice et les articles 1240 du Code Civil et 1152-3 du Code du Travail ;

SECOND MOYEN DE CASSATION :

- Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la SA AIR CORSICA à payer à Monsieur Antoine X... la somme de 23.579,96 € bruts au titre du reliquat de RTT ;

- AU MOTIF QUE « le 17 juin 2011, M. X... demandait par mail au Directeur des Ressources humaines, M. Jean-Marc Z..., de lui faire parvenir l'ensemble de ses heures RTT et de récupération depuis 2004 ; que le 8 juillet, celui-ci l'informait que pour la période allant d'octobre 2004 à mars 2009, c'est-à-dire avant son passage cadre, il avait en effet généré 570,6 heures de récupération, et 73,9 heures de RTT, et que ces soldes allaient être crédités dans ses compteurs ; que M. X... produit son relevé d'activité de février 2009 soit juste avant le changement de pointeuse, qui fait état d'un solde de RTT de 1.091,30 heures ; que la SA AIR CORSICA n'explique pas pourquoi il ne devrait pas être tenu compte de cette pièce et comment a été calculé le solde de 73,9 heures de RTT annoncé le 8 juillet 2011 ; que le relevé de pointeuse qu'elle produit concernant M. X... pour les années 2011 et 2012 n'apporte aucun élément à cet égard ; que le solde dû par l'employeur est donc de 1.091,30 heures x 23,58 € = 25.735,89 €, dont à déduire la somme de 2.155,98 € versée à ce titre lors du licenciement, soit un solde de 23.579,96 € ; qu'il sera précisé que toutes les sommes versées en exécution du jugement »

- ALORS QU' à défaut d'un accord collectif prévoyant une indemnisation, l'absence de prise des jours de repos au titre de la réduction du temps de travail n'ouvre droit à une indemnité que si cette situation est imputable à l'employeur ; que dès lors, en allouant à M. X... une indemnité à ce titre, sans constater l'existence d'un accord collectif prévoyant cette modalité et sans vérifier que la non prise de ses jours de RTT par M. X... était imputable à la société AIR CORSICA, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que tel était le cas, a violé les textes susvisés, la Cour d'appel a violé les articles 1147 du code civil, ensemble les articles L. 3122-6, L. 3122-19 à L. 3122-22 du code du travail ;    

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