Jurisprudence sociale
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Cassation sociale, 11 avril 2018, n° 16-27.891
Seule une cessation complète de l’activité de l’employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement quand elle n’est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier, tandis qu’une cessation partielle de l’activité de l’entreprise ne justifie un licenciement économique qu’en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité, peu important que la cessation d’une activité de l’entreprise résulte de la décision d’un tiers, à savoir, en l’espèce, la direction du groupe qui avait consenti à l’entreprise concernée un contrat de location gérance.
Cour de cassation chambre sociale Audience publique du mercredi 11 avril 2018 N° de pourvoi: 16-27891 Non publié au bulletin Cassation partielle
M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président), président SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... a été engagé par la société Blot, aux droits de laquelle se trouve la société Charpenet qui exploite une station-service dans le cadre d'un contrat de location gérance régularisé avec la société Total, en qualité de chef d'équipe ; qu'il occupait en dernier lieu les fonctions de gestion de la baie mécanique et de l'activité entretien et réparation ; qu'il a été licencié pour motif économique le 9 juillet 2011 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société Charpenet au paiement de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et frais de déménagement alors, selon le moyen, qu'à défaut d'emploi de même catégorie ou équivalent, assorti d'une rémunération équivalente, le reclassement doit être recherché sur les emplois d'une catégorie inférieure à celui occupé par le salarié ; qu'en retenant que la société Charpenet avait satisfait à son obligation de reclassement aux termes de motifs dont il ne résulte ni qu'elle aurait cherché à reclasser M. Y... sur un emploi de catégorie inférieure au sien, ni qu'un tel reclassement était impossible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel relève que la société Charpenet n'employait, au moment du licenciement, que dix salariés, dont neuf à temps partiel, en plus de M. Y... et qu'il n'existait aucun poste disponible susceptible d'être offert à l'intéressé, faisant ainsi ressortir l'absence de toute possibilité de reclassement, y compris sur un poste de catégorie inférieure à celui occupé par le salarié ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article L. 1233-3 du code du travail ;
Attendu que pour dire le licenciement du salarié fondé sur un motif économique et le débouter de ses demandes, l'arrêt retient que la cessation de l'activité à laquelle le salarié était affecté, imposée à l'employeur par le groupe lui ayant consenti un contrat de location-gérance, et la suppression consécutive de son poste de travail caractérisent le motif économique de son licenciement ;
Qu'en statuant ainsi alors que seule une cessation complète de l'activité de l'employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier et qu'une cessation partielle de l'activité de l'entreprise ne justifie un licenciement économique qu'en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, peu important que la cessation d'une activité de l'entreprise résulte de la décision d'un tiers, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. Y... de ses demandes au titre de l'obligation de formation et au titre de la perte de chance de trouver un emploi, l'arrêt rendu le 20 octobre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points restant en litige, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;
Condamne la société Charpenet aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à M. Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. Y...
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Y... de sa demande tendant à voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la Société Charpenet au paiement de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et frais de déménagement ;
AUX MOTIFS QUE " à l'origine Monsieur Y... a été engagé par la Société Blot dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 1987 en qualité de Chef d'équipe ; qu'en dernier lieu Monsieur Y... assurait, au sein de la station service, la gestion de la baie mécanique et de l'activité - entretien et réparation - ; qu'il a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique par lettre datée du 9 juillet 2011 ;
QUE la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige faisait état de l'impossibilité de reclassement et de la suppression de l'activité entretien et réparation ( ) ;
QUE selon les pièces du dossier à l'époque du licenciement, la société employait en plus de Monsieur Y... 10 employés au service de la caisse (9 à temps partiel et 1 à temps plein) ; qu'il n'existait, dès lors au sein de la société, aucun poste disponible de même catégorie susceptible d'être offert à l'intéressé ; qu'il n'existait pas davantage d'emploi équivalent à celui qu'il occupait sur lequel il aurait pu être reclassé ; que d'autre part, il est établi par les éléments soumis aux débats qu'alors même qu'elle n'en avait pas l'obligation dans la mesure où elle n'appartient à aucun groupe, la Société Charpenet a interrogé plusieurs responsables de stations-services implantées à proximité sur leur possibilité d'offrir à Monsieur Y... un poste équivalent et / ou identique à celui occupé par l'intéressé et a, également, interrogé la société Total ; que ces recherches se sont révélées infructueuses ; qu'au regard de ce qui précède, la société a satisfait aux obligations mises à sa charge au titre du reclassement ; que le jugement doit, à cet égard, être confirmé" ;
ET AUX MOTIFS éventuellement adoptés QUE "la SARL Charpenet a rempli son obligation de reclassement en interrogeant les stations services dans un rayon de douze kilomètres autour de la station, toutes les réponses étant revenues négatives ; que la SARL Charpenet a interrogé Total pour que le groupe Total puisse proposer un reclassement à Monsieur Y... et ce par lettre recommandée avec avis de réception restée sans réponse ; que le demandeur n'a pas souhaité bénéficier de la C.R.P ; que la SARL Charpenet a rempli son obligation de reclassement à l'encontre de Monsieur Y..." ;
ALORS QU'à défaut d'emploi de même catégorie ou équivalent, assorti d'une rémunération équivalente, le reclassement doit être recherché sur les emplois d'une catégorie inférieure à celui occupé par le salarié ; qu'en retenant que la Société Charpenet avait satisfait à son obligation de reclassement aux termes de motifs dont il ne résulte ni qu'elle aurait cherché à reclasser Monsieur Y... sur un emploi de catégorie inférieure au sien, ni qu'un tel reclassement était impossible, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1233-4 du Code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Monsieur Y... de sa demande tendant à voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la Société Charpenet au paiement de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et frais de déménagement ;
AUX MOTIFS QUE " à l'origine Monsieur Y... a été engagé par la Société Blot dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er avril 1987 en qualité de Chef d'équipe ; qu'en dernier lieu Monsieur Y... assurait, au sein de la station service, la gestion de la baie mécanique et de l'activité "entretien et réparation" ; qu'il a fait l'objet d'un licenciement pour motif économique par lettre datée du 9 juillet 2011 ;
QUE la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige faisait état de l'impossibilité de reclassement et de la suppression de l'activité entretien et réparation ( ) ;
QUE sur la réalité du motif économique du licenciement, en application de l'article L.1233-3 du Code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques voire, dans certaines conditions, à une réorganisation de l'entreprise ou à une cessation d'activité ;
QU'aux termes de l'article L.1232-6 du même code, l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement ; que s'agissant d'un licenciement pour motif économique, il doit énoncer la cause économique du licenciement et ses conséquences sur l'emploi du salarié concerné ;
QUE selon les pièces du dossier, la Société Charpenet exploite une station-service dans la cadre d'un contrat de location-gérance régularisé avec la société Total ;
QUE par lettre datée du 26 mai 2011, la société bailleresse a informé la société locataire de la fermeture à compter du 30 juin suivant de l'activité - entretien et réparation - devant être remplacée, à compter du 20 août 2011, par une activité automatique de lavage haute-pression motos ;
QUE compte tenu des termes du contrat de location-gérance la Société Charpenet ne pouvait que prendre acte de la décision lui ayant été notifiée ; que c'est dans ces circonstances de cessation d'activité que la suppression du poste de Monsieur Y... est intervenue ; que c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le motif économique du licenciement était caractérisé ;
QU'en conséquence le jugement doit être confirmé en ce qu'il a débouté l'appelant de sa réclamation au titre d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral ; que la demande afférente aux frais de déménagement liée au licenciement doit, par voie de conséquence, être rejetée" ;
ET AUX MOTIFS supposés adoptés QUE "les éléments comptables fournis au Conseil font état de la fragilité de la SARL qui dégage un résultat d'exploitation à peine positif ;
QU'il ressort des débats l'existence d'un lien de subordination entre la SARL Charpenet et la Société Total en l'espèce ; que ce lien transparaît dans la lettre de Total informant la SARL Charpenet de fermer le pont mécanique pour le remplacer par une station de lavage haute pression ; que cette lettre ne laisse d'autre choix à la SARL que de respecter la décision de Total sous peine de perdre le droit d'exploiter la station sous l'enseigne Total ;
QUE la décision de fermeture de la baie mécanique a créé une rupture d'égalité dans les relations commerciales entre la SARL et Total ;
QUE l'existence du lien de subordination fait que la Société Total s'est déchargée de son obligation de reclassement sur la SARL Charpenet ; qu'au vu de l'ensemble de ces pièces, le conseil constate que le motif économique de licenciement est constitué" ;
1°) ALORS QUE d'une part, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur ; que, d'autre part, seule une cessation complète de l'activité de l'employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier ; qu'une cessation partielle de l'activité de l'entreprise ne justifie un licenciement économique qu'en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que la lettre de licenciement faisait état de la seule " suppression de l'activité entretien et réparation" sans mentionner de difficultés économiques, de mutation technologique ou une réorganisation, ce dont il résulte qu'elle ne comportait pas l'énoncé d'un motif économique ; qu'en déclarant cependant justifié le licenciement ainsi intervenu la Cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L.1233-3 et L.1233-16 du Code du travail ;
2°) ALORS en outre QUE seule une cessation complète de l'activité de l'employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement, quand elle n'est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de ce dernier ; qu'une cessation partielle de l'activité de l'entreprise ne justifie un licenciement économique qu'en cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; qu'en déclarant justifié le licenciement économique de Monsieur Y... par la Société Charpenet sur la seule constatation de ce que la suppression de l'activité "entretien réparation" exploitée dans la station service gérée et son remplacement par une activité automatique de lavage haute pression motos, intervenus à l'initiative de la Compagnie pétrolière propriétaire du fonds exploité, avaient emporté suppression de son poste de travail la Cour d'appel, qui n'a caractérisé aucune difficulté économique, mutation technologique ou réorganisation nécessaire à la sauvegarde de compétitivité de l'entreprise, a violé l'article L.1233-3 du Code du travail ;
3°) ALORS subsidiairement QU'en déduisant "des termes du contrat de location gérance" que la Société Charpenet "subordonnée" à la compagnie pétrolière, ne pouvait que "prendre acte" de la volonté de cette dernière de supprimer l'activité "entretien réparation" sans préciser de quelle stipulation contractuelle elle déduisait cette subordination, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.144-1 du code de commerce et de l'article 1134, devenu 1103 et 1104 du Code civil ;
4°) ALORS enfin QU'en laissant sans réponse le moyen pris par Monsieur Y... de ce que l'article 10 du contrat de location gérance stipulait que "l'adjonction ou la suppression d'activités annexes est possible en cours de contrat. Elle a lieu d'un commun accord et doit faire préalablement l'objet d'un avenant au contrat", stipulations dont résultait l'impossibilité pour Total d'imposer à la Société Charpenet la suppression de l'activité d'entretien réparation, la Cour d'appel, qui a privé sa décision de motifs, a violé l'article 455 du Code de procédure civile.
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